Éolien offshore : un déploiement européen au défi de l’appropriation territoriale
L’Union européenne s’est entendue en octobre 2023 pour doubler la part des énergies renouvelables dans sa consommation énergétique d’ici à 2030 (42,5 % du mix énergétique), notamment en facilitant les procédures d’autorisation des infrastructures.
En France, la loi d’accélération des énergies renouvelables promulguée en mars 2023 doit permettre un déploiement simplifié de l’éolien et de sa composante marine afin d’atteindre l’objectif étatique de 45 GW d’éolien offshore d’ici à 2050.
Si l’éolien marin s’inscrit dans le cadre du modèle national centralisé, il répond aussi à une logique européenne, étant inséré dans des systèmes techniques régionaux interconnectés – plus de 6 100 éoliennes en mer sont installées en Europe. Conçu à des échelles transfrontalières, il se présente comme une technologie fédératrice pour relancer et réinventer le projet d’Europe de l’énergie dans un contexte de crise systémique générée par le conflit russo-ukrainien : crise de sécurité géopolitique, crise du prix de l’énergie et crise de la souveraineté industrielle.
Si jusqu’ici les États membres côtiers ont rarement coopéré sur des projets d’énergies marines renouvelables, la déclaration commune d’Ostende en avril 2023 doit favoriser une normalisation des approches et des objectifs dans le déploiement de l’éolien offshore en mer du Nord.
Cette collaboration transfrontalière exige de repenser le processus de la planification énergétique et de la gouvernance pour une bonne coordination entre États, les parcs éoliens marins reliant souvent plusieurs pays. Inauguré en 2021, le parc de Kriegers Flak (606 MW) est ainsi connecté à l’Allemagne et au Danemark. Une opportunité pour moderniser un réseau électrique européen vieillissant (plus de 54 000 kilomètres de lignes de transmission devraient être construits d’ici 2050), tout en établissant des stratégies inter-portuaires de décarbonation et de diversification industrielle à l’échelle du continent.
Contesté par la Belgique, le projet éolien marin de Dunkerque (d’une puissance de 600 MW, mise en service en 2028) témoigne du déficit d’harmonisation européenne en la matière : les parcs belges sont actuellement situés à 23 et 54 km des côtes alors que le projet français sera à une distance d’environ 11 km.
La Commission a ainsi proposé en octobre 2023 166 projets énergétiques transfrontaliers en vue d’un soutien de l’UE pour contribuer à la mise en œuvre du pacte vert pour l’Europe, parmi lesquels de nombreux projets éoliens offshore. À plus long terme, le développement de l’éolien flottant pourrait se présenter comme une opportunité de coopération pour le bassin méditerranéen.
La gouvernance environnementale et énergétique ne se résume pas aux échelles internationale et nationale mais se joue aussi au niveau des territoires : l’enjeu est de faire dialoguer ces différentes échelles, en tenant compte du processus de territorialisation des espaces maritimes et de celui de la transition énergétique.
L’émergence d’un modèle post-carbone s’inscrit dans la construction de systèmes énergétiques territorialisés, la planification servant à intégrer le déploiement des énergies renouvelables dans un projet de territoire cohérent et incorporé par les habitants.
Mais le caractère centralisateur de l’éolien offshore, directement piloté par l’État central, se heurte au défi de l’acceptabilité, qui se réalise à l’échelle locale. Le gigantisme de l’éolien offshore et son caractère très capitalistique – le projet éolien en mer de Saint-Nazaire avoisine les 2 milliards d’euros d’investissement – rend délicat le processus de territorialisation et d’appropriation par les citoyens.
À la différence des énergies renouvelables décentralisées (la puissance moyenne d’un parc éolien terrestre en France est de 10 MW) où des démarches « coopératives » et « citoyennes » peuvent se façonner (via notamment le financement participatif), les communautés locales ne sont pas à l’initiative des projets éoliens offshore, et à ce titre, n’ont pas le contrôle politique sur les infrastructures.
L’articulation entre le centralisme de cette filière énergétique et une administration plus visible de l’échelle locale reste un défi complexe, l’État devant, selon la Cour des comptes, « prendre en compte la dimension internationale et associer les collectivités territoriales » dans le développement de l’éolien marin.
En bousculant à la fois les usages des activités maritimes traditionnelles (la pêche, la plaisance, etc.), les imaginaires culturels (notre rapport à l’horizon marin et à l’énergie) et l’inertie du système énergétique (notamment le système électronucléaire), l’éolien offshore a vu se multiplier les controverses contre lui.
Ces conflits territoriaux obligent donc à travailler sur les échelles d’acceptabilité sociale, tout en encourageant à innover sur les aspects technologiques. Comme le soulignait un rapport parlementaire, « la distance aux côtes constitue un enjeu mateur d’acceptabilité des éoliennes en mer ». Pour y répondre, le déploiement de l’éolien flottant permettra de faciliter le processus d’acceptabilité « en invisibilisant » les machines depuis la côte. Le premier parc éolien flottant d’Atlantique (250 MW) sera ainsi installé à plus de 20 km de Belle-Île-en-Mer, soit deux fois la distance du parc éolien posé de Dunkerque.
L’acceptation sociale des projets éoliens offshore serait donc tridimensionnelle : acceptation sociopolitique, acceptation communautaire et acceptation par le marché.
Sur ce dernier point, il est certain que la réindustrialisation des territoires et ses retombées économiques (développement de l’emploi local pour partager et décupler la valeur) par la transition énergétique se présentent comme un facteur d’acceptabilité de l’éolien offshore.
Cette acceptabilité sociale par le critère « plus-value économique » devrait aujourd’hui passer par une meilleure valorisation des critères sur le contenu local dans la mise aux enchères de capacité et les appels d’offres.
L’acceptabilité sociale de l’éolien en mer se joue aussi au regard des impacts sur les habitats et les espèces marines. En novembre 2023, 4 ONG ont adressé une demande préalable à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, pour pointer les incompatibilités entre les documents stratégiques dédiés à chaque façade maritime et la réglementation européenne en matière de protection de l’environnement marin.
Cette dernière est encadrée par trois directives européennes, qui impliquent la désignation d’aires marines protégées (réseau Natura 2000) et une surveillance régulière de l’état écologique des habitats et des espèces et la réduction des pressions exercées par les activités humaines. Malgré ce cadre réglementaire, la plupart des usages en mer font l’objet de dérogations, faute de pouvoir satisfaire ces conditions.
Avant l’implantation d’un parc éolien, des études réglementaires sont réalisées pour évaluer l’état initial de la zone et les impacts du projet retenu par l’État. Ceux des éoliennes en mer dépendent des espèces et des habitats présents, des caractéristiques du parc, de son emplacement et de la phase du projet.
Par exemple, les mammifères marins sont exposés à un risque acoustique pendant les travaux puis dans une moindre mesure par les navires de maintenance en phase de fonctionnement. Si le parc est fermé à la pêche, les animaux peuvent néanmoins y chasser sans concurrence. De leur côté, les oiseaux peuvent être sensibles au risque de collision avec les pales. Et lorsqu’ils savent éviter les parcs, ils sont privés d’habitats utiles à leur cycle de vie.
L’étude d’impact d’un parc éolien s’accompagne de mesures de baisse des impacts, selon la séquence dite éviter, réduire et compenser.
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L’évitement consiste d’abord à rechercher des zones d’implantation de moindre risque, c’est-à-dire peu fréquentées par les espèces sensibles.
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La réduction des impacts est associée au projet : conduire les travaux sur des périodes moins risquées (absence des animaux ou hors reproduction) en utilisant des rideaux de bulles pour réduire le bruit sous-marin, arrêter les turbines en période de migration des oiseaux, etc.
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La compensation est la dernière mesure possible quand les deux précédentes ne permettent pas d’arriver à un impact nul : elle est peu réalisable en milieu marin.
Les directives européennes de conservation du milieu marin s'appliquent au niveau local, notamment au sein des aires marines du réseau Natura 2000 et des autres périmètres de protection tels que les parcs nationaux ou les parcs marins.
Pour les opposants aux projets éoliens, le respect des réglementations européennes et nationales signifie que les zones Natura 2000, les aires marines protégées, les frayères, les nourriceries et les couloirs de migration doivent être préservés de toute implantation éolienne.
Malgré les retours d’expérience des parcs déployés en Europe du Nord depuis 20 ans, les connaissances des impacts réels sur la faune marine restent partielles mais des recherches se développent. D’un point de vue environnemental, l’équilibre est délicat : d'un côté, l’urgence de la décarbonation des énergies pour limiter le réchauffement climatique qui impacte fortement les espèces marines ; de l'autre, la préservation d’une biodiversité compromise par ces grandes infrastructures implantées dans des espaces maritimes vierges.
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