Fumées toxiques : à Calais, l’inquiétude des riverains d’une usine Seveso à l’arrêt
En un mois, deux dégagements de fumées irritantes se sont produits sur le site de Synthexim, alarmant les habitants vivant à proximité. L’usine, classée Seveso et fermée subitement fin mai, produisait des crèmes de beauté et des médicaments.
Vendredi 18 août 2023, sur le site de l'ancienne usine Synthexim où les pompiers sont récemment intervenus en raisons de dégagements de fumées toxiques.
Deux incidents en un mois, sur un site Seveso seuil haut, avec dégagements de fumées irritantes, cela fait beaucoup. Surtout dans une usine chimique fermée définitivement depuis le 31 mai.
A Calais, Synthexim a été placée en liquidation judiciaire, mais n’a pas été débarrassée de ses produits toxiques par son propriétaire, le groupe Axyntis, spécialiste de la chimie fine. Le site industriel, 25 hectares en bordure de canal, à la limite de Calais et de Coulogne, prend un air d’abandon, avec arbres qui débordent sur la rue, tags et fenêtre étoilée par un jet de caillou. Mais il est gardienné, et surveillé comme le lait sur le feu par les services de l’Etat, Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) en tête.
L’usine produisait les bases de crèmes de beauté pour L’Oréal, et de médicaments, en particulier de l’amphétamine. Lors du premier incident, dans la nuit du 2 au 3 août, un fût de chlorure de thionyle est entré en contact avec des eaux d’infiltration. Deux vigiles, chargés de la surveillance de l’usine, ont été emmenés à l’hôpital. «Ces fumées, non dangereuses, ont été éloignées des habitations grâce aux forts vents présents», précise la préfecture du Pas-de-Calais.
Le deuxième incident, jeudi 17 août, était moins important, un dégagement de fumée d’un fût de «résidu d’acide», selon la préfecture, qui a mis en demeure le liquidateur judiciaire de nettoyer totalement le site. Depuis, la paisible rue des Antilles, aux maisons coquettes en bordure du périmètre Seveso de Synthexim, vit moins tranquille : «On l’a appris par le journal local, cela serait peut-être bien qu’on soit informé, notent Jean-Baptiste et Marie, 29 et 27 ans, un couple de riverains. On connaît un ancien salarié qui nous dit que des solvants sont encore là.» Une dame sur le pas de la porte, s’inquiète : «Tout ça, c’est resté comme une bombe.»
Un ancien salarié l’affirme : «La fin de l’usine n’a pas été organisée, elle s’est faite à l’arrache.» Il détaille les mesures prises : «Les réacteurs [là où sont réalisées les réactions chimiques, ndlr] ont été chargés en eau, pour les mettre en sécurité. Mais on a été un petit peu étonnés, on s’attendait à démonter les tuyauteries et les flexibles pour les purger.»
Philippe Mignonet, l’adjoint au maire de Calais chargé de la sécurité et de l’environnement, confirme : «L’usine s’est arrêtée du jour au lendemain, et les tuyauteries qui amenaient les produits chimiques n’ont pas été nettoyées et dégazées.» Il décrit un site sécurisé pour les produits les plus dangereux, comme le brome, potentiellement mortel s’il vient à s’enflammer, stockés dans des bunkers, avec sécurité incendie, et capteurs d’émanations toxiques. Mais dans les entrepôts, des fûts de déchets posent problème : certains d’entre eux sont dégradés, d’autres sans étiquetage. «Il y a un gros travail d’identification des produits», estime l’adjoint au maire.
Philippe Mignonet résume la situation : «On a un liquidateur qui a hérité du bébé, sans qu’il soit spécialiste de l’industrie chimique, et un propriétaire qui aurait dû évacuer les déchets et les matières premières.» Pour l’instant, rien n’a encore bougé.
David Simonnet, le PDG d’Axyntis, réfute tout procès en désertion : «Le tribunal a laissé un mois pour finir l’activité et mettre en sécurité le site, ce qui a été fait. Il reste en effet des produits à évacuer dans l’usine, ce qui est normal dans le cadre d’une liquidation d’un site industriel. Ils sont connus de la Dreal et de la préfecture, avec qui nous avons eu des échanges réguliers.» Il affirme que son groupe se tient prêt à venir en appui du liquidateur, pour offrir son expertise s’il est sollicité.
Franck Deleglise, représentant du personnel, confirme cette problématique des déchets : «Nous avons eu des dépassements de volumes de rejets de distillation, suite à la fermeture de notre incinérateur, qui a été un gros souci pour nous. Pour vous donner une idée, pour produire 300 kilos de la base nécessaire pour une crème cosmétique, il y a 23 tonnes de rejets.» Ce qui a valu à Synthexim une suspension provisoire de son activité par arrêté préfectoral en août 2022. Celui-ci notait alors que «des quantités importantes de déchets dangereux liquides (notamment inflammables) sont présentes sur le site dans des conditions jugées non satisfaisantes par l’inspection».
Le PDG d’Axyntis botte en touche : «Les points soulevés ont été résolus, puisque nous avons eu l’autorisation de redémarrer.» Franck Deleglise ne se remet pas de voir fermer une usine centenaire, qui employait encore 105 personnes : «C’est un non-sens et un gâchis de fermer une industrie pharmaceutique.»