Les incendies et la forêt deviennent des sujets politiques d’urgence
Le Sénat publie, mercredi 3 août, un rapport sur les moyens à mettre en œuvre pour mieux prévenir les feux de forêt :
L’efficacité de la stratégie française de lutte est un modèle en Europe et dans le monde. Pour autant, cet atout ne lui suffira plus à faire face à l’augmentation du risque incendie et notamment à l’émergence de feux "hors normes" : la "guerre contre le feu" ne sera gagnée qu’au prix d’un effort impliquant toutes les politiques publiques et faisant une plus large part à la prévention.
Tel est le message central du rapport adopté, ce mercredi 3 août, par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et la commission des affaires économiques du Sénat.
Fruit d’un travail engagé en mai 2022, et mené en pleine saison de feux particulièrement dévastatrice, le rapport formule 70 recommandations, regroupées en 8 axes. Anticipation de l’évolution du risque – amené à couvrir près de 50 % des forêts françaises d’ici 2050 ; aménagement des interfaces forêt zones urbaines, gestion des espaces forestiers et agricoles ; renforcement de la sensibilisation : les leviers identifiés devront être activés conjointement et pilotés dans une stratégie nationale et interministérielle articulant prévention et lutte, adaptée à chaque territoire. Les sénateurs plaident pour que les moyens publics et privés alloués à la prévention soient doublés, un investissement rentable au regard des dommages environnementaux et socio économiques évités.
Cet effort préventif, largement accru, ne dispense pas d’accroître les moyens de lutte : renforcement des moyens aériens (avions et hélicoptères), accroissement du soutien de l’État aux services départementaux d’intervention et de secours (SDIS), hausse du nombre de sapeurs pompiers volontaires…
Les recommandations législatives du rapport seront traduites dans une proposition de loi, à venir, à la rentrée parlementaire. Elle sera enrichie par les retours d’expérience des incendies de l’été 2022 ; à cette fin, les rapporteurs se rendront en Gironde à l’automne, pour prolonger les premières consultations déjà engagées sur les feux hors normes ayant ravagé la forêt girondine en juillet dernier.
Lire le rapport sur le site du Sénat.
Canicules à répétition et sécheresses record ont placé la forêt et les incendies qui la dévorent au cœur de l’actualité politique de cet été 2022. Une urgence illustrée par les données du système européen d’information sur les feux de forêts, mardi 2 août : 47 286 hectares ont déjà brûlé en France depuis janvier, avec 243 feux, des chiffres supérieurs à l’ensemble de l’année 2019, la plus intense de la décennie, avec 43 602 hectares consumés en douze mois.
Sujet brûlant qui voit donc, semaine après semaine, les députés, quel que soit leur bord (LFI, RN, EELV...), interpeller le gouvernement sur les moyens de la lutte contre les incendies, sur l’état de la forêt ou encore sur l’extrême sécheresse.
Les sénateurs se sont aussi emparés du dossier. Mercredi 3 août, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et celle des affaires économiques, ont adopté un rapport « Feux de forêt et de végétation : prévenir l’embrasement ». A l’origine de la mission des sénateurs, le retour d’expérience sur l’incendie de Gonfaron, dans le Var, en août 2021, qui a détruit 7 000 hectares et causé la mort de deux personnes.
« Nous sommes partis de cet incendie pour étudier l’occurrence des “feux extrêmes” de forêt. Et la situation de cet été 2022 en fait un sujet politique d’actualité », estime Pascal Martin, sénateur (Union centriste) de Seine-Maritime et corapporteur de la mission. Le but est de se servir de ce travail pour élaborer une proposition de loi avant la fin de l’année. Les sénateurs se sont aussi appuyés sur le travail réalisé par deux anciens députés François-Michel Lambert (Libertés et territoires) et Alain Perea (La République en marche), dans le cadre d’une « mission d’information flash sur la prévention des incendies de forêt et de végétation », en décembre 2021.
Les sénateurs ont rédigé soixante-dix propositions réparties en huit grands axes, dont « anticiper », « aménager le territoire », « gérer la forêt », « mobiliser le monde agricole », ou encore « reboiser ». Une large place a aussi été accordée au financement de « la lutte incendie à la hauteur du risque ». Les sénateurs proposent d’augmenter le budget de la protection civile pour l’acquisition de moyens aériens, et si nécessaire la location d’appareils. « Il faut faire jouer la solidarité nationale pour aider les SDIS [services départementaux d’incendie et de secours] et c’est à l’Etat de l’organiser », avance Pascal Martin. Trois ministères (l’intérieur, la transition écologique et l’agriculture) chargés de ce dossier : cela n’aide pas à construire une réponse efficace. « Il existe dans certains pays, comme en Grèce, un ministère [de la protection civile] spécifique pour ce risque, il nous faut une meilleure coordination nationale », ajoute celui qui fut, pendant trente ans, colonel de sapeurs-pompiers.
Pour une autre des quatre corapporteurs, Anne-Catherine Loisier, sénatrice (Union centriste) de la Côte-d’Or, « s’il faut renforcer les moyens de lutte, il faut aussi diminuer les risques en amont ». Pour celle dont la profession est « gestionnaire de forêt privée » dans le Morvan, la forêt n’est pas adaptée. « Elle répond à des objectifs de politique publique, produire plus de bois pour la construction, les emballages, l’énergie… Il faut réfléchir aux essences à implanter, penser la gestion des forêts à l’échelle des massifs, en impliquant les propriétaires, publics comme privés », insiste Mme Loisier.
La politique de gestion de la forêt, comme celle des moyens qui lui sont alloués, est aussi au cœur de la proposition de loi, déposée, mercredi, par la députée du Val-de-Marne (LFI-Nouvelle Union populaire écologique et sociale) Mathilde Panot. Avec ce texte « visant à renforcer la résilience des forêts face aux effets du dérèglement climatique », la députée souhaite entre autres « conditionner les aides publiques à des objectifs écologiques de séquestration du carbone et de conservation ». La députée veut aussi que les effectifs de l’Office national des forêts soient sanctuarisés « à leur niveau prétempête de 1999, soit quelque 12 000 agents », et que les réductions d’effectifs prévues soient annulées. Une demande également présente dans le rapport des sénateurs.