Habitués aux sodas, ces jeunes n'arrivent plus à boire d'eau

Publié le par Slate.fr via M.E.

Des centaines de jeunes se sont reconnus dans les propos d'une femme qui se disait incapable de boire de l'eau.

Elle Hughes via Pexels

Lorsque la réserve de soda est vide, Chloé préfère rester déshydratée en attendant un nouvel arrivage dans le frigo.

Il m'est impossible de boire de l'eau.» Dans une vidéo publiée sur TikTok, Chloé, 18 ans, se montre rongée par l'inquiétude. La jeune femme affirme n'avoir bu qu'en cas d'extrême d'urgence lors de ces cinq dernières années. Soit cinq petits verres d'eau…

Qu'elle soit plate ou gazeuse, le (non-)goût de l'eau lui est trop immonde pour pouvoir en boire sans être prise de nausées. La sensation lui est tellement insupportable que les alternatives sucrées, comme les sodas, priment toujours dans sa manière de s'hydrater, et cela même dans les circonstances les plus extrêmes. Une petite soif après une randonnée? Elle emmène une bouteille de Coca-Cola. Un médicament à prendre? Il passera avec une canette d'Oasis. Et lorsque la réserve de sodas est vide, Chloé préfère rester déshydratée en attendant un nouvel arrivage dans le frigo.

Dans la tonne de commentaires qui répondent à la vidéo de Chloé, il y a des moqueries, des remises en cause de la parole de la jeune femme, mais aussi des centaines de jeunes adultes et adolescents qui s'identifient à elle.

«J'ai mis l'eau de côté»

En grande majorité, ce sont des jeunes femmes qui font état du même problème. C'est notamment le cas de Sabrina, 20 ans, qui avance ne pas ressentir un quelconque besoin biologique à boire de l'eau. Plus précisément, son besoin d'hydratation a été progressivement supplanté par des boissons sucrées, en l'occurrence les sodas comme le Coca-Cola ou les jus de fruits.

«Je pense qu'inconsciemment, j'ai mis l'eau de côté lorsque j'ai pris l'habitude de consommer d'autres alternatives», explique-t-elle. Or, cette manière de s'hydrater n'est pas sans conséquence et souvent, les premières répercussions sont directement visibles sur le corps. Très vite, des boutons sont apparus sur sa peau, qu'elle peine désormais à faire disparaître. Elle a également constaté des problèmes d'infection urinaire, qui sont d'après elle liés aux trop faibles quantités d'eau qu'elle consomme.

Aux yeux d'une médecin nutritionniste, une seule donnée résume le problème: le corps, c'est environ 70% d'eau. De fait, si on coupe «le carburant», toute la machine ne tarde pas à dysfonctionner. En se privant d'eau, c'est tout le corps qui est touché, de la structure osseuse à la peau, en passant par les dents et les reins. En parallèle de Chloé et Sabrina, d'autres jeunes femmes assurent qu'un seul verre suffit à leur provoquer des maux de ventre, des nausées, la tremblote, voire des douleurs intenses dans certaines zones ciblées, par exemple au niveau des côtes.

Le champion de tous les remplaçants, le Coca-Cola, n'est pas seulement dangereux du fait de son taux de sucre élevé, mais aussi à cause d'un autre de ses composants: l'acide phosphorique. Pour de bons os, notre organisme entretient un équilibre entre le calcium et le phosphore. Comme son nom l'indique, l'acide phosphorique est chargé en phosphore, et vient par extension perturber l'équilibre et fragiliser la structure osseuse. La très forte acidité des sodas est aussi dévastatrice sur le reste de l'organisme, notamment les dents. Le pH du Coca-Cola vendu en France est d'environ 2,5, ce qui a notamment pour conséquence d'endommager l'émail dentaire. En comparaison, le pH de l'estomac est environ de 2.

Ensuite, et sans grande surprise, l'énorme quantité de sucre contenue dans ces sodas facilite la prise de poids. Une seule petite canette de Coca-Cola de 33 cl contient l'équivalent de sept morceaux de sucre. Le fait que de telles quantités soient contenues sous forme liquide est souvent trompeur aux yeux du consommateur, pour qui les doses peuvent paraître plus abstraites que celles d'autres produits sucrés. Mochii, 19 ans, qui s'est tirée de cette situation au cours de l'année dernière, explique que ses anciennes habitudes de consommation l'ont amenée vers une prise de poids et un risque de diabète.

Enfin, et assez paradoxalement, le Coca-Cola déshydrate. En raison de la caféine qu'il contient, il présente un effet diurétique. Comme boire du café, boire du Coca-Cola implique donc davantage de passages aux toilettes. En bref, ce sont autant de conséquences graves sur la santé qui devraient convaincre n'importe qui de mettre ses sodas à la poubelle.

L'envie irrésistible de sucre

Pire encore, cette dépendance aux boissons sucrées semble avoir tout d'une prison. Pour décrire la douleur qu'elle ressent en s'hydratant avec de l'eau, Chloé compare même: «Pour moi, boire un verre d'eau, c'est comme boire un litre de Coca d'un seul coup pour une personne qui n'y est pas habituée. La personne va se sentir ballonnée, moi c'est pareil avec l'eau.»

Selon la médecin nutritionniste, ces comportements relèvent sans aucun doute de l'addiction au sucre. Elle confie par ailleurs que les patients et patientes de ce type, même s'ils demeurent plutôt rares, ne sont pas à considérer comme des cas isolés et tendent à augmenter ces dernières années. Elle constate que les addictions au sucre les plus ancrées sont celles qui ont commencé le plus tôt, souvent dès l'enfance.

Dans sa vidéo, Chloé prend son cas en exemple en ajoutant que son addiction a commencé lorsqu'elle est partie vivre chez son père, où les restrictions étaient moindres. C'est à ce moment que l'adolescente s'est laissée aller aux sodas. Sans s'en rendre compte, elle est progressivement devenue dépendante et peine désormais à se défaire de l'addiction.

Mais il n'y a pas que les trajectoires personnelles qui jouent un rôle. Selon la médecin nutritionniste, l'environnement socio-économique pèse également. De sa propre expérience, elle a pu observer qu'en exerçant son métier dans différents quartiers, le problème était plus ou moins récurrent. L'étude de l'Observatoire des inégalités semble aller dans le sens de l'hypothèse de la nutritionniste: un rapport de 2022 indique que les milieux sociaux défavorisés sont davantage exposés au risque d'obésité.

La médecin nutritionniste observe que souvent, les parents issus des catégories socioprofessionnelles moins élevées cherchent à bien faire en offrant un cadeau dans les limites de leur budget. Pour eux, il est question d'offrir autre chose que de l'eau à leur enfant pour lui faire plaisir.

De fait, la clé pour retrouver psychologiquement goût à l'eau est souvent de changer de regard. Depuis qu'elle est à l'école primaire, Manon, 23 ans, éprouve de grandes difficultés à s'hydrater avec de l'eau: «Je ne compte pas en verres mais en gorgées», explique-t-elle. Bien consciente des dangers que ses habitudes impliquent, elle a décidé de changer de perspective sur l'eau en la voyant «comme une source de guérison». Même si le chemin à parcourir pour une véritable réconciliation reste long, elle s'oblige à boire de l'eau en la considérant pour ce qu'elle est: un antidote vital.

Mochii, quant à elle, est parvenue à reprendre goût à l'eau grâce aux gourdes dites rétro-olfactives, notamment commercialisées par la start-up Air Up, qui a multiplié les opérations commerciales auprès des influenceurs au cours des dernières années. Ces gourdes dégagent une odeur qui imite les goûts de certaines boissons sucrées, incitant les consommateurs que le non-goût de l'eau révulse.

De son côté, la nutritionniste affirme que chez les jeunes qui l'ont consultée, la perte de poids est souvent l'argument le plus convaincant. L'envie d'une peau plus saine est aussi souvent très considérée chez les patients. Elle constate que fréquemment, après avoir arrêté les sodas, ses clients voient leurs «kilos en trop s'évaporer» en un très court laps de temps.

Encore faut-il avoir le courage de sauter le pas. Si les problèmes liés à la consommation excessive de sodas sont relativement bien connus, la dimension psychologique rend le mur infranchissable pour beaucoup. L'idée de faire une prise de sang, ou d'aller chez le dentiste en connaissant pertinemment les remarques qui seront faites par les professionnels de santé, peut en conduire certains comme Chloé à esquiver ces rendez-vous, tétanisés par l'anxiété. Si l'immense majorité des commentaires sous sa vidéo étaient postés par des jeunes femmes, la médecin nutritionniste avance que les jeunes hommes ne sont pas à exclure de cet enjeu de santé publique.

Source : https://www.slate.fr/story/265985/boire-eau-mission-impossible-jeunes-dependance-soda-hydratation-gout

Publié dans Eau, Alimentation, Addictions

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