L'ultime combat des technologies contre l'érosion côtière
Les ingénieurs s'affairent pour tenter de ralentir le grignotage des plages. Si quelques solutions émergent, elles ne font que retarder l'échéance inexorable de leur submersion.
C'est un banc de sable sur le fil du rasoir. Entre Sète et Marseillan (Hérault), le lido dunaire de Thau résiste comme il peut à l'assaut des vagues. « En une génération, 45 hectares de plage ont disparu de ce paradis de 12 km de long, et le marégraphe enregistre déjà une hausse de 0,5 cm du niveau de la mer », explique François Commeinhes, président (LR) de la communauté d'agglomération du bassin.
Si le cordon venait à disparaître, laissant le sel envahir l'étang, près de 500 entreprises ostréicoles, couvrant 80 % de la production d'huîtres en Méditerranée, seraient condamnées. Le grignotage de la plage pèserait aussi sur le tourisme, l'autre ressource économique de cet archipel fragile : le secteur génère plus de 1 milliard d'euros de retombées et fournit près de 20 % de l'emploi de la région.
C'est dire l'enjeu du vaste chantier de protection engagé par la collectivité en 2007. Pour 55 millions d'euros d'investissement, financé en partie par la politique européenne de cohésion et par l'Etat, l'agglomération a d'abord déplacé la route littorale pour reconstituer une plage de 70 mètres de large. A cet effet, 300.000 m3 de sable ont été transportés depuis le large.
A l'arrière, un cordon de dunes artificielles plantées de graminées a permis de reconstituer une barrière naturelle. « Ces quatre dernières années, elles se sont engraissées de 1,5 mètre », constate François Commeinhes. A l'avant, à 200 mètres du trait de côte, des boudins géotextiles ont été immergés. Ils atténuent la houle et cassent les plus hautes vagues, qui emportent les sédiments.
Une nouvelle expérimentation a récemment démarré pour les consolider, car ils sont parfois victimes des hélices de pilote qui s'approchent trop près du bord. L'objectif est d'accélérer le dépôt de concrétions marines pour les transformer en brise-lames rocheux.
C'est une entreprise marseillaise, Seacure, qui porte cette technologie. Créée en 2012, cette société a mis au point un béton écologique baptisé « Geocorail ». Le procédé, protégé par cinq brevets, électrolyse l'eau de mer pour précipiter les ions de calcium et de magnésium et créer un liant à base d'aragonite et de brucite - deux roches s'apparentant à la matière produite par les coraux - qui agglomère les sédiments environnants.
« La réaction produit une concrétion rocheuse très adhésive qui peut fixer en quelques mois de gros blocs », explique Christophe Souillart, président de Seacure. Savamment installées sur le fond de l'eau, ces « chaussettes » jouent le même rôle qu'un récif. « Les vagues qui les traversent déferlent sans puissance sur la plage », résume le patron.
Seacure a dû lever 5 millions d'euros et pratiquer de nombreux essais in situ pour mettre au point cette innovation. Mais il s'attaque à un marché colossal de près de 5 milliards d'euros de dépenses publiques consacrées chaque année, rien qu'en Europe, à la protection des côtes contre le risque d'érosion et de submersion.
Selon le CEREMA (Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement), qui a fait récemment l'inventaire des 6 000 km de littoral français, près de 20 % des rivages sont en recul sévère. Depuis 1960, 30 km2 de terre, l'équivalent de 4 200 terrains de football, se seraient déjà effrités et ce grignotage menacerait directement 50 000 habitations pour une valeur immobilière de 8 milliards d'euros.
Un décret, publié au Journal officiel le 30 avril 2022, établit une liste des 126 communes les plus dangereusement exposées, de Quiberon, en Bretagne, à Cassis, en Provence, qui doivent trouver des alternatives résilientes face à des replis de plus en plus brutaux. A Wissant par exemple, dans le Pas-de-Calais, la tempête Ciara de février 2020 a fait reculer la dune de 30 mètres. « Il faut s'attendre au pire », estiment les climatologues.
Dans le rapport spécial du GIEC sur les océans, publié le 25 septembre 2019, les experts prédisent que l'élévation du niveau de la mer pourrait se situer entre 29 cm et 1,2 mètre d'ici à 2100 selon les scénarios. L'Alliance nationale de recherche pour l'environnement estime même que « l'hypothèse de 2 mètres doit aussi être étudiée ».
La réponse apportée par Seacure n'est pas la seule en lice pour conquérir le marché de l'anti-submersion. Pour engraisser naturellement les côtes, les ingénieurs s'inspirent de principes physiques. « Rien ne contre la puissance de l'eau mais on peut la canaliser pour trouver de nouveaux équilibres », résume un spécialiste de l'hydrodynamique.
C'est ce qu'ont découvert des techniciens de la société danoise Geo en travaillant sur des solutions de filtration d'eau de mer. Ce faisant, ils ont utilisé les capacités poreuses du sable et constaté que le système de drainage utilisé réduisait drastiquement la force du reflux des vagues et stabilisait ainsi les sédiments sur la surface de la plage. Depuis, plusieurs collectivités ont adopté cette solution consistant à la pose de drains souterrains parallèles au trait de côte, reliés à une station de pompage. Sur ce sol partiellement asséché, les vagues s'infiltrent et déposent leurs sédiments.
Depuis vingt ans, la plage des Sables-d'Olonne, comme une dizaine d'autres en France, constate le résultat. Dans la ville du Vendée Globe, 700 mètres de drains ont été enfouis et l'érosion n'a pas seulement cessé : la plage s'est engraissée de 40 cm de sable sur sa verticale avec le transfert de plus de 20.000 m3 de matériaux, du bas vers le haut.
Plus récemment à La Baule, plusieurs de ces systèmes anti-érosion ont été doublés de l'alimentation en eau et en climatisation du centre aquatique et du spa voisin pour amortir la facture, proche de 1,5 million d'euros. « C'est plus rentable que d'avoir à recharger continuellement la baie chaque année », calcule Xavier Lequerré, adjoint au maire chargé des plages. La version 2.0 du mythe de Sisyphe ?
Le projet Pégase veut s'inspirer de la nature pour faire mieux que l'enrochement artificiel ou le renfort de digues afin de protéger les plages. Installé par la société Seaboost dans la petite baie de Grau d'Agde (Hérault), cet atténuateur de houle reproduit une mangrove artificielle dont le réseau racinaire est connu pour absorber 70 % de la puissance des vagues.
Cinq années de simulation numérique ont été nécessaires à l'entreprise pour comprendre et reproduire les effets de la tortuosité de ce milieu composé de palétuviers entrelaçant leurs radicules profondément ancrées dans la vase. Seaboost en a tiré le design d'un cylindre semblable à une roue à aubes reposant verticalement sur un long pieu enfoncé à 6 mètres dans le sable. L'eau le traverse aisément mais son écoulement est perturbé. « Son énergie se dissipe et sa vitesse ralentit avant de toucher la plage », explique Julien Dalle, directeur de projet chez Seaboost. Une quarantaine de ces modules a été immergée l'an passé entre deux brise-lames rocheux déjà installés pour protéger la plage. Les premiers effets se font déjà sentir avec la réapparition de dépôts sédimentaires disparus depuis des décennies. L'expérimentation de cette première mondiale va donc se poursuivre et s'amplifier : dès l'an prochain, une centaine d'atténuateurs de houle supplémentaires devraient être installés pour un coût d'environ 2,5 millions d'euros.
> 975 : le nombre de communes littorales en France, dont 90 en outre-mer. En métropole, elles couvrent 5.500 km de côtes et représentent 4 % du territoire.
> 80 % : le pourcentage de communes littorales confrontées à un risque naturel majeur.
> 20 % : la proportion de côtes métropolitaines en recul, soit 920 km linéaires, dont 270 km subissent une vitesse d'érosion de plus de 50 cm par an. Les côtes sablonneuses sont les plus touchées : 37 % sont en recul.
> 8 : en millions, le nombre de Français habitants une commune littorale. Ils sont 2 millions de plus qu'en 1960 et devraient être 4,5 millions de plus d'ici à 2040.
> 5 : le nombre de département dont la moitié des côtes enregistre un recul significatif : Seine-Maritime, Charente-Maritime, Gironde, Hérault, Bouches-du-Rhône.