Consommation d’alcool : «La politique du gouvernement entretient une culture laxiste»
Alors que le gouvernement vient d’écarter une hausse des taxes sur les produits alcooliers, Pierre-Alexandre Kopp, avocat au barreau de Paris et professeur d’économie à l’université, déplore les conséquences sur la santé des consommateurs et son «coût social».
La rumeur d’une hausse des taxes sur l’alcool pour le prochain budget de la Sécurité sociale courait depuis plusieurs semaines, pour renflouer les caisses de l’Etat. La Première ministre, Elisabeth Borne, l’a balayée le 23 août au micro de France Bleu. L’alcool représente pourtant un enjeu de santé majeur et des dépenses publiques colossales. Son «coût social» a été estimé à 102 milliards d’euros en 2019, dans un rapport publié en juillet par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives.
Entrent en compte son poids dans les finances publiques (prévention, répression et soins, économie des retraites non versées, et recettes des taxes) et, surtout, son coût «externe» (valeur des vies humaines perdues, perte de la qualité de vie et les pertes de production). Pierre-Alexandre Kopp, avocat au barreau de Paris et professeur agrégé d’économie à l’université Paris 1 est l’auteur de cette note. Il revient pour Libération sur les conséquences économiques et sociales de l’alcool.
Le message d’Elisabeth Borne a un seul destinataire : les lobbys. Ce n’est pas un objectif de santé publique. A l’inverse du tabac, qui a des groupes d’intérêts en France mais pas de production, l’alcool est inscrit dans la géographie française. Les élus locaux relaient l’idée que le vin est avant tout un produit culturel, mais il contient de l’alcool et présente par conséquent des dangers. Autre différence : la cigarette est toujours dangereuse quelle que soit la quantité consommée, alors que pour l’alcool, il y a un consensus sur un seuil au-dessous duquel la consommation présente peu de risques [Santé publique France place le repère à deux verres par jour, et pas tous les jours, ndlr].
Evidemment, la politique du gouvernement entretient une culture laxiste vis-à-vis de l’alcool. La loi Evin n’est pas strictement appliquée, on ne vérifie pas que l’interdiction de la vente aux mineurs soit respectée sur le terrain. Les marques contournent aussi largement le cadre légal en utilisant les réseaux sociaux et les influenceurs pour promouvoir leurs produits.
L’alcool a un coût très important pour les finances publiques et la société en général. Coût que les taxes actuelles ne permettent pas de couvrir : il y a une masse de dépenses de santé évitables. Entre 2010 et 2019, selon les données épidémiologiques, 16 % des décès de maladies digestives chez les femmes sont liés à l’alcool. On monte à 40 % chez les hommes.
Pour les dépenses étatiques, l’argent pour ces soins pourrait être réalloué vers d’autres. Pour les malades, ce sont des années de vie perdues : l’âge moyen de décès prématurés liés à l’alcool ne dépasse pas 66 ans. Il est aussi un facteur certain d’appauvrissement pour les familles.
D’autant que l’alcoolisation excessive engendre une série de comportements désinhibés qui peuvent être très lourds, financièrement et socialement. Ça va des tournées de bar à l’endettement dans des jeux en ligne, en passant par la violence : derrière les chiffres, on trouve une addition de souffrances et la mort de milliers de personnes.
Il faut déjà commencer par appliquer la loi Evin. Ensuite, remonter les taxes et faire en sorte qu’elles s’élèvent au prorata de la quantité d’alcool contenue dans les boissons – ce n’est pas le cas pour le vin. Il faudrait au moins que la taxation couvre les dépenses publiques induites par l’alcool. L’enjeu n’est pas qu’économique, il est démontré qu’une augmentation des prix diminue la consommation.
On peut aussi ajouter un autre volet, culturel cette fois : parvenir à émettre une parole publique qui viendrait briser l’idée que l’excès d’alcool est un acte initiatique, une tradition viriliste laissant entendre que les hommes doivent savoir boire beaucoup et tenir. L’objectif n’est pas l’abstinence, mais la réduction de la consommation excessive et des risques, individuels comme collectifs, qu’ils engendrent.