La côte recule, les villas s’effondrent : un enfer pour les propriétaires et les communes
À l’horizon 2050, près de 5 000 logements situés sur les côtes françaises sont menacés de destruction en raison de l’érosion du littoral. En Normandie, on y est, hélas, déjà habitué.
« Maison avec véranda, vue imprenable sur la mer, pas de vis-à-vis. » Tel aurait pu être le libellé d'une annonce de vente pour une petite maison située au sommet de la falaise, dans La Hague, à Vauville (Manche).
Sauf que cette habitation est maintenant inhabitable : le glissement de terrain survenu le 8 mars 2024 a fait que les murs fissurés de la véranda surplombent le vide. À court terme, le bâtiment pourrait s'écrouler au pied de la falaise, battue par les flots lors des grandes marées.
« Les pluies très abondantes des derniers mois et surtout de février sont à l'origine du glissement du terrain », estime Éric Pellerin, maire délégué de Vauville. Face au « péril grave et imminent », un arrêté municipal de mise en sécurité interdit l'accès à la maison en déséquilibre ainsi qu'au chemin qui y mène.
De même, il est interdit de se promener sur la plage à moins de 15 mètres du pied de la falaise sur une longueur de 50 m de part et d'autre de la maison en danger.
Cependant les copropriétaires de la maison, des frères et une sœur, ont été autorisés, durant un bref moment, à pénétrer dans leur résidence secondaire. « C'est en 1955 que nos grands-parents ont acheté cette maison construite entre les deux guerres. Mon grand-père a lui-même agrandi la véranda », indique Françoise Guinet, l'une des copropriétaires. Outre la véranda, l'habitation comporte une cuisine, un séjour, une chambre et une salle d'eau. Le grenier a été aménagé en dortoir pour les réunions de famille.
« Depuis 70 ans, nous sommes témoins du retrait de côte. Mais en 1995 s'est produit un premier affaissement spectaculaire. Les dernières tempêtes ont déraciné les tamariniers qui protégeaient un peu la maison. Et puis il y a eu les derniers éboulements. C'est un choc de voir notre maison en perdition », témoigne Françoise Guinet. Cette dernière attend avec impatience le rapport du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) mandaté par la préfecture pour poser un diagnostic. « Nous attendons le verdict. Pourra-t-on à nouveau accéder au logement pour y récupérer des affaires ? Doit-on engager un avocat ? Nous nous posons des questions », a-t-elle déclaré au quotidien La Presse de la Manche.
Mais d'ores et déjà, la démolition de l'habitation menacée semble envisagée. La solution la plus vraisemblable étant, selon le maire délégué, de laisser le bâtiment glisser vers la mer plutôt qu'une démolition par des engins de travaux publics, dont le poids pourrait provoquer de nouveaux mouvements de terrain.
L'acquisition de la maison par la commune est envisagée avec une participation financière de l'État, via le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier, du nom du ministre fondateur. Ce fonds peut intervenir dans le cas de Vauville puisqu'il s'agit d'un mouvement de terrain, consécutif à un phénomène météo exceptionnel de pluie, et non d'un recul du trait de côte, phénomène prévisible.
« La prise en charge par le fonds Barnier couvrirait l'acquisition à l'amiable du bien, après estimation du service des Domaines, les frais notariés et de déconstruction. S'y ajoutent la mise en sécurité du site et sa renaturation », précise la préfecture de la Manche. Prix médian d'une maison à Vauville : entre 2 000 et 2 500 € le mètre carré.
Au printemps, 2016, plus au nord sur la côte normande, à Dieppe (Seine-Maritime), Willy Hocquet, ancien médecin, alors âgé de 85 ans, a vécu une expérience similaire, bien malheureuse. Une partie de la fragile falaise de craie sur laquelle se trouvait sa superbe maison de style anglo-normand, avec intérieur bois et pierre, s'est effondrée. Le retraité y vivait depuis cinquante ans. Condamné à quitter les lieux en vue de la démolition du logis afin d'éviter un agglutinement de squatteurs, le propriétaire confiait à l'époque son chagrin au Figaro à propos « des boiseries de 1925, des portes en chêne, des cheminées… »
La ville de Dieppe a acheté cette maison pour 500 000 € ainsi qu'une habitation voisine (200 000 euros). Le fonds Barnier a couvert ces acquisitions. Selon une étude du BRGM de 2015 dans ce même quartier de Dieppe, une vingtaine d'autres maisons pourront en principe résister encore quelques décennies.
À 18 kilomètres à l'ouest de Dieppe, la petite commune côtière de Quiberville (Seine-Maritime) s'est trouvée confrontée en juin 2020 au même problème récurrent : une maison menaçant de tomber à la mer suite à l'effondrement brutal d'une partie du plateau crayeux, si caractéristique de la Côte d'Albâtre, qui s'étend du Havre au Tréport.
La côte recule trois à sept mètres par décennie. L'acquisition à l'amiable de la maison en péril et la sécurisation de la parcelle ont coûté 100 000 euros à la commune. Elle a réussi à obtenir une subvention du fonds Barnier, qui a couvert l'intégralité de la dépense.
Avec 548 habitants l'hiver, 2 000 l'été, Quiberville compte plus de résidences secondaires (52 %) que principales. Au vu d'une étude du centre d'études et d'expertises sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), 16 habitations de Quiberville seraient menacées par le retrait de côte dans un délai de vingt ans, et 24, dont 21 résidences secondaires, à l'horizon de cinquante ans.
Selon la Chambre régionale des comptes de Normandie, l'indemnisation pour l'acquisition de 16 habitations coûterait à la commune 1,6 million d'euros, soit la moitié des dépenses d'équipement (trois millions) sur la période 2012-2020.
« En raison du caractère certain de l'effondrement de la falaise, la commune n'a absolument aucune certitude qu'elle obtienne à l'avenir la prise en charge intégrale de telles dépenses sur ce même fonds », estime la Chambre des comptes de Normandie, qui livre un petit calcul. Au niveau national (5 000 logements dont 2 000 résidences secondaires, menacés en 2050, selon le CEREMA), l'indemnisation systématique de telles opérations se chiffrerait probablement en milliards d'euros, dépassant très largement l'enveloppe du fonds « Barnier », qui s'élève à seulement 200 millions. Face à l'ampleur des dépenses à venir, un rapport de l'inspection générale de l'environnement (novembre 2023) propose sans fioriture que l'éventuelle indemnisation soit réservée aux « seuls propriétaires occupants de résidences principales ».
Face à l'inéluctable érosion marine et au niveau de la mer qui monte s'affrontent deux théories : celle qui consiste à renforcer la lutte contre les éléments avec digues, épis et enrochements, et celle qui préconise de déplacer les maisons et équipements menacés. « Il faut s'adapter », résume Jean-François Bloc, 67 ans, maire de Quiberville depuis 1987, et apôtre de la seconde thèse.
Après la submersion terrestre en 1999 du camping municipal, où flottaient alors 200 caravanes, le maire et son équipe ont progressivement opté pour le retrait de cet équipement vers les hauteurs, ce qui libère la vallée lors des grandes marées. « Peu à peu, les notions de changement climatique ont gagné les esprits. Des réunions publiques à l'attention des habitués du camping ont aussi été nécessaires », explique le maire. Au final, il aura fallu vingt années d'études techniques et de concertations.
Côté finances, (8,5 millions d'euros pour le déménagement du camping), le projet a abouti à travers le programme interrégional Pacco (Promouvoir l'adaptation aux changements côtiers) avec l'Angleterre. Un programme doté de fonds européens qui a assuré le financement d'un projet plus vaste (30 millions) comportant, outre le transfert du camping, la construction d'une station d'épuration et l'ouverture de la digue-route pour permettre un meilleur écoulement de la rivière locale, la Saane. « On peut remercier l'Europe, qui a financé à 70 %, le reste provient des collectivités locales », détaille Jean-François Bloc.
À l'autre bout de la France, les tenants de la lutte contre les vagues et les marées n'ont pas abdiqué. À Lacanau (Gironde), le hotspot français des surfeurs, la relocalisation du front de mer (1 200 logements, 110 locaux commerciaux) coûterait au minimum 362 millions d'euros. Les élus de Lacanau préfèrent renforcer les digues à hauteur de 30 millions d'euros d'ici 2050.