Les Pays-Bas, grands pionniers de la géothermie

Publié le par Les Echos via M.E.

Le pays, qui a acté la sortie du gaz à l'horizon 2030, a largement développé la géothermie de surface. La géothermie profonde manque encore de leviers financiers.

Ramon Van Flymen/ANP/Abaca

Le site de forage d'Ouder-Amstel, où sont menées des recherches sur d'éventuels réservoirs de chaleur géothermique.

Bienvenue à Keukenhof ! Parc floral de la tulipe, situé non loin de l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol. Les corolles de toutes les couleurs oscillent sagement à perte de vue. En ce mois d'avril, ils sont nombreux à être venus des quatre coins du globe pour admirer les prouesses des jardiniers. Teintes extraordinaires, pétales dentelés… dans la tulipe, les Néerlandais sont visiblement les maîtres incontestés.

Une autre fierté nationale échappe aux yeux du visiteur. C'est l'installation de géothermie qui se trouve sous ses pieds. Elle ne fait pas pousser les tulipes, mais elle permet de chauffer et de rafraîchir tout au long de l'année le nouveau bâtiment d'accueil de 3 000 m2. La géothermie de surface se pratique déjà depuis un quart de siècle aux Pays-Bas. Elle est en pleine accélération.

Dans le pays, 96 % des projets de construction s'accompagnent désormais de celui d'une géothermie de surface, en milieu urbain comme rural. Le bâtiment du parc floral n'est pas une exception. Equans, l'entreprise qui l'en a équipé, de l'exploration à la construction, revendique près de 700 installations en vingt-cinq ans, dont 50 % dans l'industrie et le tertiaire, 18 % dans le soin et 11 % dans l'habitation.

Outre Keukenhof, on compte parmi ses gros projets récents un incubateur de 18 000 m2 à Utrecht et une résidence pour étudiants de 25 000 m2 à Amsterdam. Equans chiffre les économies de coût d'énergie de ces deux derniers à respectivement 125 000 euros et 200 000 euros par an.

Calories du sous-sol

Il est difficile de trouver des défauts à la géothermie de surface. Invisible et silencieuse, elle est renouvelable, locale, constante, inépuisable, stockable et ne nécessite qu'un coup de pouce électrique ponctuel. Autant dire qu'elle coche toutes les cases de la transition énergétique en répondant notamment au besoin grandissant de climatisation, sans contribuer aux îlots de chaleur en ville. Une solution imbattable face aux appareils ronflants et énergivores.

Elle consiste à capter les calories du sous-sol. De 100 à 200 mètres de profondeur sous nos latitudes, la température se situe de manière constante autour de 13 °C, toute l'année et sans discontinuer.

On prélève ces calories par des puits forés en extérieur. En version « mono », ils accueillent une sonde dont le liquide caloporteur fait circuler l'énergie thermique en circuit fermé. En version « doublet », ils consistent en deux puits ouverts qui plongent dans l'aquifère, une couche poreuse gorgée d'eau, pour alimenter un réseau de distribution de chaleur et/ou de froid. Elle permet un stockage inter-saisonnier en pompant l'eau dans la nappe à 13 °C pour la rejeter rafraîchie plus loin. Deux zones d'eau se forment alors sous terre à des températures différentes.

L'hiver, une pompe à chaleur la fait monter en température pour la distribuer par planchers chauffants, ventilation ou tuyauteries sanitaires ; l'été, la même boucle inversée permet de rafraîchir le bâtiment. Un « geocooling » qui, selon un rapport de 2020 de l'Association française des professionnels de la géothermie (AFPG), dispose d'un rendement particulièrement élevé de 40 kWh à 70 kWh de froid fourni pour 1 kWh électrique utilisé.

Une géologie propice

La technique est aidée aux Pays-Bas par une géologie propice. « La géothermie de surface c'est comme les asperges, ça aime les sols sableux », lance Vincent Schakel, le jovial directeur général de la filiale d'Equans à Nijkerk.

Fondée il y a environ vingt-cinq ans par deux pionniers néerlandais, l'entreprise a été rachetée en 2018 par le français Equans, qui a lui-même été cédé par Engie à Bouygues en 2022 pour 6,1 milliards d'euros. Equans est un géant des services techniques qui compte plus de 90 000 collaborateurs dans le monde, dont quelque 5 500 aux Pays-Bas.

Avec la création cette année de la marque Carbon Shift, il affiche l'ambition d'aider ses clients à réduire les émissions carbones avec une offre multi-technologique. Signe des temps, Equans est devenu le premier métier du groupe Bouygues . Il a représenté en 2023 près de 19 milliards d'euros de chiffre d'affaires au sein d'un groupe qui en a totalisé 56 milliards.

L'entreprise veut importer ce savoir-faire en France. Cette géologie propice se retrouve dans l'Hexagone, notamment dans le bassin parisien. « On pourrait en faire sur 90 % du territoire. On avait commencé dans les années 1980 à développer la géothermie de surface avant que le contre-choc pétrolier et la chute des prix du baril y mettent un coup d'arrêt. Les Néerlandais ont, eux, continué. Il faut savoir qu'à Paris la Maison de la radio, l'Elysée, le Sénat ou plus récemment le village olympique sont tous chauffés et climatisés par la géothermie de surface », souligne Philippe Laplaige, ingénieur expert sur la géothermie à l'Agence de la transition écologique (ADEME).

Les bénéfices sont patents, économiquement et écologiquement. L'ADEME chiffre les émissions carbone de la géothermie de surface à 15 g de CO2 par kWh alors que le GIEC donne 490 g de CO2 par kWh pour le gaz.

La fin du gaz en 2030

Et aux Pays-Bas, le gaz est un sujet. Le plus grand gisement d'Europe a été découvert à Groningue en 1959. Une richesse qui a hissé le pays au rang des Etats les plus prospères du Vieux Continent. Son extraction ayant provoqué des séismes à répétition, qui ont endommagé des habitations environnantes. L'arrêt de son exploitation a été accéléré et acté au 1er octobre 2023, soit sept ans avant la sortie du gaz programmée en 2030.

Ce gaz représente près de 54 % de l'énergie domestique et 39 % de la production d'électricité, selon les chiffres de l'Agence internationale de l'énergie. « Les habitations sont en majorité raccordées au gaz individuel aux Pays-Bas, précise Hans Bolscher, président de Geothermie Nederlands. Il faut éviter que la transition pour la chaleur se fasse avec plus d'électricité. Alors on cherche des solutions. »

Plus on creuse, plus le sol regorge de chaleur. A partir de 100 mètres, la température augmente en moyenne de 3 °C tous les 100 mètres. A  3 000 mètres, on avoisine les 90 °C. Paradoxalement, si les Pays-Bas ont investi la géothermie de surface (jusqu'à 200 mètres pour une énergie jusqu'à 20 °C), ils n'ont opté pour la géothermie profonde qu'à partir de 2008.

En France, elle est forte de plus d'un demi-siècle d'expertise avec une ville pionnière, Melun , qui s'est lancée dès la fin des années 1960. Après deux décennies de ralentissement, la filière a été réactivée autour de 2010, dans le sillage du Grenelle de l'environnement. « On fait de nouveaux forages et on compte actuellement une cinquantaine d'installations pour presque 1 million de Français chauffés en géothermie, précise Philippe Laplaige. Mais d'ici à 2030, ce sont 90 nouvelles opérations de géothermie profonde qu'envisage l'ADEME. »

L'une d'elles pourrait être relancée dans le bassin rhénan en Alsace dont les eaux souterraines à des températures supérieures à 120 °C offrent potentiellement une triple utilisation : fournir de la chaleur, en extraire le lithium contenu dans la saumure et produire de l'électricité avec la vapeur prélevée.

Loi minière

La géothermie profonde est soumise en France, de même qu'aux Pays-Bas à partir de 500 mètres, au Code minier. Pour accélérer la filière, le gouvernement français a annoncé le 12 avril son intention de le simplifier . Il entend diviser par deux les délais d'instruction de permis de recherches pour ces projets porteurs dans la transition énergétique. Un sujet sur lequel le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a évoqué « une course contre la montre ».

Aux Pays-Bas, cette course se mène aussi dans les champs. Ou plutôt sous serres. Le pays est le deuxième exportateur de produits agricoles dans le monde et sa sortie programmée du gaz est un défi pour ses plus de 9.000 hectares de serres. Grandes consommatrices d'énergies, elles sont à l'avant-garde de la géothermie profonde.

« On a actuellement vingt-sept installations de doublets pour des serres, qui vont de 2,5 km à 4 km de profondeur. La coopération avec le secteur a été très forte. L'enjeu est de transformer ce formidable essai pour le bâti, explique Hans Bolscher, de Geothermie Nederlands. Mais on ne sent pas un grand enthousiasme du public pour ce système de chaleur collectif. Il y a cent projets en géothermie profonde prêts à être lancés. Ils sont retenus parce qu'on ne sait pas si la demande est là et si les financements publics seront là », déplore-t-il.

En termes de coûts, les géothermies de surface et profonde ne jouent pas dans la même catégorie. Une géothermie de surface peut entrer dans une enveloppe de 300 000 euros pour un bâtiment. L'exploration et l'équipement en géothermie profonde se situent plutôt autour de 30 millions d'euros. Forer de 2 à 4 km au travers des couches géologiques et proches des nappes phréatiques demande des moyens et comporte des risques.

Notamment celui de forer et de ne rien trouver. Il est couvert en France par l'ADEME grâce au fonds chaleur , qui le « dérisque » et accompagne le financement. Un dispositif qu'envient les Néerlandais.

La géothermie en ébullition

Autant de questions qui ont animé le Sommet mondial sur l'impact géothermique organisé fin avril à La Haye par l'Association géothermique internationale. La plateforme mondiale d'information de la filière compte 9.000 membres adhérents dans 75 pays. L'entreprise gazière de l'Etat néerlandais, Energie Beheer Nederland (EBN) en est devenue en 2024 le principal sponsor et le Français Sylvain Broglé en a pris la présidence en 2023. Il a été l'un des artisans de la création par l'ADEME et l'AFPG d'un fonds de garantie pour la géothermie profonde.

Retour à Nijkerk dans les bureaux d'Equans, où les commandes suivent une courbe exponentielle et où la chasse aux talents fait rage. Rapide coup d'oeil alentour depuis la route rectiligne qui traverse un paysage strictement horizontal. On a l'impression qu'une voiture sur trois est une Tesla et qu' une maison sur deux a des panneaux voltaïques sur le toit. La transition énergétique est en marche.

Pour la géothermie, les Pays-Bas ne manquent pas non plus d'atouts. Elle peut compter sur une bonne connaissance de son sous-sol héritée de l'exploitation gazière. Le pays profite aussi d'une facilité d'accès à des données techniques, scientifiques, géologiques ainsi qu'à des études de cas, voire des incidents que les organismes d'Etat comme les professionnels partagent largement dans une culture de la transparence. « Les informations concernant la géothermie n'ont pas intérêt à être retenues », s'étonne Vincent Schakel. Tout est à portée de clic sur un éventail de sites Internet performants et attractifs. Une mine d'informations et un gain de temps.

Ce que confirme le Français Pierre Le Runigo, jeune ingénieur fraîchement diplômé qui fait ses armes en volontariat international en entreprise chez Equans aux Pays-Bas : « Un site comme Dinoloket [la plus grande base de données du sous-sol néerlandais] permet de faire l'étude de chez soi. En France on a aussi les infos, notamment les cartographies de l'eau potable. Il faudrait les connecter à la géothermie. Aux Pays-Bas, elle a été mise au premier plan, il y a tout pour aider les entreprises. »

Source : https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/les-pays-bas-grands-pionniers-de-la-geothermie-2094504

Publié dans Géothermie

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