Le plus sûr chemin pour accéder à l’indépendance énergétique n’est pas le nucléaire mais la sobriété énergétique
Une tribune de Stéphen Kerhove, directeur général d'Agir pour l'environnement. Avant de penser à ajouter de nouvelles capacités de production coûteuses, il y aurait un intérêt à repenser notre modèle énergétique, estime le militant écologiste dans une tribune au « Monde ».
Le contexte sanitaire et la situation internationale rendent notre époque particulièrement anxiogène. Cette inquiétude semble conduire à un conformisme énergétique qui postule que, pour rompre la dépendance à l’égard des pétromonarchies et autres dictatures gazières, il nous faudrait accroître nos capacités de production renouvelables et nucléaires.
Nonobstant le fait que nos réacteurs nucléaires soient principalement alimentés par de l’uranium kazakh, dont le régime oppresseur n’a rien à envier à l’autoritarisme russe, il est un fait révélateur qui devrait nous interpeller : jamais ou presque le principe d’une sobriété énergétique n’est appréhendé avec sérieux par notre classe politique.
Au mieux est-il vilipendé ou caricaturé, supposant que cette sobriété ne serait qu’une version édulcorée d’une décroissance mal assumée.
Pourtant, avant de penser à ajouter de nouvelles capacités de production coûteuses, n’y aurait-il pas quelque intérêt à repenser notre modèle énergétique en cherchant à produire ce qui est consommé et non pas à consommer ce qui est produit ?
Près de la moitié de la facture électrique des communes est induite par l’éclairage public et pourrait être réduite drastiquement en luttant contre la pollution lumineuse. Réduire de 10 km/h la vitesse autorisée sur autoroute engendre une baisse de la consommation de 14 %. Près de 10 % du trafic aérien est lié aux vols de jets privés, naviguant à vide 40 % du temps.
La moitié des dix milliards de bouteilles plastiques, issues de la pétrochimie, commercialisées en France ne sont pas recyclées ! La décision de déployer la 5G pourrait, selon le Haut Conseil pour le climat, induire une augmentation de notre consommation d’électricité de 16 térawattheures (TWh) et de 40 TWh en 2030, soit entre 5 % et 13 % de la consommation nationale d’électricité du résidentiel et du tertiaire.
Des dizaines de milliers de panneaux publicitaires rétroéclairés absorbent unitairement l’équivalent électrique de trois familles de quatre personnes. Nous pourrions multiplier les exemples de gaspillage qui en disent long sur notre addiction à des ressources énergétiques perçues comme infinies et quasi gratuites.
Par peur ou conformisme, notre classe politique mésestime l’intérêt économique d’un grand retour de la « chasse au gaspi ». Faute d’ambition politique inscrite dans le temps et dans l’espace, nos logements demeurent trop souvent des passoires thermiques, nos automobiles, fussent-elles électriques, sont frappées d’obésité, et notre urbanisme tentaculaire, fait de grands projets inutiles et autres hypermarchés, court encore après ce qui fit le succès des « trente glorieuses », qui se mue aujourd’hui en cinquante gaspilleuses.
Face à cet impensé, nous devons rappeler les vertus de la sobriété. Comme le veut la formule consacrée, l’énergie la moins polluante est celle que l’on ne consomme pas. A l’heure où l’Europe redécouvre le danger de sa dépendance au gaz russe après avoir oublié son addiction au pétrole du Moyen-Orient, il est urgent d’en finir avec une certaine forme de pensée unique énergétique, qui relève souvent de la pensée magique.
Il est en effet profondément insatisfaisant que les termes du débat soient systématiquement posés par et pour les producteurs et jamais par et pour les consommateurs. Chauffer une maison à 19 °C requiert plus ou moins d’énergie en fonction de l’isolation de sa maison. Faire ses courses nécessite plus ou moins d’énergie en fonction de son éloignement et du véhicule utilisé pour accéder aux commerces de proximité.
Pourvoyeuse en emplois non délocalisables et source d’économie, la sobriété énergétique réduirait considérablement le déficit de notre balance commerciale, qui, rappelons-le, a atteint un record absolu en 2021 de 84,7 milliards d’euros. La moitié de ce déficit est due à notre facture énergétique.
La campagne présidentielle en cours est une occasion formidable d’ouvrir les horizons et d’enfin oser sortir des caricatures présentant les tenants de la sobriété en adeptes des amish et de leurs lampes à huile. L’heure est venue de revisiter nos certitudes énergétiques et d’opter pour un vaste plan d’économies d’énergie. Le plus sûr chemin pour accéder à l’indépendance énergétique de l’Europe n’est pas le nucléaire, qui ne représente que 17 % de l’énergie finale consommée en France, mais la sobriété énergétique.
Gageons que nos candidats à l’élection présidentielle seront à la hauteur de l’histoire. L’énergie est notre avenir… Economisons-la.
N.B. Agir pour l’environnement est une association qui interpelle les pouvoirs publics sur des problématiques environnementales.