Christophe Cassou, la rock star du climat
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Scientifique engagé pour le climat, Christophe Cassou a fait de la vulgarisation son cheval de bataille. Tout en se battant pour faire avancer l’action politique.
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Christophe Cassou veut faire sortir la science des laboratoires pour interpeller sur l'urgence climatique.
Un parapluie désarticulé pour seul abri, nos corps humides piétinent devant la façade somme toute banale du 45 rue Lhomond, dans le 5ᵉ arrondissement de Paris. À l’adresse indiquée par notre hôte du jour, ni écriteau, ni blouse blanche. Juste une porte… close. Drôle d’intimité pour un laboratoire scientifique. Le téléphone vibre et à l’autre bout du fil, grésille la voix de Christophe Cassou : « Je me suis trompé d’adresse, c’est au n° 24. » On s’en doutait un peu.
Le quinqua a les pommettes saillantes, le nez en lampion rougeoyant et des yeux vert-gris tout droit sortis d’une aquarelle. Une barbe du matin, ou plutôt de la veille, et un sweat à capuche mandarine à l’éclat envolé couronnent son allure de marin. Un brin boitillant, à cause d’une jambe plus courte que l’autre, le climatologue semble déboussolé dans le labyrinthe de couloirs couleur citrouille de l’École normale supérieure (ENS).
Ici débutent pour lui de nouvelles péripéties, loin du nid qu’il occupait depuis 2002 au Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (CERFACS), à Toulouse. Il crèche désormais dans une maisonnette à Villejuif, au sud du périph’ parisien. Un sacré casting, ont dû penser ses nouveaux colocataires en voyant débarquer sur leur paillasson la rock star du climat, mi-octobre. Le ciel grisâtre et sans nuance, immobile un mois durant, a toutefois bel et bien failli le faire déguerpir aussitôt arrivé. Lui, l’amoureux des tempêtes, des orages et des temps changeants.
« À dix ans, je commençais déjà à construire une station météo, dit-il en grimpant dans un vieil ascenseur. Mon grand-père travaillait le bois à merveille et à Noël, je découvrais de nouveaux instruments au pied du sapin. » Cette enfance heureuse, Christophe Cassou l’a coulée dans un patelin de 500 âmes, au cœur des Landes. Son père et sa mère travaillaient à la Sécurité sociale et l’emmenaient vadrouiller dans les Pyrénées à leurs heures perdues. Tous deux aimaient lui montrer les fleurs, même sans connaître leur nom. Christophe fut le premier Cassou à décrocher le bac et à conquérir la ville.
La main plongée dans un trophée poussiéreux, le chercheur marmonne : « Où peuvent-elles bien être planquées ? » Bingo. Il déniche le trousseau de clefs de la salle 209… avant de s’apercevoir que la porte n’était pas verrouillée. Dans la pièce exiguë, quatre murs blancs se font face. Il s’assoit, enfin. « Ça ne va pas être facile de dresser votre portrait, après celui de Libé. Vous nous avez gardé quelques secrets ? » lui demande-t-on. L’homme aux traits bonhommes sourit silencieusement. Il n’apprécie guère parler de lui. D’ailleurs, il ne parle pas. Il murmure. D’une voix chevrotante, trahissant son malaise.
Ras-le-bol des analyses abstraites et des indicateurs lointains. Une fois achevée sa participation au sixième cycle d’évaluation du GIEC, le climatologue s’imaginait mal plonger à nouveau dans la manipulation théorique de processus physiques : « Je sens que l’on vit un moment de bascule, où doivent être prises des décisions drastiques pour notre société. » Et dans cette époque primordiale, c’est à la jeunesse et à l’éducation qu’il veut consacrer du temps. Pour son baptême du feu, Christophe Cassou a dispensé un module sur le climat à une classe de licence. « Cette carte de France d’observation des anomalies de températures est couverte de rouge… sauf ce petit point bleu. Expliquez pourquoi », s’imite-t-il, d’un ton professoral.
À l’heure où retentit la sonnerie, beaucoup d’étudiants descendent des amphis pour l’interroger sur la place des scientifiques. À ses yeux, le choix de sortir de son labo pour porter le message d’un risque croissant et menaçant est légitime. Et dénoncer l’incompatibilité de l’extrême droite avec la lutte contre le changement climatique l’est tout autant : « C’est notre rôle. La science est politique. Elle ne peut s’enfermer dans une tour d’ivoire, isolée de la société. Elle doit participer à la vie démocratique. »
À deux pas du palais Bourbon, le 20 juin 2022, trente-cinq scientifiques et lui-même avaient d’ailleurs proposé aux députés fraîchement élus, ou réélus, une formation express sur la crise climatique. Un seul sur les 89 que comptait le Rassemblement national avait daigné faire le déplacement. CQFD. Quant aux autres parlementaires, le climatologue avait été « frappé par leur résignation » : « Soumis à tellement d’injonctions contradictoires, certains semblaient abandonner l’idée de bâtir des lois pour l’intérêt général ».
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Actif sur Twitter jusqu’à l’été 2023, Christophe Cassou a suspendu son compte face à la violence qui y règne.
Cette incapacité des gouvernants à bifurquer a atteint son paroxysme avec le projet autoroutier de l’A69, devant relier Toulouse à Castres. Le 11 septembre, aux côtés de sept membres de l’Atelier d’écologie politique (Atecopol), un collectif de chercheurs, Christophe Cassou s’est entretenu une heure avec la présidente socialiste de la région Occitanie : « Compenser. Carole Delga n’avait que ce mot à la bouche, souffle-t-il, las. Renoncer n’est pas un échec. Renoncer, c’est éviter de perdre la face. Pourtant, ni elle, ni l’État, n’ont voulu. C’est un pur déni de gravité et de vulnérabilité. C’est de l’éco-ça-va-le-faire… Alors que non, on n’y arrivera pas. »
Point d’orgue de ce chapitre : le 22 octobre, les forces de gendarmerie ont lancé l’assaut pour déloger les militants anti-A69 d’une ZAD créée la veille. À quelques pas de là, des grenades lacrymogènes furent jetées sur deux collectifs de scientifiques et sur le public venu assister à leur conférence. Alors qu’il était en plein déménagement, le climatologue découvrit les images à la télévision : « Le message est clair. S’il y avait un contrat social entre la communauté scientifique et les décideurs, il est rompu. »
En occitan, cassou signifie chêne, et le chêne ne rompt pas facilement. En devenant l’un des auteurs principaux du GIEC en 2021, il a décroché enfin cette précieuse reconnaissance, jamais poursuivie mais qui finissait pourtant par lui manquer. Il se souvient aujourd’hui des séances d’approbation des travaux, avec l’ensemble des délégués internationaux : « Covid oblige, on a passé onze jours les yeux rivés sur un écran. J’ai dû aller consulter un ophtalmo à la sortie. »
Ce goût pour la vulgarisation, il l’employait aussi sur un autre terrain de jeu : Twitter. Devenu maître dans l’art de contracter en 280 caractères des travaux complexes de plusieurs dizaines de pages, il décida pourtant de suspendre son compte, le 5 août. Désormais appelé X, le réseau social a muté en une véritable « foire, emplie d’attaques ad hominem ». « Cette dérive est sournoise, dénonce-t-il. Les climatosceptiques n’essaient plus de manipuler les données scientifiques, mais tentent à présent de décrédibiliser les messagers. Ils s’en prennent à notre identité, notre déontologie, notre honnêteté. Et ce n’est que le début. » Christophe Cassou n’est pas câblé pour cette violence. Hypersensible ? Il pense l’être. « Peut-être que je tiens cela de mon frère jumeau, mort à la naissance. »
Deux femmes ont inspiré l’homme gesticulant face à nous, désormais moulin à paroles. L’une, Claire Périgault, lui a transmis le goût de la recherche, dans un laboratoire de la NASA à Los Angeles lors de son service militaire. L’autre, Geneviève Delmas-Patterson, l’a paré de l’habit de militant. Aujourd’hui nonagénaire, cette chimiste franco-canadienne l’a accueilli à Montréal, alors qu’il n’était encore qu’en école d’ingénieurs. Le dimanche, tous deux cuisinaient pour apporter à manger aux sans-papiers du quartier. « À défaut d’avoir suffisamment d’argent pour gratifier mon stage, elle me logeait et me nourrissait », dit-il, les yeux embués.
Parfois, la mélancolie le guette. Il décrit ces instants d’insouciance sur la côte atlantique, il y a déjà trente ans. Les heures passées en symbiose avec la houle, à aiguiser ses talents de bodysurfeur. « La journée terminée, on s’effondrait d’épuisement dans le canap’ avec mes potes. » De temps à autre, au gré des saisons, il sort sa combinaison de plongée du placard, chausse ses skis de randonnée ou plonge dans des romans d’anticipation, pour échapper un instant aux courbes alarmantes et aux prévisions dramatiques. Dernière lecture en date, Impact d’Olivier Norek : un soldat des forces spéciales, dont la fille est morte-née du fait de la pollution atmosphérique, y kidnappe le patron de Total. « Je l’ai dévoré. »
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Christophe Cassou : « Le temps s’est figé. Ai-je eu ce sentiment une seconde ou dix minutes ? »
Une guirlande de néons dessine un serpentin étincelant, dans l’obscurité grandissante du jardin de l’école. Christophe Cassou aurait pu choisir une autre vie, loin des flashs de notre photographe et du bourdonnement immortel de la capitale.
Peut-être désertera-t-il un jour. Pour l’heure, il se contente de nous conter ses plus belles aventures. Comme la fois où, quelque part entre la Tasmanie et l’Antarctique, à bord du navire ravitaillant la base scientifique française Dumont-d’Urville, il croisa le chemin d’un iceberg tabulaire. « Le temps s’est figé. Ai-je eu ce sentiment une seconde ou dix minutes ? » Il n’en sait rien. S’il existe beaucoup de définitions du bonheur, il croit que ce sont ces moments furtifs, où le temps se dilate, devient infini. Il sourit.
Source : https://reporterre.net/Christophe-Cassou-la-rock-star-du-climat