Une nouvelle méthode pour localiser les déchets en mer

Publié le par The Conversation via M.E.

Prédire la dérive et la dispersion des polluants marins comme les hydrocarbures et les plastiques, ainsi que des organismes vivants comme le phytoplancton ou les larves de poissons, est essentiel pour la gestion durable des zones côtières dans un contexte de préservation des écosystèmes marins. En 2015, il a été estimé qu’entre 4,8 et 12,7 millions de tonnes de déchets terrestres finissent leur course dans les océans chaque année, chiffres voués à augmenter.

À grande échelle, les phénomènes de transport et d’accumulation des déchets marins flottants sont plus ou moins connus, comme l’accumulation de déchets dans le 7ᵉ continent dans le nord de l’océan pacifique, par exemple. Cependant, à des échelles plus fines, inférieures à 10 kilomètres, la présence de nombreux tourbillons, zones de convergence, où les courants marins se rejoignent, et de divergence, où les courants marins se séparent, à la surface des océans complique la compréhension de la dérive des matières flottantes.

Des tonnes de plastique se retrouvent chaque année dans les mers et les océans. Naja Bertolt Jensen / Unsplash, CC BY

Le sud-est du golfe de Gascogne, comme beaucoup d’autres zones côtières dans le monde, est confronté à plusieurs problèmes environnementaux. Il s’agit notamment de la pollution à proximité de zones urbaines et industrielles telles que Bilbao et Saint-Sébastien, de la prolifération d’algues toxiques, de la perte de biodiversité et de la prolifération d’espèces invasives. De plus, la région a été identifiée comme une zone d’accumulation de déchets marins par des modèles océaniques régionaux.

Localiser les zones d’accumulation des déchets

Dans le cadre de ma thèse et d’un projet national espagnol nommé LAMARCA, j’essaie de comprendre et localiser les zones d’accumulation des déchets marins flottants dans le sud-est du golfe de Gascogne.

Dans le golfe de Gascogne, et dans les mers semi-fermées en général (corps d’eau partiellement entouré par des terres, mais qui est connecté à l’océan comme la Méditerranée ou la mer Baltique), des structures de convergence des courants accumulant des déchets marins sont fréquemment observées, même à l’œil nu. Une étude menée par Irene Ruiz, chercheuse à l’AZTI a mis en évidence le fait que ces structures présentent généralement une longueur d’environ 1 kilomètre et accumulent en moyenne 78 kilogrammes de déchets marins flottants.

Fourni par l'auteur.

Structure de convergence des courants accumulant de la mousse et des déchets marins prise durant la campagne océanographie d’avril 2022.

Les activités liées à la pêche, au transport maritime et à l’aquaculture sont responsables de 35 % des déchets analysés lors de cette étude, et le plastique se révèle être la matière prédominante. Les 65 % restant proviennent de sources terrestres.

Pour comprendre et localiser les zones d’accumulation des déchets marins flottants, je m’appuie sur des diagnostics estimés à partir des mesures de vitesse des courants de surface par radars océanographiques. Ces diagnostics me permettent de localiser et de suivre l’évolution des structures convergentes de la circulation océanique côtière. Une structure convergente dans un écoulement est une zone où les courants marins se rejoignent, entraînant un rapprochement des volumes d’eau et des matières qu’ils transportent. L’objectif de mon étude est de comprendre comment ces structures régissent la répartition spatiale et temporelle des matières transportées par les courants.

Des radars pour suivre les courants

La technologie radar est utilisée dans de nombreux contextes tels que la météorologie, le transport aérien, routier ou maritime. Le mot RADAR signifie « Radio Detection and Ranging » (anglais pour détection et mesure de la distance par ondes radio). Cette technologie utilise des ondes électromagnétiques pour détecter et suivre la distance et la vitesse de différents objets. De nombreuses stations radar installées sur nos côtes permettent les observations des courants en continu avec une portée pouvant atteindre 200 kilomètres. Les radars mesurent la vitesse et la direction des courants océaniques en détectant le décalage Doppler (décalage de fréquence) des ondes radio réfléchies par les vagues de la surface de la mer. Basées sur les mesures radiales, des cartes de courants de surface sont générées avec une résolution temporelle de 1h et une résolution spatiale de 2,5 km, ce qui signifie que le système est capable de capter les structures océaniques de 2,5 km et plus.

Photo d’une station radar présente dans le golfe de Gascogne. Fourni par l'auteur

J’utilise ces cartes pour calculer les exposants de Lyapunov, grandeur mathématique employée pour estimer la convergence des courants marins à la surface de l’océan. Les cartes des exposants de Lyapunov indiquent les régions de l’océan où les trajectoires des particules flottantes ont tendance à converger rapidement ou lentement en fonction du temps. Ceci est crucial pour comprendre la dérive des matières flottantes comme les débris plastiques ou les organismes planctoniques. Le calcul des exposants de Lyapunov permet de réduire la résolution spatiale par rapport aux cartes de courants de surface à partir desquels ils sont calculés et d’atteindre, dans notre cas, une résolution de 400 mètres.

Les valeurs élevées des exposants de Lyapunov (représentées en jaune ci-dessus) identifient les zones où la convergence des courants de surface détectée par les radars est significative. Ces lignes de valeurs élevées représentent les véritables barrières de transport que les matières en dérive ont du mal à franchir. En milieu côtier, ces valeurs élevées sont généralement organisées en filaments parallèles à la côte.

Les résultats de ma recherche s’alignent avec la théorie et révèlent la présence de lignes caractérisées par des valeurs maximales des exposants de Lyapunov, parallèles entre elles et parallèles aux côtes françaises et espagnoles. Ces structures de convergence persistent dans le temps et ont tendance à se déplacer dans la direction dominante des courants marins, soit vers le nord-est pendant la période couverte par l’étude. En outre, le panache de l’Adour, une rivière majeure dans la région étudiée, se distingue par une convergence significative, se trouvant délimité par des filaments présentant des valeurs élevées des exposants de Lyapunov.

Durant le mois d’avril 2022, une campagne océanographique a été menée dans le sud-est du golfe de Gascogne. Cette campagne a consisté au déploiement de bouées dérivantes sur lesquelles était attachée une ancre flottante positionnée à 1 mètre de profondeur, permettant ainsi aux bouées de suivre les courants de surface sans être affectées par le vent. Les structures de convergence des courants mises en évidence par les cartes d’exposants de Lyapunov coïncident avec une zone où plusieurs bouées, initialement espacées de 18 kilomètres, ont convergé pour se retrouver à seulement 1 kilomètre les unes des autres à la fin de la campagne.

Ces résultats représentent une avancée significative dans les techniques de détection des structures de convergence à partir de la vitesse des courants de surface télé-détectés et ont des applications directes pour l’étude du transport et de l’agrégation des déchets marins, entre autres. Cette connaissance est essentielle en océanographie physique, car les déchets marins servent de traceurs pour comprendre la circulation océanique. Inversement, notre compréhension des courants océaniques joue un rôle important dans la détermination des trajectoires des déchets marins flottants. Cela facilite la lutte contre la pollution, ce qui est particulièrement important dans une société tributaire des côtes.

L'auteure : Sloane Bertin est doctorante en océanographie physique au Laboratoire d'Océanologies et Géosciences. CNRS, Université de Lille, Université du Littoral Côte d'Opale, Institut de recherche pour le développement (IRD).

Source : https://theconversation.com/une-nouvelle-methode-pour-localiser-les-dechets-en-mer-223896

The Conversation

Publié dans Déchets

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