Cynthia Fleury : Ne faisons pas l'erreur de reconstruire l'« avant »

Publié le par Les Echos via M.E.

La parenthèse du confinement a permis à la société civile d'ouvrir le chemin d'une société moderne, avec quantité d'expérimentations. Ne retombons pas dans le piège des hyper-structures pléthoriques et qui excellent à empêcher.

Par Cynthia Fleury (Philosophe - Professeur de la chaire Humanités et Santé au CNAM Paris)

La société française d'avant le confinement était en « crise », ce mot ayant atteint une telle extensivité qu'il n'a plus beaucoup de sens, ou alors tous : les « gilets jaunes », les services des urgences et hospitaliers, les deux plus explicitement mobilisés ou en grève, un climat de radicalisation dans la société, palpable dans les manifestations où la violence est de plus en plus banalisée, voire justifiée comme argument de transformation sociale, ou simplement volonté d'en découdre, au nom d'une « colère » qui a l'apanage du ressentiment ; face à elle, une violence légitime des services policiers assurant l'ordre et la défense, mais aussi une radicalisation du commandement policier, avec des techniques de plus en plus mutilantes pour les citoyens, et par ailleurs absentes des quartiers laissés à l'abandon, où des systèmes mafieux se font justice eux-mêmes, sous l'oeil des caméras des réseaux sociaux.

Sans oublier la réforme des retraites, qui avait comme bloqué de l'intérieur les systèmes mentaux des uns et des autres, chacun s'imaginant un futur pire, sans comprendre la censée nouvelle logique d'équité de répartition. Rajoutez le post-#metoo au sein duquel des lignes de querelle, voire de fractures, s'opèrent, là aussi la radicalité des positions de déconstruction du patriarcat et du sexisme n'étant pas la même selon tel ou tel courant ; sans parler du débat montant de l'intersectionnalité qui vient revisiter tous les héritages blessés, dits « minoritaires » mais nullement par le nombre, et donc certains instrumentalisent le caractère victimaire. Donc avant le confinement, plus que divisés et désabusés. Après le confinement, tout autant, si ce n'est plus, sachant que la récession socio-économique est déjà là, avec une baisse du PIB, pouvant dépasser les 10 %.

Dans ladite parenthèse confinée, il s'est sans doute joué autre chose : d'un côté, une sidération, une peur dont on pouvait comprendre la nature devant le « réel de la mort » supposé, incarné par le coronavirus, et pas encore soumis à l'obligation d'"evidence-based" ; de l'autre, en réponse magnifique à cette peur, une cohorte de soignants, de l'aigu à l'ordinaire, assumant sa mission de soigner bien que la logistique étatique soit défaillante, de faire face, de trouver des solutions. Lorsque la levée du confinement a eu lieu, ces mêmes soignants ont dit leur crainte d'un retour à l'avant-confinement : certes, cette période de saturation des urgences et de la réanimation avait été difficile, exténuante même… Pour autant, tous ont dit avoir retrouvé l'ethos de leur métier, leur vraie utilité sociale, et épistémologique dans la mesure où leurs intelligences, leurs méthodologies de recherches, leurs expérimentations sont ultra-sollicitées… Tous ont expliqué qu'ils avaient eu enfin les moyens financiers et d'équipements, une liberté d'initiative et de gouvernance, une coopération plus forte entre les services, bref qu'il s'agissait de s'inspirer de cet épisode si spécifique pour repenser la norme de demain desdits services. Les discours politiques et des tutelles avaient été dans ce sens. Le premier couac eut lieu avec une histoire de prime, minable, donnée aux uns et pas aux autres… Le reste semble suivre cette même logique, celle qui consiste à construire l'avènement de l'avant.

Les défiances institutionnelle et interpersonnelle ne se sont pas installées en quelques mois, mais sur plus d'une décennie. Restaurer la confiance ne peut se faire de façon purement cosmétique. Il va falloir retricoter là où il y a eu détricotage, et cela sans centralisation ni technocratisation extrêmes, autant dire une révolution des méthodologies et gouvernances administratives. Rien de nouveau sous le soleil, chaque gouvernement le dit. Mais rien n'y fait, pour l'instant, nous continuons d'être hypertrophiés, avec des hyper-structures pléthoriques et qui « excellent à empêcher », comme l'expliquait déjà Tocqueville en 1830. La société civile a pourtant ouvert le chemin avec quantité d'expérimentations tentant de donner au profit une conditionnalité sociale et environnementale, d'hybrider les structures entre le privé et le public, de créer une fluidité plus forte entre des contrats de travail différents. Le temps est à l'évaluation et à la charge de preuve de ces dispositifs, et en fonction de leur dissémination pour enfin passer à une ère « régulée » de la mondialisation.

Publié dans COVID-19

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