« Je n’aurais jamais imaginé » : ces remparts de 800 ans n’ont pas résisté aux inondations
La chute cet hiver d’une partie des remparts de Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais) a surpris tout le monde. Les intempéries ont déclenché ces effondrements et fragilisé d’autres parties du monument historique.
Début janvier 2024, au plus fort des inondations, la promenade des remparts de Montreuil-sur-Mer s'est effondrée, laissant un trou béant au milieu de la route.
D’ordinaire ville d’histoire et de charme connue pour ses ruelles médiévales dans leur jus, ses restaurants gastronomiques, sa citadelle et ses mythiques remparts – aujourd’hui surtout peuplés de chauve-souris – Montreuil-sur-Mer fait la une des journaux pour des raisons beaucoup moins joyeuses depuis quatre mois. La partie basse de la petite sous-préfecture du Pas-de-Calais est en proie à des inondations répétées, à l’instar de toutes les villes des alentours. La Canche n’en finit plus de déborder de son lit, les sinistrés se comptent par centaines.
Dans la ville haute, cinquante mètres au-dessus du fleuve, les pieds sont au sec et le calme règne : seuls de rares touristes s’aventurent au sein de la citadelle. Mais à une centaine de mètres de l’enceinte fortifiée – honorée dans Les Misérables de Victor Hugo – sur le chemin de la promenade des remparts dominant la bucolique campagne du Montreuillois, se dessine un trou béant. Le 2 janvier, une partie des fortifications s’est effondrée sur une longueur de huit mètres. Un peu plus tôt, le 10 novembre 2023, dix mètres du monument historique avaient disparu de la même manière. Des catastrophes survenues au plus fort des tempêtes et inondations que le département a connues fin 2023.
Un effondrement aussi massif relève de la rareté. « Je suis natif de Montreuil-sur-Mer. Jamais je n’aurais imaginé que ça pouvait s’écrouler comme ça », marmonne un promeneur. « On a pris conscience que les remparts pouvaient s’effondrer du jour au lendemain », dit une dame à l’accueil du musée de la citadelle, entourée d’objets-souvenirs.
Les parties des remparts écroulées étaient, d’apparence, plutôt en bon état.
Plus inquiétant encore, la chute des remparts a également pris de court les spécialistes, comme Judicaël de la Soudière-Niault. Architecte du patrimoine, membre du cabinet d’architectes Nasca et diplômé de la prestigieuse école de Chaillot, il effectuait depuis juin 2023 un diagnostic sur l’édifice commandé par le gestionnaire des lieux, la Communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois (CA2BM). « L’effondrement nous a surpris, car la portion qui s’est écroulée est une portion restaurée au tout début des années 2000, détaille Judicaël de la Soudière-Niault. Or, il y a des portions en bien moins bon état. À l’échelle des 6-7 kilomètres de remparts, c’était une des parties en bon état, plutôt dans le haut du panier par rapport à d’autres. »
Le climat est responsable pour partie de ce rarissime double effondrement. Les remparts, contrairement aux murailles, sont des murs dits « de soutènement » : ils retiennent une masse de terre. Dans le cas de Montreuil-sur-Mer, la terre s’est gorgée d’eau, ce qui a accéléré la chute. « Les intempéries extrêmes ont constitué un facteur aggravant réel. Si on n’avait pas eu la tempête qu’on a eue, les précipitations en si peu de temps, on n’aurait pas eu ce drame », indique Judicaël de la Soudière-Niault.
Sur cet ensemble d’une grande complexité – neuf époques de construction se succèdent, du Moyen Âge au XIXe siècle – certains secteurs ont davantage souffert que d’autres.
Par exemple, le bastion de Bouillon, érigé en 1624, souffre d’un risque d’effondrement. « Dans le diagnostic général que nous avons rendu [fin février], nous avons repéré des fortifications dont le mauvais état s’est accéléré à la suite des intempéries. Sur ces parties – et y en a pas mal – les travaux à réaliser représentent un budget important. Il y a deux responsabilités : celle à l’égard de l’être humain et la sécurité du monument, qui passe aussi par le fait de faire des phases d’entretien », explique Judicaël de la Soudière-Niault.
Lorsqu’on sait la complexité de l’édifice et l’amplification des phénomènes climatiques extrêmes, il y a de quoi s’inquiéter pour l’avenir des remparts de Montreuil-sur-Mer. Pour l’heure, les points les plus fragiles ont été sécurisés et, selon l’architecte chargé du diagnostic des remparts, les risques pesant sur la sécurité des personnes semblent limités. « On n’aura pas d’effondrement, on espère, à court ou moyen terme. Ça peut se reproduire, mais ce qui s’est passé est exceptionnel, affirme Judicaël de la Soudière-Niault. Dans la majorité des cas, il y a un grand talus qui sépare le public des fortifications. S’il y en a une qui vient à s’effondrer, on a le temps de se sauver et d’éviter les briques et les pierres qui rouleraient jusqu’au chemin. »
Les zones dangereuses ont été repérées et fermées par un périmètre de sécurité, le reste de la promenade demeurant ouvert bien que les deux effondrements aient eu lieu dans zones qui semblaient sans risque. Des travaux d’urgence doivent être menés en 2024.
La tour Berthe, ancienne porte d’entrée de la ville bâtie au XIIe siècle, a besoin de restaurations régulières.
De plus, le diagnostic réalisé ne permet pas à 100 % de détecter toutes les failles, malgré une marge d’erreur très faible. Pour ce faire, il faudrait effectuer des travaux de sondage au sein des remparts. Une opération très longue et coûteuse. « Les sondages, c’est très cher, dit l’architecte. Tellement cher que cela se rapproche d’une restauration. Je ne peux pas raisonnablement dire à la CA2BM de faire des travaux de sondage. »
La communauté d’agglomération n’a pas donné suite à nos multiples sollicitations. D’après nos informations, le sujet serait sensible, en grande partie en raison du financement incertain des travaux. « On va devoir se battre pour aller en chercher », confiait Philippe Cousin, vice-président de la CA2BM chargé des remparts de Montreuil-sur-Mer à La Voix du Nord, le 10 décembre.
En juin 2022, faute de main-d’œuvre, l’association Chantiers histoire et architecture médiévale (Cham), chargée de la restauration d’une partie des remparts, a stoppé les travaux pendant un an. Ils n’ont repris qu’en octobre 2023, sous la responsabilité de l’entreprise Chevalier, spécialisée dans la rénovation des monuments historiques. La communauté d’agglomération, qui avait affecté 228 000 euros en 2023 au titre de la rénovation des remparts, va encore devoir mettre la main à la poche, mais elle sera contrainte d’aller chercher de l’argent auprès d’autres financeurs – comme la Fondation Stéphane Bern, donatrice en 2020 de 25 000 euros. Un investissement nécessaire pour préserver ce monument exceptionnel et éviter un scénario similaire à celui de la citadelle de Bitche (Moselle) : en 2018, un diagnostic avait conseillé des travaux urgents, pas menés à leur terme faute de financement. Une partie de l’édifice s’est effondrée à l’été 2021, à cause des inondations.
Source : https://reporterre.net/Dans-le-Pas-de-Calais-meme-les-remparts-tombent-face-aux-inondations