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Publié le par Sciences & Avenir via M.E.

Pour exploiter l'inépuisable carburant prodigué par notre étoile, les ingénieurs améliorent sans cesse d'autres dispositifs que les panneaux photovoltaïques. Notamment le solaire à concentration, qui possède un atout majeur : il peut produire de l'électricité la nuit.

XINHUA/XINHUA-REA

Maroc. D'une puissance installée de 150 MW, la centrale solaire à tour de Noor Ouarzazate III a été mise en service en 2016. Sa capacité de stockage thermique lui permet de produire de l'électricité de nuit pendant sept heures.

Dix mille fois la consommation mondiale actuelle d'électricité : c'est à peu près ce que représente le potentiel de l'énergie solaire théoriquement exploitable sur terre, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Une gigantesque ressource renouvelable que l'humain ne met à profit méthodiquement que depuis peu, notamment grâce aux panneaux photovoltaïques (PV), qui transforment directement la lumière en électricité. Leur prix a été divisé par cinq entre 2010 et 2020, tandis que la puissance installée au niveau mondial a été multipliée par vingt. Ce succès fait de l'ombre à d'autres formes d'énergie solaire, moins exploitées, mais qui n'ont pas dit leur dernier mot.

Point de départ commun à ces technologies : la transformation du rayonnement solaire en chaleur, indispensable non seulement pour des usages domestiques, mais surtout pour l'industrie. Une chaleur que l'on sait convertir en électricité - après tout, il suffit de faire bouillir de l'eau pour alimenter en vapeur une turbine - et stocker de façon plus économique que cette dernière.

La première de ces techniques est l'énergie solaire thermique, autrement dit la capture directe du rayonnement solaire et sa transformation en chaleur. Un serpentin de métal sombre (cuivre, aluminium…) absorbe le rayonnement solaire et communique la chaleur captée à de l'eau circulant dans un dispositif plus ou moins sophistiqué. "La première façon d'améliorer le rendement consiste à enfermer le serpentin dans un châssis vitré, afin de faire jouer l'effet de serre, explique Thomas Fasquelle, maître de conférences à l'Institut universitaire des systèmes thermiques industriels (IUSTI) de l'Université Aix-Marseille. On peut également le peindre à l'aide d'une peinture sélective, qui absorbe au mieux le spectre du rayonnement solaire et minimise l'émission infrarouge. Mais le plus efficace est le 'double tube' : l'eau circule dans un tube noir placé dans un tube en verre sous vide." Ce qui améliore l'isolation.

Utilisé avant tout pour la production d'eau chaude sanitaire, le solaire thermique permet aussi de chauffer des locaux. Des dispositifs produisant du froid à partir de la chaleur permettent même de les climatiser.

Selon l'AIE, l'eau chaude solaire concernait 250 millions de logements dans le monde en 2020, avec un succès variable d'un pays à l'autre, qui ne dépend pas uniquement de l'ensoleillement local : sur le podium du parc installé, per capita, on trouve la Barbade, Chypre et Israël. Le quatrième pays étant… l'Autriche. À noter qu'il existe des panneaux solaires hybrides, à la fois thermiques et photovoltaïques.

Dès l'Antiquité, les propriétés du miroir parabolique sont connues

Plus complexe est l'énergie solaire dite thermodynamique, souvent appelée solaire à concentration. Cette fois, il s'agit de focaliser les rayons du Soleil à l'aide de miroirs afin d'obtenir des températures élevées, qui peuvent être exploitées pour produire notamment de l'électricité.

Fin 2022, la puissance mondiale installée en centrales électriques solaires à concentration atteignait les 7,3 gigawatts (GW), selon les estimations de l'AIE. Dont 2,3 GW en Espagne, pays qui a eu dès les années 2000 une politique très volontariste dans ce domaine. Ce parc de centrales solaires ne représente, certes, qu'environ un pour cent de la puissance installée en panneaux photovoltaïques (773 GW) à la même date… mais cela pourrait changer. Pourquoi ? Parce que cette approche présente un atout de poids : elle permet de stocker l'énergie en grande quantité sous forme de chaleur, et de produire ainsi de l'électricité, même après le coucher du Soleil. La nuit, les centrales solaires espagnoles produisent jusqu'à 800 mégawatts !

L'histoire de l'énergie solaire à concentration a commencé avec le miroir parabolique, qui concentre les rayons du Soleil vers un point focal. Il faut écorner la légende selon laquelle le Grec Archimède aurait, lors du siège de Syracuse (213 avant J.-C.), utilisé des miroirs pour incendier les navires romains. Les historiens des sciences n'y croient guère… Cependant, le traité "Sur des miroirs brûlants" du mathématicien grec Dioclès (vers 240-vers 180 avant J.-C.) laisse peu de doute sur le fait que cette propriété du miroir parabolique était théorisée dès cette époque.

Un regain d'intérêt pour ces miroirs est perceptible au 17e siècle, notamment en France. Ainsi, François Villette (1621-1698), opticien à la cour de Louis XIV, fabrique-t-il un "miroir ardent" en bronze d'un mètre de diamètre, avec lequel il parvient à faire fondre divers objets.

Au siècle suivant, Buffon (1707-1788) innove en faisant fabriquer en 1747 et 1750 deux versions successives d'un miroir composite. Le second, mesurant à peu près deux mètres sur deux, est constitué de 360 petits miroirs plans orientables. Il peut ainsi, au prix d'un fastidieux réglage, focaliser la lumière solaire à des distances variables. De son côté, Antoine Lavoisier (1743-1794) concentre les rayons du Soleil à l'aide d'un jeu de deux lentilles. Il atteint la température de fusion du platine : 1 750 °C.

Au 19e siècle, Augustin Mouchot (1825-1912) réalise en 1866 le premier moteur solaire : un miroir parabolique concentre la lumière solaire sur la chaudière d'une machine à vapeur.

En 1970, la France inaugure un four solaire d'un mégawatt

Arrive le 20e siècle. En 1946, le chimiste et physicien Félix Trombe (1906-1985) expérimente, à l’observatoire de Meudon, un four solaire réalisé à partir d’un miroir de deux mètres de diamètre issu d’un projecteur abandonné par la DCA allemande. Il parvient à provoquer la fusion d’oxydes particulièrement réfractaires, comme l’oxyde de thorium, à 3 200 °C.

"Il ne fait pas de doute que la France a été pionnière, assure Gilles Flamant, conseiller scientifique au laboratoire Procédés, matériaux et énergie solaire (Promes)-CNRS, qu’il a dirigé de 2004 à 2016. Félix Trombe, trois ans plus tard, fait construire un prototype de four solaire de 50 kW à Mont-Louis, dans les Pyrénées-Orientales. Puis, non loin de là, le grand four solaire d’Odeillo, d’une puissance d’un mégawatt, qui fut inauguré en 1970."

Championne des températures extrêmes, cette installation concentre la lumière du Soleil en deux temps. Un champ de 63 "héliostats", des miroirs constamment orientés pour suivre la course de notre astre (2.835 mètres carrés au total), concentre sa lumière vers un énorme miroir parabolique fixe de 48 mètres de large sur 54 de haut. Résultat : un facteur de concentration rare, de l’ordre de 10 000.

Capable d’atteindre une température de 3.500 °C, le four d’Odeillo permet de réaliser des expériences de métallurgie et de mener d’autres travaux de recherche. Mais sa complexité et son coût n’en font pas un bon modèle pour la production d’électricité. Les paraboles simples posent d’autres problèmes. Il faut notamment les orienter selon deux axes, ce qui complexifie l’extraction de la chaleur depuis leur foyer. C’est un physicien britannique, Charles Vernon Boys (1855-1944), qui inventera le capteur "cylindro-parabolique". De section parabolique, mais tout en longueur, ce type de miroir concentre les rayons du Soleil sur une ligne focale où est placé un tube dans lequel circule un liquide caloporteur. Aligné sur un axe Nord-Sud, il peut suivre l’astre sur l’axe Est-Ouest au prix d’une simple rotation. La majorité des centrales solaires à concentration installées à ce jour sont de ce type.

Les années 1970 verront la naissance d'un autre concept de centrale solaire : la centrale à tour. La lumière y est captée par un vaste champ d'héliostats orientés individuellement, mais qui renvoient la lumière du Soleil directement sur un récepteur au sommet d'une tour placée au centre du dispositif. La première centrale opérationnelle de ce type, d'une puissance de 5 MW, fut installée en 1976 à Albuquerque (États-Unis). La lumière étant concentrée en un seul point, la centrale à tour permet d'obtenir des facteurs de concentration dix fois supérieurs (entre 500 et 1000, contre 50 à 70 en cylindro-parabolique) et des températures plus élevées. Et donc, en vertu du principe de Carnot, de meilleurs rendements.

Pour stocker la chaleur, diverses solutions ont été testées. La plus employée actuellement consiste à porter à haute température, et à stocker dans des cuves bien isolées thermiquement, des sels fondus (typiquement, un mélange de nitrates de sodium et potassium). Lesquels peuvent éventuellement être directement utilisés comme fluide caloporteur.

Mais une chute accidentelle de la température sous leur point de fusion peut entraîner des conséquences fâcheuses. C'est pourquoi on fait appel dans certains cas à un fluide caloporteur distinct, qui communique sa chaleur au fluide de stockage via un échangeur de chaleur.

Désormais, la centrale à tour a le vent en poupe. "Elle permet d'atteindre des températures bien plus élevées et nécessite moins de tuyauterie, ce qui favorise l'usage de sels fondus directement comme fluide caloporteur, facilitant le stockage de chaleur, assure Thomas Fasquelle. On envisage de plus en plus d'utiliser ces centrales à tour en complément des centrales photovoltaïques, essentiellement pour stocker de la chaleur de jour afin de produire de l'électricité la nuit."

Mais la chaleur issue d'une centrale à concentration peut être exploitée sans passer par la case électricité. Notamment pour faciliter des réactions chimiques intéressantes. Celles, par exemple, qui permettent de transformer le biogaz, un cocktail issu de la biomasse de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2), en "syngas", mélange de monoxyde de carbone (CO) et d'hydrogène (H2). Syngas dont on sait depuis un siècle tirer des carburants, comme l'essence ou le kérosène, via le procédé Fischer-Tropsch. Des carburants certes carbonés, mais non fossiles et renouvelables.

Bientôt, de la bière solaire "bas carbone"

Mieux, à 1 500 °C, on sait transformer le CO2, additionné d’eau (H2O), en syngas. Une équipe de l’École Polytechnique Fédérale de Zurich (ETHZ) y travaille depuis longtemps, et sa technologie est aujourd’hui valorisée par la start-up Synhelion.

Mieux encore, une équipe de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) vient de réaliser un réacteur photo-électrochimique pilote de deux kilowatts, capable de "craquer" la molécule d’eau et ainsi de produire de l’hydrogène, un carburant propre entre tous. Cette technologie sera valorisée par la start-up SoHHytec.

"L'avantage majeur du solaire à concentration sur le photovoltaïque est qu'il permet une production nocturne, insiste Gilles Flamant. Des recherches visent aujourd'hui à améliorer encore l'efficacité du stockage de la chaleur. Les sels fondus sont exploitables jusqu'à 565 °C. Mais pour obtenir un meilleur rendement, on vise les 800-1 000 °C. Notre équipe travaille sur de nouveaux 'fluides', notamment des particules de céramique transportées dans un gaz."

Mais la chaleur issue de cette technologie pourrait être mise à profit plus massivement. "L'exploitation directe de la chaleur d'origine solaire dans l'industrie est la grande oubliée de l'histoire, estime le chercheur. Et pourtant, 70 % de l'énergie consommée par l'industrie sert à produire de la chaleur. .. Je mets en route actuellement un projet visant à étudier comment on peut recourir à cette chaleur solaire pour décarboner l'industrie." Elle pourrait en particulier être exploitée dans des filières au bilan carbone désastreux, comme celle du ciment ou de l'acier. Mais aussi dans bien d'autres secteurs : Heineken fait actuellement construire à Séville, sur 40 hectares, une centrale cylindro-parabolique qui lui permettra de produire très prochainement de la bière solaire "bas carbone".

La cuisson solaire fait ses premiers plats

À Montville, en Normandie, Arnaud Crétot, ingénieur reconverti dans la boulangerie, propose depuis 2019 son pain solaire. Son installation comporte onze mètres carrés de petits miroirs qui concentrent les rayons vers l'ouverture d'une chambre de cuisson. Autre exemple : à Marseille, Pierre-André Aubert, ingénieur devenu cuisinier, propose depuis 2020, dans sa guinguette Le Présage, des petits plats dont la cuisson est assurée, selon le même principe, par une parabole composite de huit mètres carrés.

Et il a lancé la construction d'un restaurant solaire… en dur. "La cuisson solaire rencontre un certain succès en Inde, assure Thomas Fasquelle, maître de conférences à l'Institut universitaire des systèmes thermiques industriels. Ainsi que dans quelques pays d'Afrique et d'Amérique du Sud. Une poignée de fabricants propose désormais des solutions prêtes à l'emploi, pour répondre à des besoins collectifs et même individuels. En France, on peut se tourner vers Solar B rother, une start-up créée en 2016."

La cuisson solaire présente toutefois quelques inconvénients. Les dispositifs sont encombrants, leur maniement encore compliqué… "Souvent, on ne peut pas voir ce que l'on cuit, indique Thomas Fasquelle. Par ailleurs, les dispositifs les plus simples atteignent péniblement les 150 °C. Pour monter à 200-300 °C, c'est plus compliqué. Et Il faut faire des progrès en ergonomie . Si l 'on parvenait à lancer un barbecue solaire pratique et bon marché, cela pourrait aider au décollage de ce mode de cuisson."

Source ; https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/developpement-durable/une-autre-energie-solaire-est-possible_172347

Publié dans Energie, Solaire

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