Projet de loi énergie : le Gouvernement recule honteusement sur ses engagements de l’Accord de Paris

Publié le par M.C.

La stratégie nationale bas carbone (SNBC) est en cours de révision. Dans sa version de novembre 2018, elle vise déjà la « neutralité carbone » en 2050, dont l’atteinte est jugée « indispensable au niveau mondial, et dès que possible, pour contenir le réchauffement climatique à 1,5°C » [Réf1, p. 6]. Le projet de loi sur l’énergie prévoit d’inscrire cet objectif sans consistance normative[1] dans la loi en abandonnant l’objectif « facteur 4 »[2], comme l’a révélé Libération [Réf2], un objectif pourtant inscrit dans la loi depuis près de 15 ans[3]. Comme l’exprime le juriste Arnaud Gossement, « le Gouvernement propose au Parlement de remplacer un objectif précis, chiffré, daté et relatif à toutes les émissions de gaz à effet de serre, par un objectif reposant, pour l'heure, sur une notion imprécise et non définie et dont le lien avec la SNBC n'est même pas établi » [Réf3]. Rien ne l’y oblige : le « facteur 4 » devrait au contraire constituer la preuve même de l’ambition gouvernementale de neutralité carbone en 2050. En effet, la SNBC part de l'objectif (diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre en 2050) pour décliner une série d'indicateurs qui vont donner une trajectoire possible (nombre de logements à isoler, nombre de gigawatts provenant d’une source non carbone, etc.). Ces indicateurs sont à respecter en moyenne (être en retard sur l'isolation mais en avance sur la "décarbonation" de la production d’électricité), et les indicateurs « dans le rouge » montrent les secteurs où les efforts sont absents ou insuffisants. Avec un vague objectif de neutralité carbone en 2050 sans objectif chiffré de réduction annuelle des émissions brutes (en faisant miroiter la possibilité d’absorber ultérieurement le carbone émis en excès), les bornes sont abolies, avec les indicateurs correspondants : il n’y a plus de trajectoire de "décarbonation" fiable.

Figure 1 – Usage de carburants fossiles (en exajoules par an ,(EJ/yr) : la ligne  noire est historique, et pour des scénarios ayant 66% de chanc d’éviter les +2°C d’augmentation globale de température depuis le début de l’ère industrielle, en incluant (lignes bleues) ou en excluant (lignes rouges) le recours aux techniques de capture et de stockage de carbone (CCS). En excluant les techniques CCS, la baisse du recours aux énergies fossiles doit être immédiate et rapide (source : Glen Peters, Cicero, 6 avril 2017 [Réf4]).

En d’autres termes, passer d’un « facteur 4 » à la « neutralité carbone », c’est proposer aux Français – sans l’assumer – de passer de scénarios éprouvés « en l’état actuel de la science » (Figure 1, courbes rouges) à des scénarios including CCS (Carbon capture and storage, courbes bleues) hautement spéculatifs, fondés sur la croyance que la technologie pourra un jour accélérer une absorption carbone qu’elle aura préalablement effondrée en effondrant la biodiversité, en saturant l’océan de gaz carbonique, en réchauffant l’océan et l’atmosphère, etc. Superficiellement, la stratégie de réduction carbonée apparaît inchangée, avec une réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles rehaussée à 40% par rapport à 2012 au lieu de 30% (en compensation d’une moindre réduction de l’énergie consommée), mais cette stratégie est immédiatement contredite par l’absence de fermeture annoncée de centrale à charbon, contrairement aux engagements de Nicolas Hulot.

La SNBC est déclinée dans une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) dans les secteurs de la production d’énergie, du bâtiment, des transports, de l’agriculture, de l’industrie, des déchets et de la forêt. Ce document fixe les investissements publics dans les réseaux, en plus des investissements du marché, et qui sont financés par une part d'abonnement des factures d'énergie et par des taxes. Plus la SNBC est ambitieuse, plus s’évanouissent les perspectives de profit sur d’immenses travaux d’infrastructures. En neutralisant la SNBC, les perspectives de profit sont rétablies. Comme en Allemagne, où il suffit aux compagnies d'électricité de promettre des centrales à charbon capables d'être converties en centrale avec séquestration du carbone (ne produisant pas d'émissions de gaz à effet de serre) puis, une fois les centrales construites, de produire des rapports d'étude établissant leur impossibilité. L’État prend le risque, et pour renoncer à l’investissement, il doit payer des compensations à l’industriel. Avec une PPE solide reposant sur une SNBC consistante, il est possible d’éviter une telle prise en otage de la population pour des décennies. Ce ne sera plus le cas avec une PPE inconsistante.

Le projet de loi énergie prépare également, comme cela était attendu, une plus grande part de la production d’énergie d’origine nucléaire : la réduction de la consommation énergétique est ramenée de 20% à 17% en 2030 (davantage d’énergie disponible), et contrairement aux engagements pris au cours de la campagne présidentielle, la réduction de 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité est reculée de 2025 à 2035 (contre 71% début 2019). Aucun réacteur nucléaire ne ferme avant 2027, à l’exception de ceux de la centrale de Fessenheim, arrêtés en 2020, tandis qu’est évoquée la construction de nouveaux EPR.

Cette révision considérable de la politique énergétique de la France (baisse de l’objectif de sobriété, baisse de l’ambition bas carbone) annonce un relâchement probable de l’effort dans les territoires. Elle risque d’encourager un relâchement général de la part des autres États signataires de l’Accord de Paris, la France en étant considérée comme la gardienne.

Le projet de loi est présenté en Conseil des ministres mi-mars puis débattu au Parlement en procédure d’urgence. Le Gouvernement est alors appelé à rédiger un projet de décret de PPE donnant lieu à concertation pour une publication de la prochaine PPE fin 2019. Il faut combattre cette dérobade qui bouche l’avenir de nos enfants et s’accommode de la mort programmée de notre civilisation.

M.C.

  1. Stratégie française pour l’énergie et le climat – Présentation de la programmation pluriannuelle de l’énergie et de la stratégie nationale bas carbone. Ministère de la transition écologique et solidaire, 27 novembre 2018.
  2. Schaub C, Le gouvernement renonce à diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre de la France. Libération, 7 février 2019.
  3. http://www.arnaudgossement.com/archive/2019/02/07/projet-de-loi-energie-climat-le-gouvernement-veut-modifier-certains-objecti.html
  4. https://www.cicero.oslo.no/en/posts/climate-news/does-the-carbon-budget-mean-the-end-of-fossil-fuels

[1] L’exposé des motifs du projet de loi soumis début février 2019 au Conseil économique, social et environnemental la définit comme « l’atteinte de l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et les absorption anthropiques (c’est-à-dire les absorptions par les écosystèmes gérés par l’homme tels que les forêts, les prairies, les sols agricoles et les zones humides, et par certains procédés industriels, tel que la capture et le stockage de carbone ». Cependant, l’exposé des motifs n’a pas de valeur normative.

[2] Remplacement de l’expression (« diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 ») par l’expression « d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 ».

[3] Le « facteur 4 » est inscrit dans la loi fixant les orientations de la politique énergétique de 2005, il est confirmé dans la loi Grenelle 1 et dans la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Publié dans Climat, Energie, Gouvernance

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :