Silence dans les trains !

Publié le par Blog O.Razemon via M.E.

« Tu veux manger une pizza-kebab ? » La question est articulée, en italien, par une voix de synthèse issue d’un téléphone portable, suffisamment fort pour que les voyageurs de ce train entre Brescia et Milan soient saisis de perplexité. Une pizza-kebab ? Ça existe vraiment, ce truc-là ? En Italie ? Avant que le propriétaire du téléphone ait le temps de répondre, d’autres sons prennent le dessus. Des sonneries tonitruantes, des jeux vidéos aux refrains allègres et répétitifs, des bips notifiant l’ajout d’un smiley « mort de rire » à une conversation WhatsApp entre voisins, des vidéos dont on saisit la cocasserie débordante à travers le rire décomplexé de celui qui la regarde, des bavardages à voix de stentor.

Les passagers de ce train, mais ça vaut pour le Munich-Salzbourg, le Marseille-Nice ou le Bruxelles-Anvers, semblent agir comme s’ils étaient seuls au monde. La connexion wifi généralisée, dans les trains mais aussi dans la rue ou sur la plage, a engendré un monstre: les humains se désintéressent de leur environnement immédiat pour se plonger dans leur vie personnelle matérialisée par leur téléphone, infligeant à leur entourage contrit le vacarme de leur âme.

rain italien (Lombardie, juillet 23). En Italie, il est très rare de bénéficier d’un voyage silencieux.
Minorité d’emmerdeurs, maximum de bruit

En réalité, il est exagéré d’écrire que tout le monde se comporte ainsi. Seule une minorité de voyageurs ne se pose aucunement la question de la nuisance sonore imposée. Mais une minorité d’emmerdeurs, il faut bien les appeler ainsi, fait la loi. Comme en ville, au fond. Curieusement, il est impossible d’établir une typologie de l’emmerdeur. N’importe quelle personne, jeune, âgée, femme, homme, seule, en groupe, qu’elle soit vêtue pour assister une réception sur un yacht ou pour zoner devant un fast-food, est susceptible de faire du bruit. Au cœur de la Suisse comme dans le sud du Portugal, dans un train régional hongrois ou en première classe dans le Thalys.

Les « propales » au haut-parleur

Les voyages en train pourraient être l’occasion de se relaxer, se reposer, lire, travailler, méditer, voire converser discrètement entre co-voyageurs. On les aborde désormais avec incertitude, en voyant débarquer ce costume-trois-pièce. Croit-il vraiment qu’il peut commenter ses « propales » au téléphone, avec haut-parleur, pendant trois-quarts d’heure? Et cette gentille dame va-t-elle enfin mettre ses notifications sonores sur silencieux ? Ces contrôleurs regroupés dans un « carré famille » vont-ils cesser de se raconter leurs histoires de service à haute voix ?

Un doigt sur la bouche

Hélas, quand on fait remarquer aux gens qu’ils sont bruyants, en plaçant simplement un doigt sur la bouche, beaucoup ne comprennent pas, voire s’en offusquent. Les braillards sont minoritaires, mais ce sont leurs victimes qui doivent s’excuser. Un homme d’affaires se croyait seul au monde, narrant ses dîners mondains dans un Lyria Paris-Lausanne. Je lui faisais remarquer la gêne : « Ah, vous dormez ? ». Non, je ne dormais pas, et alors ? Seule cette circonstance aurait justifié, selon lui, qu’on fasse remarquer sa cuistrerie. Dans un Bordeaux-Nice, une dame, qui téléphonait sans discontinuer, répliquait : « j’y ai bien droit, car j’ai payé ma place ».

« Ruhezone, Ruhebereich, périmètre silence »

Certains trains, en Allemagne, sont équipés de Ruhebereich, littéralement « périmètre silence ». Mais elles ne sont pas toujours respectées. « Quand je voyage dans les ICE, je choisis toujours le Ruhebereich. Et dès que quelqu’un utilise son téléphone je lui dis qu’il est dans le Ruhebereich. Ensuite, la majorité des gens respectent le silence. Souvent, d’autres passagers me remercient », témoigne le journaliste et chercheur Jon Worth.

L’Allemagne demeure l’un des pays où les gens parlent le plus fort dans les trains, d’après une étude purement empirique. En Autriche, à l’été 22, il m’est arrivé de clamer à la cantonade « this is supposed to be a quiet train ». Les gens se sont calmés et 10 minutes après, tout le monde s’est remis à sonner… La Belgique a institué récemment des « zones de silence » dans ses trains. Je n’ai pas eu l’occasion de tester.

Source : https://www.lemonde.fr/blog/transports/2023/08/14/silence-dans-les-trains/

Publié dans Mobilité-transports, Bruit

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