Énergie : « Bercy ne jure plus que par le nucléaire »

Publié le par Reporterre via M.E.

Le projet de loi pour la souveraineté énergétique est « préoccupant », alerte Anne Bringault, du Réseau Action Climat. Les ambitions climatiques ont en effet été enlevées du texte.

Centrale du Tricastin, dans la Drôme. - Flickr/CC BY 2.0 Deed/Jeanne Menjoulet

Maintes fois repoussée, la loi de programmation sur l’énergie et le climat, transformée en projet de loi sur la souveraineté énergétique, devait mettre les objectifs français en conformité avec ceux de l’Union européenne. Entre autres : 55 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre et 42,5 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique, d’ici 2030, par rapport à 1990. Contre respectivement 40 et 33 % inscrits pour l’instant dans la loi française.

Mais alors que l’avant-projet de loi avait déjà drastiquement raboté ces objectifs, une nouvelle version du texte est carrément amputée de tout son volet programmatique. Dans cette nouvelle mouture, présentée le 17 janvier aux membres du Conseil national de la transition écologique, ne figurent plus que des dispositions relatives à la protection des consommateurs et à la réforme du marché de l’électricité et de l’hydroélectricité. Les ambitions climatiques et de transition énergétique sont repoussées à un texte ultérieur, sans aucune échéance annoncée pour le moment.

Pour Anne Bringault, directrice des programmes au Réseau Action Climat (RAC), ce renoncement est un signal très inquiétant quant aux ambitions climatiques de la France.

Reporterre : Comment analysez-vous la suppression du volet programmation du projet de loi pour la souveraineté énergétique ?

Anne Bringault : Nous sommes choqués. Il n’y a plus aucun objectif, la France navigue à vue, sans cap ni boussole pour 2030 en termes d’énergie et de climat. C’est très préoccupant.

Reporterre : Le Conseil national de la transition écologique, dans lequel siège le RAC, était supposé donner un avis consultatif sur ce projet de loi, mais il a été prévenu par un simple envoi de courriel de cette évolution majeure du texte. Que s’est-il passé ?

Anne Bringault : Ce que l’on sait, c’est que l’objectif de l’avant-projet de loi concernait surtout les économies d’énergie et la baisse des émissions de gaz à effet de serre. C’était un aspect positif, mais le texte était surtout très détaillé sur le nucléaire, sans objectif sur le renouvelable, il y avait un énorme déséquilibre.

« Il y a une vraie crainte de reculs pour l’avenir »

La réaction outrée des ONG et des acteurs des énergies renouvelables a fait réagir le gouvernement. Mais au lieu d’ajouter un objectif pour les énergies renouvelables, ils ont supprimé tous les objectifs. On nous dit qu’ils seront inscrits dans une prochaine loi ou par voie réglementaire, sans aucune échéance annoncée, ce ne sont pour l’instant que des éléments de langage.

Reporterre : Après la nomination d’un Premier ministre très peu porté sur l’écologie, et une conférence de presse d’Emmanuel Macron qui a largement ignoré cet enjeu, cette nouvelle déconvenue confirme-t-elle vos craintes d’une relégation de l’écologie en dernière priorité de ce nouveau gouvernement ?

Anne Bringault : Nous sommes dans un moment un peu similaire à celui où Nicolas Sarkozy avait déclaré que l’écologie, « ça commence à bien faire ». La dernière fois qu’Emmanuel Macron a vraiment parlé du sujet, c’était en septembre, lors de son discours sans conviction sur la planification écologique. Depuis, plus rien, alors qu’il avait promis durant la campagne présidentielle que son quinquennat « sera écologique ou ne sera pas ».

La centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly (Loiret). © Mathieu Génon / Reporterre

Aujourd’hui, on a un ministère de l’Écologie rétrogradé, démantelé avec la transition énergétique passée sous le contrôle du ministère de l’Économie, et un Premier ministre, Gabriel Attal, qui ne s’exprime pas sur ces sujets et n’a pas reçu les associations de protection de l’environnement au même titre que les autres forces vives de la nation. Donc oui, il y a une vraie crainte de reculs pour l’avenir.

Reporterre : Les différentes versions de l’avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique confirment également l’emprise croissante du nucléaire sur la stratégie énergétique française...

Anne Bringault : Le tournant nucléaire était déjà acté avant le remaniement, mais le transfert de l’énergie au ministère de l’Économie l’a accentué. Jusque-là, il y avait une tentative de concilier les quatre piliers prônés par le gouvernement : le nucléaire, les renouvelables, la sobriété et l’efficacité énergétique. Maintenant, on a le sentiment que Bercy ne jure plus que par le nouveau nucléaire.

Sauf que les nouveaux EPR ne seront pas construits avant 2035 au mieux, voire 2040. Le seul levier efficace à court terme pour la souveraineté énergétique, ce sont les énergies renouvelables.

« Le nucléaire n’est d’aucune aide pour nos objectifs de 2030 »

Reporterre : Le peu d’empressement dont la France fait preuve pour s’aligner sur les objectifs européens, en matière de climat et de renouvelables, risque-t-il d’avoir un impact négatif sur d’autres pays de l’Union européenne ?

Anne Bringault : Cela peut faire tache d’huile. Et la France pousse en Europe pour que l’on développe ce qu’elle appelle « l’énergie décarbonée », plutôt que les énergies renouvelables. Elle veut vendre sa solution nucléaire à des pays d’Europe de l’Est, au risque de freiner les moyens mis sur le renouvelable. Alors que le nucléaire n’est d’aucune aide pour nos objectifs de 2030.

Reporterre : Vous évoquez l’importance politique de la sémantique. Une autre évolution a été notée dans les termes employés dans l’avant-projet de loi : l’objectif de « réduire » les émissions de gaz à effet de serre y a été remplacé par la volonté de « tendre vers une réduction ». Que signifie cette évolution du langage ?

Anne Bringault : C’est lié aux affaires juridiques auxquelles l’État a été confronté. L’Affaire du siècle, entre autres, avait permis à des ONG de faire condamner l’État pour inaction climatique. Cela avait mis l’État face à ses contradictions : il avait fait inscrire des objectifs climatiques dans la loi sans les respecter. Cette évolution des termes vise à éviter ce risque juridique. Au lieu de renforcer les moyens pour tenir ses objectifs, le gouvernement fait le choix de baisser le niveau d’engagement.

Reporterre : Le gouvernement semble craindre de ne pas pouvoir trouver de majorité à l’Assemblée nationale pour faire voter des objectifs ambitieux sur le climat, le nucléaire ou le renouvelable ; d’où l’option évoquée de passer par la voie réglementaire. Une inscription de ces objectifs par simple décret vous satisferait-elle ?

Anne Bringault : Un passage par décret peut être intéressant pour des objectifs précis, par filière, par exemple pour un objectif sur le solaire ou l’éolien, ou pour décliner les objectifs de baisse d’émissions par secteur. Mais il est important d’avoir des objectifs globaux inscrits dans la loi.

D’une part, parce qu’il est important d’avoir ce débat avec la représentation nationale. Ce n’est pas un débat facile, mais sans ce tampon et cette inscription dans la loi, un objectif ambitieux aurait peu de chance de perdurer et de survivre à une éventuelle alternance après 2027.

Ce débat peut d’autre part être vertueux, justement parce que la conviction que le développement des énergies renouvelables est indispensable n’est pas partagée par tous les parlementaires. Certains n’ont pas conscience de la réalité de la situation. Mettre le sujet à l’ordre du jour serait l’occasion de leur faire entendre cette réalité, via des rapports comme ceux de Réseau de transport d’électricité par exemple. Il faut que nos parlementaires aient conscience de l’urgence d’accélérer sur les renouvelables et les économies d’énergie.

Source : https://reporterre.net/Energie-Bercy-ne-jure-plus-que-par-le-nucleaire

 

 

Publié dans Energie, Nucléaire, Gouvernance

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