Transporter les colis par le fleuve, solution décarbonée pour livrer en centre-ville ?
L’année 2023, la plus chaude jamais enregistrée, s’est achevée par la COP28 pendant laquelle États, entreprises et ONG se sont réunis afin de débattre des solutions pour respecter les accords de Paris. En France, 31 % des émissions de gaz à effet de serre sont dues au transport dont 41 % de transport routier.
Dans le même temps, le e-commerce continue de progresser avec des livraisons en centre-ville. À l’heure du déploiement des zones urbaines à faibles émissions (ZFE), quelles alternatives au transport routier ? En 2020, le transport de marchandises représentait 364 milliards de tonnes-kilomètres en Europe. 76 % sont acheminées par la route, 16 % par le rail et 6 % par voie navigable.
Avec des fleuves qui traversent ses 22 métropoles, la France possède le plus long réseau européen de voies navigables. Ce n’est pas nouveau : l’Aude et la Garonne permettaient un trafic entre la Méditerranée et l’Océan Atlantique au 1er siècle av. J.-C. jusqu’au Moyen-Âge et une crue déviant le cours de l’Aude.
Pour l’instant, les vracs liquides et solides sont les principales marchandises transportées. Le fleuve peut-il aussi jouer un rôle dans le transport décarboné de colis en centre-ville ?
La photographie prise en juin 2023 montre des salariés de Fluidis chargeant des colis et les vélos électriques permettant leur livraison sur une barge quai d'Austerlitz à Paris (France).
Pour limiter l’impact environnemental du transport dans les villes urbaines, chercheurs et décideurs ont commencé à étudier la possibilité d’utiliser le transport fluvial pour la livraison de colis en milieu urbain. Ce transport est l’un des modes de transport les plus économes en énergie, car il émet moins de CO2 équivalent que la route ou le rail.
Il n’est toutefois pas toujours utilisable en raison du manque d’infrastructures fluviales et d’installations connexes, ainsi que des variations du niveau de l’eau dues aux impacts du changement climatique. Ce manque d’infrastructures, associé aux coûts fixes élevés impliqués, pourrait imposer une rigidité substantielle aux services du transport fluvial, limitant sa viabilité économique et sa compétitivité.
Malgré ces défis, les expériences récentes dans plusieurs villes urbaines ont montré que le transport fluvial pouvait être économiquement viable et compétitif pour le transport de marchandises à plus petite échelle dans des zones urbaines denses, dans les bonnes conditions. À savoir la disponibilité des infrastructures, la taille et l’âge des péniches, la consommation de carburant et la connectivité directe entre les origines et les destinations des colis.
Ainsi, un cadre d’évaluation de la performance des mesures politiques actuelles et potentielles concernant les opérations intermodales a été développé. Il met l’accent sur les aspects économiques et environnementaux de l’élaboration des politiques de transport intermodal et permet d’évaluer le coût total du transport intermodal de porte à porte entre une origine et une destination données. L’analyse était centrée sur l’implantation d’un nouveau terminal fluvial intermodal en Belgique.
D’autres chercheurs ont analysé les chaînes de transport de barges à conteneurs existantes dans les grandes villes de France en utilisant une approche économique des coûts de transaction. Ils ont constaté deux principaux obstacles entravant l’utilisation de la logistique fluviale urbaine.
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Le premier est la complexité des chaînes due aux ruptures de charge, au nombre d’acteurs, aux infrastructures inexistantes ou à partager, à la disponibilité des barges, etc.
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Le second est le niveau de spécificité des acteurs impliqués. Les acteurs sont privés ou publics. Ils sont différents selon les portions du fleuve.
Un constat confirmé par des travaux sur les opportunités de développement d’activités logistiques des ports fluviaux en Pologne (le long de la basse Vistule). L’étude a révélé que le principal défi pour le transport intermodal en Pologne était la restauration des voies navigables intérieures en assurant des fonds suffisants pour les investissements dans les infrastructures de transport et en garantissant leur efficacité.
Les expériences de l’industrie dans le domaine de la navigation intérieure pour la logistique urbaine en Europe montrent que l’utilisation des voies navigables intérieures pourrait être une alternative viable pour le transport de marchandises à plus petite échelle, y compris le transport de marchandises palettisées, de marchandises en conteneurs, de livraisons de colis aux commerces locaux et restaurants, du transport de déchets et de matériaux recyclés, et des déplacements de service.
Plusieurs facteurs contribuent au succès de ces entreprises, notamment les conditions environnementales externes : par exemple, une forte densité de voies navigables intérieures, la position des expéditeurs et des plates-formes le long des voies navigables, et l’accessibilité dans les zones de service.
Celles-ci dépendent de l’infrastructure urbaine, de la densité de la circulation, de la congestion, des restrictions d’accès, et des contraintes politiques telles que les plages horaires et les zones environnementales.
L’utilisation de navires et d’équipements spécialisés pourrait également faciliter considérablement les opérations de transbordement.
Mais le cas du transport fluvial intérieur dans le contexte spécifique de la livraison de colis a fait l’objet de peu d’études. Seuls deux travaux de recherche, à notre connaissance, présentent un modèle de calcul de coûts conçu pour aider les opérateurs à estimer avec précision les coûts associés au transport fluvial intérieur pour les envois de colis.
Ils soulignent la nécessité de mener d’autres recherches pour améliorer le réalisme des résultats en prenant en compte des facteurs de coûts supplémentaires. S’appuyant sur ces travaux, un modèle complet de logistique fluviale a été élaboré, avec des coûts fixes et variables pour les barges, les quais et les derniers cent mètres (vélo cargo ou VUL) à partir d’un quai en dehors de la ville.
À partir de ce modèle, un outil d’aide à la décision simulé avec 2688 scénarios et testé avec six métropoles françaises (Paris, Bordeaux, Lyon, Nantes, Strasbourg, Toulouse) a été proposé.
La livraison de colis par le fleuve impose aussi des ruptures de charge pour atteindre le client final. Le premier échelon concerne le transport par barge de l’extérieur vers l’intérieur de la ville ; le second échelon concerne le transport du port vers le destinataire en vélo-cargo ou véhicule utilitaire léger.
Les hypothèses prises à partir d’une revue de littérature et d’entretiens auprès de 16 experts acteurs de la logistique fluviale sont les suivantes : deux types de barges différents, 3 rotations possibles par jour au maximum, 4 quais maximum, 3 types de colis (1,5 kg, 4,5 kg, 7,5 kg), de 300 à 100 000 colis (représentant la quantité minimale identifiée et la quantité maximale, pic de Noël par exemple).
Grâce à l’intégration de cet outil, les décideurs peuvent obtenir des informations précieuses et optimiser leurs stratégies pour des systèmes de transport efficaces et respectueux de l’environnement. En connaissant la typologie des colis, leur nombre et la configuration du port et de l’infrastructure routière, l’outil fournit une première décision à un niveau macro pour les décideurs et les parties prenantes de l’industrie de la logistique urbaine.
Chaque ville possédant des caractéristiques uniques, des études plus ciblées sont ensuite nécessaires pour avoir des chiffres précis adaptés à des contextes individuels.
Ainsi, pour atténuer les impacts économiques et environnementaux, le transport fluvial exige une optimisation du chargement des barges. Pour cela, favoriser la collaboration entre les parties prenantes est impératif pour optimiser le volume de colis transportés. La taille des paquets limite aussi la quantité de colis dans les barges, tandis que le poids est moins contraignant. Une réflexion est également à mener sur l’emballage le plus efficient lors des transbordements (sac, palettes, etc.).
En revanche, la capacité du deuxième mode de transport – principalement des vélos – est limitée par le poids et la taille. En outre, charger un nombre substantiel de colis dans des barges va de pair avec un certain nombre de contraintes. Le modèle suppose trois rotations par jour, ce qui nécessite déjà des horaires de livraison différents par rapport au système actuel.
Augmenter la quantité de barges disponibles est aussi une option, mais cela pose une contrainte supplémentaire : la capacité de la rivière. Au deuxième échelon, un volume élevé de colis correspond à un nombre significatif de vélos de livraison, ce qui pourrait saturer les pistes cyclables existantes.
Par conséquent, les autorités locales doivent intégrer l’infrastructure de vélos de livraison dans les plans de développement du centre-ville. Il faut par ailleurs prendre en compte, dans un contexte de changement climatique, que l’utilisation de la rivière peut être compromise lors d’événements extrêmes tels que les sécheresses ou les inondations.
Les auteures :
- Senior Professeure et Doyenne associée à l'inclusivité, Kedge Business School.
- Assistant professor, Kedge Business School.