Comment mieux prévenir la production de déchets et assurer leur gestion ?

Publié le par Fondation Jean Jaurès via M.E.

Comment sont gérés nos déchets ? Depuis 1975, la responsabilité élargie du producteur (REP) a été mise en place pour conduire les entreprises génératrices de déchets à prendre en charge le coût de leur gestion. Alors que 20 filières seront concernées en 2025 par la REP, le système nécessite d’être réformé au niveau européen dans sa gouvernance pour une meilleure prévention dans la production et la gestion des déchets, comme le propose dans cette note Moïra Tourneur, autrice de Déchets partout, justice nulle part (Éditions Rue de l’échiquier, 2022) et ancienne salariée de Zero Waste France.

À l’origine de la mise en place de la responsabilité élargie du producteur (REP), le principe du « pollueur-payeur »

Surtout connu en France dans le milieu éducatif, les réseaux d’éducation prioritaire ayant succédé aux zones (ZEP) en 2015, l’acronyme REP revêt un tout autre sens dans le jargon des nerds des déchets. Les filières de responsabilité élargie du producteur, appelées « REP » pour plus de commodité, sont devenues un incontournable pour toute personne qui touche de près ou de loin à la prévention et à la gestion des déchets. 

Ce principe de responsabilité élargie du producteur a été créé concomitamment dans une loi française et une directive européenne sur les déchets en juillet 1975. En vertu du principe de « pollueur-payeur », il suppose que les entreprises qui vendent des produits générateurs de déchets prennent en charge le coût de leur gestion : enfouissement en décharge ou incinération, mais surtout recyclage, encore très peu développé à l’époque. Il faut cependant attendre près de vingt ans pour que l’idée trouve sa traduction concrète : en 1992, la France applique le principe de REP à la filière des emballages ménagers. Désormais, les producteurs de bouteilles d’eau, paquets de pâtes en carton et autres flacons de shampoing sont responsables de la fin de vie de ces emballages. 

Pour ce faire, ils peuvent gérer individuellement la récupération et assurer la gestion de leurs produits ou bien se regrouper dans des structures collectives. Car il serait contraignant pour un distributeur de bonbons d’aller collecter dans chaque foyer ses sachets en plastique, la plupart des producteurs soumis au principe de REP choisissent de transférer leurs obligations à un éco-organisme. Société privée à but non lucratif agréée par l’État, l’éco-organisme s’occupe, en échange d’une contribution financière, de la fin de vie des déchets issus des produits de ses adhérents et administrateurs. 

D’une filière concernée par le principe de REP en 1992, la France s’apprête à en compter plus de 20 à l’horizon 2025, parmi lesquelles les piles, les vêtements, les voitures, mais aussi les meubles, les médicaments, les mégots ou encore les bâtiments. Si cinq filières sont encadrées par la réglementation européenne (emballages ménagers, médicaments, piles, véhicules, équipements électriques et électroniques), l’Hexagone fait figure d’élève modèle et d’inspiration pour d’autres États en matière de REP.

La nécessité de réformer la gouvernance des filières de REP pour prévenir la production des déchets

D’aucuns pourraient penser qu’à l’aune des prochaines élections européennes, il est intéressant de répliquer le modèle français à l’échelle de l’Union européenne et de faire fleurir toujours plus de filières REP au sein des différents États membres. Or, avant ne serait-ce que d’envisager cette possibilité, il est indispensable de reconsidérer le fonctionnement et la gouvernance des filières de responsabilité élargie du producteur. Principe séduisant sur le papier, la REP n’est pas exempte de limites qui finissent par la rendre contre-productive en pratique. 

Créée à l’origine dans une perspective de gestion des déchets (recyclage et élimination), la REP a été rattrapée quarante ans plus tard par la hiérarchie des modes de traitement des déchets, qui place la prévention des déchets et leur réemploi avant leur recyclage, leur incinération ou leur mise en décharge. Le meilleur déchet reste celui qu’on ne produit pas, et le réemploi d’un objet permet de le réutiliser tel quel, là où son recyclage implique une destruction de matière pour n’en récupérer qu’une partie. En 2014 (mieux vaut tard que jamais), la loi française inscrit donc la prévention comme partie intégrante des obligations des producteurs de déchets soumis à la REP. Au-delà de la simple collecte de leurs produits pour les recycler ou les brûler, ils doivent aussi participer à l’allongement de leur durée de vie ou à la mise en place des réseaux permettant de leur donner une seconde vie en l’état. 

C’est ici que la pratique rattrape les principes théoriques : si les producteurs sont censés prioriser la prévention vis-à-vis du traitement, force est de constater que l’essentiel des moyens et des actions reste concentré sur la collecte et le recyclage. Selon les obligations fixées par l’État, l’éco-organisme en charge des emballages ménagers Citeo est tenu de consacrer « au moins 1% du montant des contributions qu’il perçoit aux actions d’accompagnement de ses adhérents à la prévention des déchets d’emballages ménagers, y compris l’éco-conception ». Avec 733 millions d’euros de contributions versées par les producteurs adhérents à Citeo en 2019, le montant octroyé à la prévention pourrait être bien plus conséquent pour en faire concrètement une priorité.

Mais pourquoi les éco-organismes prendraient-ils l’initiative de développer la prévention au-delà de leurs maigres obligations réglementaires ? Prévenir la production de déchets implique d’allonger les durées de vie des produits, par la réparation et le réemploi, et donc de faire baisser les mises en marché et les ventes : un produit réparé ou réutilisé, c’est un produit neuf non acheté. Or, les adhérents des éco-organismes sont aussi leurs administrateurs. En 2021, Citeo comptait au sein de son conseil d’administration des représentants de Nestlé France et des Eaux minérales d’Évian, filiale du groupe Danone – Nestlé et Danone étant respectivement quatrième et huitième du classement des pires pollueurs plastiques au monde cette même année d’après l’ONG Break free from plastic. 

C’est ici que le risque d’inefficacité, voire de contre-productivité de la REP devient évident. La REP telle qu’elle est conçue actuellement n’a pas d’intérêt à favoriser la prévention, la réparation et le réemploi. Il est plus commode d’entretenir le mythe du recyclage à l’infini, déculpabilisant pour les consommateurs et consommatrices. Ce mode de gouvernance par et pour les producteurs nuit à l’esprit de la responsabilité élargie du producteur.

Conclusion

Afin de libérer les REP de la seule mainmise des producteurs, il est nécessaire de revoir leur mode de gouvernance. En intégrant la société civile à la décision au-delà de la simple consultation, c’est l’hypocrisie du système qui se retrouverait ébranlée. Le renforcement du rôle de l’État pourrait également éviter que des intérêts économiques nécessairement dépendants d’un niveau élevé de production et de consommation ainsi que d’un recours massif aux produits à faible durée de vie ne viennent prendre le pas sur la mission d’intérêt public de la REP. C’est au niveau européen qui encadre ce système de REP que cette discussion sur la refonte de la REP doit avoir lieu. 

Publié dans Déchets, Gouvernance

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :