Voitures électriques : ce rapport qui vient doucher les ambitions européennes

Publié le par Challenges via M.E.

La Cour des comptes de l’Union européenne tire la sonnette d’alarme. Malgré l’annonce de multiples usines de batteries pour voitures électriques, la pénurie guette. Le souci vient des matières premières, pour lesquelles le Vieux Continent est très largement dépendant des importations.

PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Stellantis a converti son usine de Douvrin en un gigantesque site de production de batteries, inauguré fin mai 2023. Mais le manque de matières premières risque de générer une pénurie.

L’Europe a pris le virage de la voiture électrique. D’une part, les annonces concernant l’arrêt de commercialisation des voitures thermiques en 2035 se multiplient, même si cet horizon demeure incertain. D’autre part, les annonces concernant la mise en place d’usines européennes de fabrication de batteries se succèdent. L’inauguration récente de la première "Gigafactory" de France à Douvrin, coentreprise entre Total Enrgies, Mercedes et Stellantis, en est témoin. Pour assurer sa compétitivité face à la Chine sur le terrain des voitures électriques, le Vieux Continent met les bouchées doubles.

"Quasiment chaque semaine, une nouvelle giga-usine de batteries est annoncée en Europe", a reconnu Annemie Turtelboom, responsable d’un audit sur les batteries pour la Cour des comptes de l’Union européenne lors d'un point de presse. Pour autant, "les chances que l'UE devienne un leader mondial de la production de batteries ne semblent pas bonnes", avertit-elle.

Des matières premières insuffisantes pour produire suffisamment de batteries

Il ne suffit pas de construire des usines pour assurer la fabrication des batteries, encore faut-il que les sites industriels soient alimentés. C’est justement là que le bât blesse. Dans son rapport publié lundi, l'institution pointe les problèmes de disponibilité des matières premières, l'augmentation du prix de celles-ci et de l'énergie, ainsi que la concurrence mondiale susceptible de saper la compétitivité européenne. "Nous sommes confrontés au risque de voir l'UE manquer son objectif de ne vendre que des voitures neuves à zéro émission en 2035, ou de ne pouvoir atteindre cet objectif que par l'importation de batteries ou de véhicules électriques, ce qui nuirait à l'industrie européenne", a indiqué Annemie Turtelboom.

"L'UE ne doit pas se retrouver avec les batteries dans la même position de dépendance que celle qu'elle a eue avec le gaz envers la Russie", a mis en garde la responsable. La Cour des comptes de l'UE prévoit qu'"à brève échéance, la production européenne de batteries sera confrontée à une pénurie mondiale de matières premières essentielles".

Elle cite des projections des services de recherche (JRC) de la Commission européenne, selon lesquelles "la pénurie mondiale se fera véritablement sentir d'ici à 2030, date à laquelle la majeure partie de la capacité de production de batteries de l'UE deviendra opérationnelle". Ces conclusions ne sont guère une surprise, puisqu’elles rejoignent celles de l’IEA (International Energy Agency), qui croise les prévisions de demandes en minéraux avec les capacités prévisionnelles de production. Qu’il s’agisse du cuivre, du cobalt (dont on peut se passer avec les batteries LFP, de moindre densité énergétique) ou du lithium, les capacités mondiales ne suffiraient pas à répondre à la demande

Faute d'accord politique, l'Union européenne ne sera pas servie en premier

Tout le monde ne sera donc pas servi. Or pour cinq matières premières clés (cobalt, nickel, lithium, manganèse, graphite naturel), l'UE est dépendante à 78 % des importations, en provenance d'un petit nombre de pays. Quelque 87 % du lithium brut est importé d'Australie, 68 % du cobalt de la République démocratique du Congo et 40 % du graphite naturel provient de Chine. Voilà qui s’avère problématique, puisque l'Union européenne ne dispose pas avec ces trois principaux fournisseurs d'accords de libre-échange qui pourraient garantir un accès durable à ces matières premières. Et certains pays sont associés à des risques géopolitiques pouvant mettre en péril l'approvisionnement, souligne la Cour des comptes, qui met aussi l'accent sur la hausse de la demande mondiale.

Quant à l'extraction de ces minerais dans l'UE, Annemie Turtelboom a relevé que si du lithium était présent au Portugal et en France, il y avait "en moyenne de 12 à 16 ans entre la découverte et le début de la production". Trop juste pour l'objectif de 2035, a-t-elle estimé, ajoutant que, toutes les matières premières nécessaires n'étant pas présentes en Europe, "cela ne résoudra pas tous les problèmes" de toute manière.

Contester l’hégémonie asiatique concernant la fabrication de batteries ressemble donc à une gageure. Aujourd’hui, la Chine représente 76% de la production mondiale de batteries électriques et l'Union européenne seulement 7%. L'UE est aussi confrontée à une forte concurrence de la part notamment des Etats-Unis, qui avec leur loi sur la réduction de l'inflation (IRA) offrent des incitations aux entreprises qui décident d'y implanter leurs usines de production de batteries.

Pour y répondre, la Commission a proposé mi-mars des allègements règlementaires visant à promouvoir les industries vertes, dont les batteries, un texte actuellement en cours de négociation. Un autre projet législatif, présenté de concert, vise à diminuer la dépendance de l'UE en matières premières critiques en favorisant l'extraction en Europe et les coopérations commerciales avec des fournisseurs plus nombreux.

La voiture électrique sera-t-elle toujours trop chère ?

Pour autant, la Cour pointe d'autres dangers: "avec l'augmentation du coût de facteurs de production tels que l'énergie et les matières premières, les batteries et par conséquent les véhicules électriques pourraient devenir inabordables pour un grand nombre de propriétaires", entraînant "une baisse de la demande de véhicules électriques et une diminution de l'intérêt économique des investissements dans des installations de production". Alors que les tarifs de charge ne cessent d’augmenter, il apparaît fort possible que la voiture électrique ne devienne jamais aussi économique que la voiture thermique, à l’achat comme à l’usage.

L'institution demande notamment à la Commission européenne de mettre à jour son plan d'action stratégique sur les batteries publié en 2018, en accordant une attention particulière à la sécurisation de l'accès aux matières premières.

Les rapports d’experts se multiplient pour pointer un risque de pénurie de batteries, qui mettrait à mal l’hégémonie voulue de la voiture électrique.

Voilà pourquoi le japonais Toyota, certes en retard sur les voitures à batterie, ne place pas ces modèles comme unique levier de sa stratégie. Le constructeur japonais part du principe que les ressources en matières premières seront trop limitées pour satisfaire la demande mondiale en voitures électriques. Et, à ce compte, c’est selon lui l’hybride, sa technologie phare, qui est la plus efficace.

Il part du principe qu’une centaine de voitures thermiques émettent en moyenne 250 g/km de CO2 sur l'ensemble du cycle de vie. Avec 100 kWh de batterie, qui permettraient de construire une seule voiture électrique sur cette centaine de voitures, la moyenne baisserait à 248 g/km. Ces mêmes 100 kWh pourraient également servir à produire six hybrides rechargeables (moyenne de 244 g/km pour 100 voitures) ou 90 hybrides simples, qui feraient baisser le chiffre à 205 g/km. "Peu importe la technologie, l’ennemi c’est le carbone", martèle-t-on chez le japonais, mettant évidemment en avant la technologie hybride dont il est champion. Cette vision va-t-elle s’imposer en Europe, par la force des choses ?

Source : https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/voitures-electriques-pourquoi-construire-des-usines-nempechera-pas-la-penurie-de-batteries_859334

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