Montpellier, Lille, Agen, Paris… La bataille de l’espace public
Fini le vélo dans le tram! A Montpellier, le réseau de transport urbain interdit, à compter du 21 décembre, l’emport des bicyclettes dans les tramways. En octobre, à Lille, la municipalité avait banni le vélo des rues piétonnes, sous peine d’amende. A Paris, la maire Anne Hidalgo organise le 4 février une votation sur la tarification du stationnement des SUV.
A première vue, ces trois mesures, prises dans des collectivités dirigées par le PS, semblent relever du bon sens. Dans la métropole languedocienne, les conflits entre les vélos, les poussettes et les fauteuils roulants sont récurrents. Or, les transports sont d’abord faits pour transporter des gens. La capitale des Hauts-de-France (comme la ville d’Agen, par ailleurs) laisse baguenauder les piétons en paix, loin de la minorité d’usagers du vélo qui se comportent en prédateurs (lire ici). Paris, enfin, voudrait taxer davantage les propriétaires des véhicules lourds, encombrants, et émetteurs de particules fines.
Ces trois décisions s’appuient sur la même logique: elles organisent l’espace urbain afin de limiter tel ou tel mode de transport, au profit des autres modes. L’agencement de l’espace présente, pour une collectivité, plusieurs avantages: ses effets sur l’usage sont immédiats, la mesure est facile à comprendre et ne coûte pas beaucoup d’argent public.
L’histoire du recul progressif de la voiture dans les villes, qui a commencé dès les années 1960 et s’étire depuis avec une désespérante lenteur, est jalonnée de décisions concernant l’espace: piétonisation des rues commerçantes (rue du Gros-Horloge, à Rouen, en 1971), régulation du stationnement, par le temps puis par l’argent, création de couloirs de bus, mise en place des vélos en libre-service (par Gérard Collomb, à Lyon, en 2005), choix d’autoriser, ou non, les vélos et trottinettes en libre-service, définition des périmètres des zones à faibles émissions (ZFE)… Car au fond, c’est le principal grief qui est fait à la voiture en ville: son omniprésence, l’espace surdimensionné qu’elle occupe, alors qu’elle ne sert la plupart du temps qu’à effectuer des trajets relativement courts, pour lesquels il existe de multiples alternatives.
En miroir, l’histoire de l’emprise automobile s’est bâtie sur la logique de colonisation de l’espace: élargissement des rues, rétrécissement des trottoirs, suppression des voies de tramway, construction de rocades, de pénétrantes, de parkings à perte de vue.
Ainsi, la rivalité pour l’espace ne cesse jamais, surtout dans une grande ville, où il est rare et précieux. A Paris, où l’occupation éphémère de la moindre table de bistrot coûte au minimum 2,5 euros, la place octroyée aux trottinettes ou aux SUV sur la voie publique alimente forcément les conversations.
La régulation spatiale est donc légitime, car elle organise l’avenir des villes. Encore faut-il savoir pour quelles raisons on procède à cette régulation. S’agit-il de répondre à des critères objectifs, afin de limiter l’usage d’un mode, à un endroit ou à un moment où il devient trop encombrant? Ou les municipalités agissent-elles pour des raisons politiques ?
Or, les décisions prises à Montpellier, Lille ou Paris s’appuient manifestement sur des motivations politiques, davantage que sur des choix urbanistiques. Les nuisances des SUV sont documentées, comme l’avait montré cet article de Pascale Krémer dans Le Monde En mai, la ville de Lyon a pris la décision d’augmenter le tarif du stationnement pour ces véhicules. Mais Paris, en dépit de ces éléments incontestables, préfère recourir à une « votation citoyenne » à l’issue incertaine, d’autant plus incertaine que le scrutin ressemble fortement à une manœuvre de diversion après l’escapade polynésienne de la maire en octobre, alors qu’elle prétendait initialement être restée sur les bords de Seine. En outre, la future (et hypothétique) réglementation parisienne n’inclut pas les véhicules des résidents, contrairement à la décision lyonnaise.
De même, l’exclusion des vélos des rues piétonnes peut se comprendre à certaines heures, ou certains jours, afin de sécuriser les déplacements à pied. Mais à Lille (comme à Agen), la mesure générale et absolue, fermement appliquée par la police municipale, dans un vaste périmètre central, sans matérialisation d’itinéraires de contournement, semble surtout destinée à récolter des "likes".
Enfin, à Montpellier, la décision d’exclure les vélos du tramway résulte de la consultation d’un comité rassemblant l’ensemble des associations œuvrant pour l’accessibilité universelle des transports. Elles craignent, à juste titre, l’afflux du public dans le tram à partir du 21 décembre, date à laquelle le réseau sera gratuit pour les Montpelliérains. L’exclusion des vélos est donc une conséquence indirecte de la gratuité des transports, une décision avant tout politique.