Supprimons tout ce qui freine le développement des énergies renouvelables
Une tribune de Corinne Lepage. L’ancienne ministre de l’environnement observe, dans une tribune au « Monde », que la filière nucléaire ne suffira pas à renforcer notre indépendance énergétique et à réduire notre empreinte carbone.
Dans le dernier quart du XXe siècle, en seulement vingt ans, la France a été capable de construire une cinquantaine de réacteurs nucléaires. Cet exploit, nous devons le renouveler aujourd’hui. Mais attention, il ne s’agit plus seulement de construire de nouveaux réacteurs nucléaires ; il s’agit avant tout de construire des infrastructures équivalentes pour produire de l’électricité, à partir des énergies renouvelables. C’est d’ailleurs la proposition communautaire en réponse à la crise ukrainienne.
Nous pouvons très certainement le faire, à la condition de supprimer tous les freins qui existent actuellement au développement des énergies renouvelables et de l’autoconsommation collective. L’Union européenne tend également à le penser, puisqu’elle a reconnu qu’investir massivement pour doter notre pays des entreprises capables d’améliorer les procédés, de construire les infrastructures et de les entretenir était un droit.
Et nous n’avons pas d’autres choix que de le faire aujourd’hui. En effet, tous les voyants sont au rouge sur la filière nucléaire. Même si nous voulions et pouvions réaliser dans les vingt ans à venir six réacteurs EPR, cela ne résoudrait en rien nos problèmes actuels et à venir. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire a très clairement indiqué devant la représentation nationale, le 17 mai, que la prolongation à soixante ans de la durée de vie de nos centrales était plus qu’improbable, et que même la prolongation à cinquante ans était problématique.
Nos réacteurs les plus jeunes, mais aussi les plus puissants, sont pour l’essentiel à l’arrêt du fait d’un phénomène de corrosion dû à des problèmes de conception. En conséquence, les scénarios RTE basés sur le maintien d’une forte puissance nucléaire jusqu’à l’arrivée des nouveaux réacteurs sont remis en cause. Quant à la réalisation des EPR, elle se heurte manifestement à des problèmes de conception en ce qui concerne les réacteurs en cours de construction dont le retard s’accumule. Cela vaut pour Flamanville comme pour Hinkley Point, ce qui rend très aléatoire le calendrier envisagé. A ceci s’ajoutent deux problèmes immédiats, à la fois pratiques et juridiques.
Le premier est celui de l’indisponibilité de la moitié du parc nucléaire. L’Autorité de sûreté nucléaire a indiqué que cette indisponibilité pouvait être amenée à croître, ce qui pose réellement des problèmes d’alimentation en électricité et entraîne la surenchère des coûts due à notre importation massive. Dès lors, seuls la sobriété et un plan massif d’énergie renouvelable peuvent être des solutions immédiates.
L’industrie du solaire indique avoir la capacité de fournir l’équivalent d’un réacteur nucléaire par an, soit cinq réacteurs sur le quinquennat, auxquels devra s’ajouter la réalisation d’éoliennes terrestres et surtout marines.
Le deuxième problème est d’ordre juridique. Le retard français en matière d’énergie renouvelable est abyssal, et ce d’autant plus que l’objectif d’énergie renouvelable en 2030 est passé de 30 % à 40 %. Cette menace juridique qui pèse sur la France s’accompagne d’une opposition de l’Allemagne, annoncée il y a quelques jours, sur le projet de taxonomie intégrant le nucléaire dans la taxonomie verte. Cela n’est pas surprenant, compte tenu de l’incompatibilité de cette énergie avec les critères des énergies de transition visés au règlement sur la taxonomie.
Aussi devons-nous entrer dans cette nouvelle logique et en faire une dynamique nationale, comme a pu l’être le projet nucléaire en son temps. Il en va d’autant plus ainsi que les fonds communautaires, surtout dans le contexte du RePowerEU, sont d’énormes sommes à destination des énergies vertes. Par ailleurs, dans le cadre de la planification territoriale voulue par le chef de l’Etat, le développement de projets territoriaux d’énergie renouvelable est un facteur de développement économique local remarquable, de synergies et de cohésion des territoires, dès lors que les projets sont portés par les collectivités locales et soutenus par les habitants.
A ceci s’ajoute le fait que l’autoconsommation collective, qui réduit à quasiment rien le transport de l’électricité, est une source de réduction des coûts très importante pour les habitants, et donc de récupération de pouvoir d’achat. Pour toutes ces raisons, le moment est venu, au moins dans l’immédiat, de lancer un grand programme national d’énergie renouvelable visant à atteindre effectivement les 40 % d’ici à 2030. Ce projet est plus que gagnant.
L'auteur : Corinne Lepage est ancienne ministre de l’environnement (1995-1997) et ancienne députée européenne (2009-2014), préside, avec Jean-Marc Governatori, le parti politique Cap écologie.