Rénovation énergétique : pourquoi les syndics de copropriété sont frileux sur le sujet
Les syndics sont censés jouer un rôle central dans le vaste chantier de la rénovation thermique des bâtiments. Si la prise de conscience progresse, un certain nombre de professionnels soulignent la multitude de difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Les copropriétaires de ce petit immeuble ancien, dans le quartier du Marais, à Paris, ont quitté le 27 septembre leur assemblée générale (AG) annuelle sans bien comprendre ce qu’ils avaient voté, ni pourquoi. En fin de réunion, le syndic a abordé avec prudence le chapitre de la rénovation thermique et des obligations prévues par la loi Climat et résilience de 2021.
Le procès-verbal témoigne qu’un diagnostic de performance énergétique (DPE) collectif a été inscrit à l’ordre du jour. « Mais le syndic nous a dit : “Je vous recommande de voter contre”, témoigne Alexandre (le prénom a été changé), l’un des propriétaires, membre du conseil syndical. Il nous a expliqué qu’il ne fallait pas s’embêter avec ça, pour nous éviter d’engager des frais alors que le sujet reste très flou. Et que nous en reparlerions lors des prochaines AG. » Les propriétaires ont voté contre, mi-soulagés d’avoir échappé à une dépense, mi-déconcertés de ne pas emboîter le pas de la rénovation et de la lutte contre le réchauffement climatique.
Le syndic, à la fois représentant légal et chargé de la gestion de la copropriété, est pourtant censé jouer un rôle central dans le grand chantier de la rénovation énergétique du parc de logements. « Nous sommes au cœur du processus, pour informer, expliquer les lois, conseiller, orienter, assure Danielle Dubrac, qui préside l’Union des syndicats de l’immobilier. Et c’est formidable d’être des ambassadeurs de la décarbonation, c’est plus intéressant que de gérer des pannes d’ascenseurs. »
Nombre d’autres copropriétaires ont pourtant constaté l’inverse à l’échelle de leur immeuble. Anne-Sophie Harnisch, propriétaire dans la capitale et architecte, a le sentiment d’avoir été bien seule, avec le conseil syndical, à porter le projet de rénovation de son bâtiment. « En 2018, c’est moi qui suis allée chercher la subvention pour réaliser l’audit énergétique, puis j’ai consulté des maîtres d’œuvre, et, avec des voisins, nous nous sommes occupés des visites de l’architecte et des experts de l’audit. Le syndic n’a pas été réfractaire, dit-elle, mais il n’a pas joué son rôle de conseil ; il a été mou, tandis que nous avons dû être hyper-dynamiques. »
Dans une étude parue en octobre sur « Les mutations contemporaines des syndics de copropriété », l’Institut Paris Région confirme que, si les acteurs nationaux comme Nexity ou Foncia « se montrent globalement très investis auprès des pouvoirs publics sur le sujet de la rénovation énergétique », la réalité est tout autre sur le terrain. « L’attitude majoritaire des syndics, observait le rapport, serait plutôt celle du suivisme. »
Consciente des progrès à réaliser, la Mairie de Paris a d’ailleurs reçu les représentants de la profession à l’Hôtel de ville le 28 novembre, pour signer une charte d’engagements mutuels afin de massifier la rénovation des copropriétés parisiennes. « Nous sommes prescripteurs, donc, sans nous, il ne se passera rien, confirme Sylvain Delesalle, directeur général du cabinet My Syndic, implanté en Ile-de-France. En AG, on peut freiner si nous ne voulons pas qu’un projet passe, ou, au contraire, on peut le pousser. Mais là, ce n’est pas qu’on ne veut pas, c’est qu’on ne peut pas. »
La charge de travail supplémentaire constitue la première difficulté. « Si je passe 100 % de nos immeubles en audit énergétique, et l’année suivante en phase travaux, nos équipes vont exploser, je n’aurai pas assez de main-d’œuvre, explique Sylvain Delesalle. Il faudrait donc embaucher, mais je ne me vois pas demander à nos clients d’augmenter les honoraires de 50 %, et par ailleurs il y a une vraie pénurie de gestionnaires, beaucoup sortent de la profession et il est de plus en plus dur de recruter. »
Alors que le DPE collectif devra être réalisé au 1er janvier 2024 pour les plus grandes copropriétés, et au plus tard au 1er janvier 2026 pour les plus petites, le président de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), Loïc Cantin, juge le calendrier de la rénovation « intenable ».
Lionel Réchain dirige un syndic indépendant de taille moyenne. Son cabinet parisien rassemble une dizaine de collaborateurs et un portefeuille de cent dix immeubles. Lui aussi reconnaît volontiers qu’« assez peu de gestionnaires poussent et se battent » en faveur de la rénovation énergétique, mais fait valoir, à leur décharge, qu’« ils ne sont pas aujourd’hui suffisamment formés, alors que les connaissances à emmagasiner sont énormes ».
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l vient donc d’embaucher une gestionnaire entièrement assignée à ce chantier. « Lorsqu’on explique aux copropriétaires que les travaux d’amélioration énergétique vont coûter de 300 000 euros pour un petit immeuble à plus d’un million d’euros au-delà de cinquante appartements, il faut mettre en face un gestionnaire qui maîtrise le sujet, pas quelqu’un d’un peu dépassé », poursuit-il.
Avec une facture moyenne par copropriétaire de 17 700 euros (hors taxes) – et qui dépasse souvent 30 000 euros en région parisienne – le « mur de l’argent » est d’ailleurs l’autre frein majeur des syndics. Les prêts collectifs pour ce type de travaux, pour financer le reste à charge après la subvention publique, ne sont pas adaptés. « Les gestionnaires sont souvent découragés par le reste à charge, car ils peuvent se casser les dents et ne pas trouver de banque », témoigne Danielle Dubrac.
« Les syndics sont aussi vus comme les apporteurs de mauvaise nouvelle, comme ceux qui incitent à la dépense, on constate souvent une défiance à leur égard, observe Frédéric Delhommeau, directeur habitat et rénovation à l’Agence parisienne du climat, qui a créé la plate-forme CoachCopro pour aider les copropriétés à se lancer. Ils sont certes rémunérés, par le biais d’une quote-part sur les travaux, mais plusieurs années après le lancement du projet, car ce sont des chantiers très longs. » « Et comme le contrat du syndic est de trois ans, le risque existe qu’un autre syndic touche in fine la commission », relève Danielle Dubrac.
Pourtant, une prise de conscience est à l’œuvre. L’explosion des prix de l’énergie et l’obligation qui incombe aux propriétaires bailleurs de rénover les passoires thermiques pour continuer à les mettre en location ont créé une dynamique. « Aujourd’hui, pas une AG ne se tient sans parler de rénovation », se félicite Sébastien Catté-Wagner, responsable du service habitat durable à l’Agence nationale de l’habitat.
Cet établissement public a plus que doublé le nombre des subventions MaPrimeRénov’Copropriétés distribuées entre 2021 et 2022 : le nombre de logements ayant bénéficié d’une rénovation des parties communes de leur immeuble (isolation de façade, de toiture, installation de ventilation…) est ainsi passé en un an de 10 000 à plus de 22 000. L’objectif est de franchir la barre des 40 000 en 2023. Cette portion reste toutefois encore bien maigre, eu égard au 1 million de logements en copropriété classés passoires thermiques avec une étiquette « F » ou « G » – sans même compter les « E ». « Les syndics sont en retard et se rendent compte de la nécessité d’avancer, résume Lionel Réchain. Mais c’est une montagne qui est devant nous. »