Non, la France n’est pas indépendante grâce au nucléaire (Tribune)

Publié le par Reporterre via M.E.

L’« indépendance énergétique française » acquise grâce au nucléaire n’est qu’un mensonge d’État, estime l’auteur de cette tribune. Le gouvernement répète ce mantra pour justifier la construction de nouveaux réacteurs.

À la demande du groupe parlementaire Les Républicains, l’Assemblée nationale devrait lancer une « commission d’enquête sur les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France » sous les présidences de François Hollande, puis d’Emmanuel Macron.

Bonne nouvelle. On va enfin parler de la prétendue « indépendance énergétique » de la France, tant vantée par le président Macron. Lors de son discours du 8 décembre 2020 au Creusot, il affirmait en effet : « Nous avons fait le choix du nucléaire en 1973 pour gagner en indépendance énergétique et, contrairement à certaines voix que j’ai pu encore entendre récemment, la France n’a pas tout mal fait dans son passé. » Sur le site de l’Élysée, la retranscription de ce discours précisait même qu’« en générant plus de 41 % de l’énergie en France, le nucléaire nous [rendait] autonomes ». Or, c’est faux, pour une raison toute simple.

Selon l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), le taux d’indépendance énergétique d’un pays est le rapport entre sa production et sa consommation d’énergie primaire (chaleur générée par la fission nucléaire dans les réacteurs, charbon, pétrole, gaz naturel, hydraulique, énergies renouvelables). À ce jour, il le calcule toujours en utilisant une convention datant de l’époque où l’uranium des réacteurs nucléaires provenait de mines françaises (dont la dernière a fermé en 2001). La chaleur dégagée par la fission nucléaire y est apparentée à une production nationale. Sur cette base, l’INSEE estimait donc à 55,5 % le taux d’indépendance énergétique de la France en 2020.

Calculé à partir des données publiées par Eurostat, l’organisme statistique européen, ce taux (réel) était, pour la même année, de l’ordre de 13,5 % [1]. Bien loin, donc, de la valeur annoncée par l’INSEE et des affirmations de l’Élysée. Et, ce qui est plus grave, le taux d’indépendance a été divisé par près de 1,8 en cinquante ans de nucléarisation à marche forcée : il était de 23,9 % en 1973.

Autre hic : le développement à marche forcée du chauffage électrique

Parallèlement, le pays est devenu l’un des plus « thermosensibles » d’Europe à cause du chauffage électrique. Selon RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, un degré de baisse de température extérieure augmente la puissance appelée sur le réseau de 2 400 mégawatts (MW). Ce pari sur l’électrique, une « exception française », a été encouragé, à partir de 1973, par des réglementations favorables et par des soutiens massifs d’EDF (tarification, subventions, aides techniques et commerciales aux promoteurs et installateurs, etc.).

EDF y a trouvé un moyen commode et rapide d’augmenter massivement ses ventes d’électricité pour financer son programme nucléaire. Mais les réacteurs nucléaires ne suffisant pas à fournir toute la puissance nécessaire en période froide, il faut faire fonctionner les centrales à gaz, à charbon et à fioul pour alimenter les chauffages électriques. Dans un contexte où les centrales à charbon sont bannies, où l’approvisionnement en gaz est remis en cause et où l’indisponibilité des réacteurs augmente, la dépendance aux importations d’électricité s’accroît et les risques de coupure de chauffage aussi.

L’uranium est importé en totalité depuis 2003

La France est dans un cercle vicieux de dépendances. Selon un article du Monde, l’uranium est importé en totalité depuis 2003. Et, en 2020, il provenait à 90 % de pays sous influence russe (Ouzbékistan : 26 % ; Kazakhstan : 29 %) ou chinoise (Niger : 35 %). Le reste (10 %) provient d’Australie.

Mais ce n’est pas tout. Pour alimenter les réacteurs nucléaires français, des « assemblages combustibles » sont importés d’une usine en Allemagne, alimentée en hexafluorure d’uranium par la Russie. Pour sa « chaîne d’approvisionnement et de transformation de l’uranium » la France dépend donc de ce pays vers lequel elle expédie une partie des déchets radioactifs issus du « retraitement des combustibles usés »

Relancer le nucléaire, c’est aller à rebours de l’histoire

La France est en réalité un des maillons faibles de l’Europe de l’énergie : elle ne respecte pas ses engagements d’efficacité énergétique et de part des renouvelables dans le bilan énergétique. Elle fait commerce de matières fissiles et de technologies nucléaires avec la Russie. Cela empêche très probablement toutes sanctions efficaces dans ce secteur stratégique pour le chef de guerre Poutine. Andreas Kübler, porte-parole allemand du ministère fédéral de l’Environnement, l’a regretté publiquement au moment de l’arrivée d’une cargaison d’uranium russe à l’usine de Lingen, en Allemagne. Et pour masquer son incurie, le gouvernement fait mine de vouloir accélérer le développement des énergies renouvelables. Cette gesticulation politique n’effacera pas l’indisponibilité croissante des réacteurs nucléaires : supérieure à 50 % actuellement, contre 32 % en 2020 (avec dix réacteurs complètement arrêtés toute l’année), selon le World Nuclear Industry Status Report de 2021 

© Réseau Sortir du nucléaire

Devant le siège social d’EDF, en 2020. EDF a annoncé vouloir augmenter la durée de fonctionnement de la centrale nucléaire de Tricastin, qui a fêté ses 40 ans en 2021.

Relancer la construction de réacteurs nucléaires aujourd’hui, au prétexte de la transition écologique, c’est pourtant aller à rebours de l’histoire et de la démocratie. C’est oublier le risque de catastrophes d’ampleur mondiale et le danger à se soumettre, à l’heure de la crise écologique, à des régimes antidémocratiques comme la Chine et la Russie, prêts à faire des centrales de potentielles cibles militaires. Sans compter la production de déchets radioactifs ingérables et la poursuite de scénarios-catastrophes puisque, en attendant les nouveaux, EDF prétend mener jusqu’à 50 ou 60 ans ses anciens réacteurs, dont la moitié est déjà hors d’usage… N’est-il pas temps d’avoir un vrai débat public sur l’ensemble des enjeux liés au nucléaire, et hors des mensonges nucléaristes ?

L'auteur : François Vallet est ingénieur en génie climatique, énergétique et environnement.

Source : https://reporterre.net/Non-la-France-n-est-pas-independante-grace-au-nucleaire

Publié dans Nucléaire, Energie

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