La longue bataille des territoires contre le fléau des décharges sauvages
Casse-tête sanitaire et financier pour les maires, menace pour l'environnement, les dépôts illégaux empoisonnent la vie d'une grande partie des collectivités. De nouveaux outils sont apparus et les moyens de lutter progressent, mais encore lentement.
Les immondices se sont accumulées à une vitesse saisissante. François Driol a fait le calcul : tout s'est fait en six mois, sept tout au plus. Fin octobre dernier, sur un signalement anonyme, le maire d'Andrézieux-Bouthéon (Loire), ville de 10 000 habitants près de Saint-Etienne, a découvert l'ampleur des dégâts.
Au bas mot, 500 tonnes de déchets gisaient au bout d'un chemin, en bordure de bois, sur une parcelle appartenant à la commune. « Classiquement pas un endroit de passage », décrit-il. Un dépôt sauvage hors norme où s'enchevêtrent plastiques, gravats et matériaux de construction, matelas, bouteilles de gaz, pneus ou baignoire d'enfant… A deux pas d'une déchetterie.
S'il a préféré « rester discret, dans un premier temps, pour tenter de piéger les auteurs », l'édile a immédiatement porté plainte, contacté l'Office français de la biodiversité et les services de l'Etat. Car, selon lui, « tout porte à croire que ça a été très organisé, ce terrain a été repéré et utilisé autant que possible. »
Les gendarmes continuent à mener l'enquête. François Driol, lui, a promis que tous les déchets seront éliminés d'ici à cet été. Coût du grand ménage ? Plus de 150 000 euros. « Ce n'est pas une somme anodine ! C'est le prix, par exemple, de la végétalisation d'une cour d'école. Forcément, un projet correspondant à ce montant sera différé », déplore l'élu, estimant qu'« un fonds collectif devrait exister pour les atteintes à l'environnement ».
En Ile-de-France, la région s'est, elle, attaquée au nettoyage d'une décharge sauvage à ciel ouvert sur l'île de loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelines, à quelques centaines de mètres de futurs sites olympiques : 7 000 m3 de déchets devraient avoir disparu avant le coup d'envoi des JO. Montant de la facture : 700 000 euros.
Ces montagnes de détritus, atypiques par leur dimension, n'en sont pas moins symptomatiques du fléau des dépôts illégaux en tout genre : 90 % des collectivités sont concernées par le problème , constatait l'ADEME en 2019. Un casse-tête sanitaire, environnemental et économique pour les maires, responsables de la propreté sur le domaine public. Et un désespoir pour les riverains.
En 2023, la gendarmerie a compté plus de 44 800 infractions liées aux déchets : un bond de 15 % comparé à 2020. Chez France Nature Environnement, qui fédère près de 6 000 associations de protection de la nature, le constat est le même : « Les signalements faits par les citoyens sont en hausse par rapport aux années précédentes », rapporte Axèle Gibert, chargée de plaidoyer sur les problématiques liées à la réduction des déchets.
Le type de dépôt le plus courant ? Il peut faire entre 1 et moins de 100 tonnes, et la plupart du temps est lié à une activité économique, notamment des déchets du bâtiment, souligne Nicolas Garnier, délégué général de l'association de collectivités locales Amorce .
Pour autant, impossible de chiffrer précisément l'ampleur du phénomène au niveau national, car aucun recensement de ces dépotoirs n'a été fait. C'est une donnée que le gouvernement compte acquérir, assure-t-on au ministère de la Transition écologique. L'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique y travaille. « L'objectif est d'avoir un vrai inventaire, grâce notamment à l'exploitation d'images satellite », précise-t-on au ministère.
En 2020, la loi antigaspillage (loi AGEC) a renforcé les sanctions et le pouvoir des maires, et ouvert la possibilité d'utiliser la vidéoprotection, « avec des procédures préalables importantes », rappelle Joël Ruffy, responsable du pôle juridique chez Amorce. C'est un fait : aujourd'hui, les responsables des dépôts restent très difficiles à attraper. Pour tenter d'y remédier, des députés Renaissance ont déposé en avril une proposition de loi qui vise « à mieux sanctionner les auteurs », entre autres via un recours aux « pièges photographiques » et une amende plus forte.
La filière de collecte et de recyclage des matériaux de construction du bâtiment née il y a un an vise aussi à éradiquer les décharges clandestines . Notamment avec un réseau dense de points de reprise professionnels, et sans frais. La structuration avance. Mais certaines zones en sont encore dépourvues, et les conditions de reprise sont trop contraignantes, juge-t-on au ministère de l'Ecologie.
Un décret est en cours d'élaboration : l'idée est de pouvoir mutualiser les points de reprise, qu'ils soient mieux implantés géographiquement et que les modalités de reprise soient plus simples. « Histoire que l'artisan n'ait pas à faire le tour de France, mais qu'en se rendant dans un point mutualisé il puisse déposer tous ses déchets », explique-t-on au ministère.
Chez Amorce, on plaide pour aller plus loin. « Il faut une prise de conscience collective. Il est temps de faire du dépôt sauvage une grande cause nationale », martèle son délégué général. L'association a rédigé une proposition de loi sur sa résorption qu'elle va proposer d'ici peu aux parlementaires. Avec en ligne de mire la division par deux des dépôts d'ici à cinq ans, et aucun nouveau dépôt d'ici à 2040.