Nucléaire : non au projet de fusion IRSN et ASN (tribune)

Publié le par Les Echos via M.E.

Alors que le gouvernement a présenté son projet de fusion des deux autorités du nucléaire, l'intersyndicale de l'IRSN s'oppose à ce projet de regroupement qui désorganisera le secteur au moment où il a besoin de clarté.

Stephane Audras/REA

« L'IRSN n'est pas une autorité mais un établissement public de recherche, d'expertise technique et d'intervention en sûreté, sécurité et radioprotection. »

La tribune publiée par « les Echos » le 1er février sur le projet de fusion de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) contient des erreurs et approximations que l'intersyndicale de l'IRSN ne pouvait laisser sans réponse.

La France ne dispose pas de deux autorités de gestion du nucléaire : l'ASN et l'IRSN. Il y en a plus, citons notamment : l'ASN s'occupe de la sûreté des installations civiles, l'ASND s'occupe de la sûreté des installations de la défense, le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité s'occupe de la sécurité des installations civiles. La Direction générale du travail, la Direction générale de la santé interviennent également sur la radioprotection. De plus, l'IRSN n'est pas une autorité mais un établissement public de recherche, d'expertise technique et d'intervention en sûreté, sécurité et radioprotection.

Variété des acteurs

Les signataires affirment que l'organisation IRSN-ASN ne serait plus totalement adaptée au nouveau défi que représente la relance du nucléaire en France.

Sur la construction de nouveaux réacteurs : il s'agit actuellement de 6 EPR-2 , qui seront conçus en série sur la base d'un design unique reprenant largement celui de l'EPR. Sur la prolongation de la durée de vie des réacteurs existants : le travail d'expertise associé aux réexamens périodiques de la sûreté des réacteurs de 1 300 et 1 450 MWe s'appuiera sur le réexamen des réacteurs de 900 MWe.

Sur les nouveaux enjeux de cybersécurité : l'IRSN a gréé depuis plusieurs années une unité dédiée à ce sujet. Sur l'arrivée de nouveaux réacteurs et de nouveaux acteurs : cette arrivée va être progressive et à ce stade, la visibilité sur les projets qui devront être expertisés reste faible. Quant à la variété des acteurs, elle est déjà une réalité dans le nucléaire lorsqu'on considère les installations du cycle du combustible et les 170 services de radiothérapie.

Complexification des synergies

Que la relance exige un renforcement et une amélioration du système ne semble pas discutable, mais rien de ce qui précède ne justifie de fusionner l'IRSN et l'ASN. Pire, cette fusion aura pour effet de mettre l'expertise de sûreté des installations nucléaires civiles dans la future Autorité et l'expertise de sécurité de ces installations, dont la cybersécurité, au ministère des Armées, ce qui complexifiera les synergies.

L'IRSN agirait comme une autorité indépendante, en rendant ses avis publics avant que l'ASN ne prenne ses décisions, ce qui affaiblirait l'autorité de celle-ci. Rappelons que la publication des avis d'expertise n'est pas une initiative de l'IRSN, mais une exigence inscrite dans la loi Transition écologique pour une croissance verte de 2015. De plus, nous contestons l'affirmation selon laquelle la publication d'avis fondés scientifiquement et techniquement avant la décision, affaiblirait l'autorité de l'ASN.

La fusion renforcerait l'indépendance du contrôle, l'IRSN étant un établissement public placé sous la tutelle de 5 ministères. Depuis la création de l'IRSN en 2003, les débats au sein de son conseil d'administration où siègent les représentants des tutelles n'ont jamais porté sur les conclusions des avis de l'IRSN. Quant aux échanges directs avec les Ministres, ils ont eu lieu avec l'IRSN, ils ont eu lieu avec l'ASN et ils auront lieu avec la future autorité. Les signataires de la tribune ont exercé de hautes responsabilités et connaissent parfaitement cette réalité.

Dégradation de la compétence

L'organisation duale IRSN-ASN serait unique au monde. C'est faux. Tous les pays européens ont un système dual avec une Autorité et un ou plusieurs organismes d'appui technique, l'Autorité hollandaise s'appuyant sur des organismes étrangers, de même que la Russie et la Chine.

Nous le constatons, l'argumentation des signataires de cette tribune en faveur du projet de fusion du gouvernement est bien faible. A contrario, la fusion de l'IRSN et de l'ASN conduira à désorganiser le système existant. Elle entraînera une dégradation de la compétence du système à court terme par la dispersion des compétences d'expertise entre la future Autorité, le ministère des Armées et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. A plus long terme, elle conduira à l'attrition de la recherche et donc, in fine, à la perte de la capacité d'expertise. Elle réduira la transparence du processus de décision et dégradera la confiance du public.

Nous appelons les députés soucieux de voir réussir, dans les meilleures conditions de sûreté, d'efficacité et de confiance, le programme de relance de la filière nucléaire dans notre pays, à rejeter le projet de loi porté par le gouvernement. Donnez des moyens supplémentaires aux autorités et à l'IRSN et veillez à ce qu'ils s'organisent pour gagner en efficacité.

Les signataires :

François Jeffroy et Tatiana Taurines (CFDT), Luc Codron et Pascal Cuendet (CFE-CGC), Philippe Bourachot et Névéna Latil-Querrec (CGT) sont membres de l'intersyndicale de l'IRSN.

Source : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-nucleaire-non-au-projet-de-fusion-irsn-et-asn-2078297

Publié dans Nucléaire

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :