La chercheuse Yamina Saheb lance un Laboratoire mondial de la sobriété : “On doit mener une révolution scientifique et culturelle”

Publié le par Novethic via M.E.

Faire de la sobriété une feuille de route pour la métamorphose écologique et sociale. C’est le combat quotidien de la chercheuse Yamina Saheb, experte du GIEC qui ne mâche pas ses mots à l’heure d’alerter sur l’urgence climatique. Après avoir réussi à faire entrer le terme dans le rapport du GIEC, elle vient de créer le Laboratoire mondial de la sobriété.

La chercheuse Yamina Saheb vient de lancer un Laboratoire mondial de la sobriété. @MARYLOU_MAURICIO
Novethic : Quelle est votre définition de la sobriété ? 

Yamina Saheb : La sobriété repose sur quatre piliers. Ce sont des politiques publiques et des pratiques du quotidien – les secondes étant induites par les premières – qui évitent en amont la demande en ressources naturelles, qui garantissent le bien-être de tous, une vie décente pour tous, et qui s’inscrivent dans le respect des limites planétaires et non pas seulement du budget carbone.

Sans ces quatre piliers ensemble, on ne fait pas de la sobriété mais du "greenwashing". Par exemple, si on prend la mobilité, des politiques de sobriété mettraient l’accent sur les transports publics afin de garantir une mobilité accessible physiquement et financièrement à tous, plutôt que de construire plus d’autoroutes. Idem si on prend le logement, on parle de crise du logement alors qu’on a beaucoup de mètres carrés déjà construits, pour lesquels on a déjà pollué, et qui sont aujourd’hui vacants. Et pourtant, les différents acteurs incitent à construire de nouveaux mètres carré, consommateurs de sol et de ressources.

"C’est le terme qui a reçu le plus de remarques négatives"
Comment avez-vous réussi à imposer cette définition dans le dernier rapport du GIEC ?

Quand j’ai postulé au GIEC, j’avais en tête d’intégrer la sobriété mais ça a été une bataille ! D’abord, je me suis aperçue qu’au sein des pays de l’OCDE, il n’y avait finalement qu’en France qu’on parlait de sobriété énergétique grâce à l’approche de Négawatt depuis 2000, même si ça ne veut pas dire qu’on prend des mesures de sobriété. Il n’y a pas de scénarios mondiaux de sobriété.

Il n’y avait même pas de définition de la sobriété. C’est moi qui l’aie créée, après avoir lu plus de 1 000 publications pendant cinq ans. Quand on a envoyé le résumé pour décideurs pour relecture, c’est le terme qui a reçu le plus de remarques négatives de la part des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite. Pour être sûrs que le texte soit approuvé, le mot a même été retiré du résumé puis réintégré à la dernière minute, grâce aux délégués français et européens.

Quel est le principal obstacle selon vous à de vraies politiques de sobriété ?

Quand on parle de sobriété comme c’est le cas en France, on réduit l’approche à l’aspect énergétique. Et on s’appuie pour cela sur des changements de comportement, ce qui fait peser la charge mentale de la transformation sur les citoyens. Or, ceux-ci se trouvent enfermés dans les normes sociales mises en place par l’industrie et les autorités, comme on le voit par exemple avec la voiture. On est enfermés dans notre façon de réfléchir.

Un second biais est qu’on prend le problème à l’envers. Les différents scénarios de transition s’appuient sur le modèle existant et tentent de remplacer les énergies fossiles par des énergies bas-carbone. Mais ce qu’il faut d’abord, c’est réfléchir à la société qu’on voudrait avoir demain et ensuite construire des scénarios qui garantissent la continuité de la vie sur Terre dans les limites planétaires, cela allant bien au-delà des systèmes énergétiques.

"Je cherche à parler à ceux qui ont intérêt à ce que la métamorphose se produise"
Quel est votre prochain chantier ?

On doit faire une révolution scientifique et culturelle pour que ça continue. On doit publier un maximum pour réussir à mener en sorte que la sobriété soit modélisé par exemple dans les scénarios du GIEC. Pour cela, on vient de créer le World Sufficiency Laboratory, le Laboratoire mondial de la sobriété, basé à Paris. Notre objectif est de publier le premier “Sufficiency Gap Report” pour l’Europe d’ici l’automne prochain. L’an dernier, nous avons organisé le premier sommet international consacré à la sobriété à Sciences Po avec l’Australie. Nous avons eu plus de 700 participants. Nous avons aussi réussi à faire intégrer le mot sobriété dans un rapport de prospective de la Commission européenne. On a également essayé d’introduire cette notion dans l’objectif 2040 de l’UE mais on nous a envoyé balader. Nous sommes face à une résistance incroyable.

Qu’est-ce qui vous permet de garder espoir ?

Je cherche à parler à ceux qui ont intérêt à ce que la métamorphose se produise – je n’utilise plus le terme de transition qui induit les gens en erreur car il laisse croire qu’on va garder le système tel qu’il est en changeant simplement les sources d’énergie. La métamorphose implique au contraire un changement radical.

Comme dans tous les processus il y aura des gagnants et des perdants, mais là il y aura beaucoup plus de gagnants que de perdants. Donc ce qu’il faut c’est réveiller cette majorité. Ce que je note c’est que je suis sur-sollicitée aujourd’hui, je n’arrive pas à répondre à toutes les demandes, il y a un inversement des tendances. Et je pense que ça va aller tellement mal tellement vite que les gens seront forcés de se tourner vers ceux qui proposent des solutions.

Source : https://www.novethic.fr/non-classe/39554

Publié dans Gouvernance, Climat, Energie

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