Rénovation thermique : pourquoi ça bloque ?

Publié le par Reporterre via M.E.

Essentielle pour lutter contre la précarité et le chaos climatique, la rénovation énergétique peine à décoller. Aides compliquées, accompagnement insuffisant... Le point sur les blocages.

© Sebastien Lapeyrere / Hans Lucas via AFP / Hans Lucas

Des ouvriers collent des morceaux de panneaux d'isolants à Auch (Gers), en 2019.

1 Français sur 5 souffre du froid en hiver. La faute aux 5,2 millions de logements mal isolés existants à travers le pays. Et ces quelque 12 millions de personnes devraient continuer à grelotter encore longtemps. Car force est de constater que la rénovation de ces passoires thermiques — pourtant affichée comme une priorité par le président Macron — patine.

Voyez plutôt : en 2023, seules 15 000 maisons ont perdu leur glaçante étiquette G ou F grâce à des travaux, selon les chiffres de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) [1]. Et le gouvernement ne prévoit que 40 000 rénovations de passoires pour 2024. À ce rythme-là, il faudrait donc 130 ans pour isoler l’ensemble des bâtiments les plus énergivores [2].

« On est encore très loin des objectifs fixés, et les volumes à rénover sont colossaux par rapport à ce qu’on fait aujourd’hui », constate Vincent Legrand, président de Dorémi, un des acteurs majeurs du secteur. « On fait du surplace », abonde Olivier Sidler, de Négawatt, qui salue cependant « une prise de conscience » de l’urgence au sein du gouvernement. « La marche est encore haute », observe aussi Isabelle Gasquet, du réseau Cler. À l’occasion de la journée nationale contre la précarité énergétique, le 23 novembre, Reporterre fait le point sur les blocages persistants.

1. Des aides toujours mal fichues

Depuis quelques années, les rapports s’empilent avec un même constat : les dispositifs d’aide ne fonctionnent pas. En cause, d’après la très sérieuse Cour des comptes, des subventions mal fléchées : sur les 750 000 financements débloqués en 2021, les trois quarts des actions ont consisté en un simple changement du mode de chauffage, pour des poêles à granulés et des pompes à chaleur. Or, « les pompes à chaleur, c’est très bien, à condition d’isoler le logement », rappelle Olivier Sidler, coauteur d’un rapport de Négawatt à ce propos.

Autre problème, jusqu’à présent les aides ont surtout permis de petits travaux, comme des changements de fenêtres. Là encore, ça ne fonctionne pas : « Réaliser 1 ou 2 gestes de travaux n’aboutit pas à plus de performance énergétique », souligne Vincent Legrand, qui plaide depuis des années pour des rénovations globales et performantes, prenant en compte la toiture, les murs, le sol, les portes et fenêtres, la ventilation et le chauffage.

Le gouvernement semble enfin avoir entendu les alertes : pour 2024, le dispositif principal, MaPrimeRénov’, a été de nouveau toiletté pour favoriser les travaux d’ampleur. Sauf que… « Pour l’instant le compte n’y est pas, regrette Vincent Legrand. La plus grosse enveloppe, 3,2 millions d’euros, devrait être consacrée à un “parcours efficacité” fléché vers le changement de chauffage et les monogestes. » L’autre parcours, baptisé « performance » et doté d’1,6 milliard d’euros, devrait faciliter les chantiers plus performants.

Les travaux d’isolation, parmi les plus importants pour une rénovation durable, restent minoritaires. Pxhere/CC0

Outre les critères d’attribution, nombre d’observateurs, dont des députés issus de différents partis, ont dénoncé le montant, toujours trop faible, de ces subsides. « Les dispositifs actuels se montrent insuffisants, notamment pour les ménages les plus modestes qui gardent un reste à charge dissuasif », pointait ainsi un rapport parlementaire publié le mois dernier. Il estimait à 14 milliards d’euros supplémentaires l’effort financier à fournir en 2030 pour tenir nos objectifs.

Dernier point, et non des moindres, selon Olivier Sidler : « Les messages brouillons du pouvoir politique [à ce sujet]. Les dispositifs changent souvent, les gens ne savent plus où on en est. Au lieu de faire un guichet unique, avec un seul financement clair et lisible, on a des usines à gaz. »

2. Un accompagnement insuffisant

« Le gouvernement fait reposer le poids de la rénovation sur les particuliers, or les propriétaires ne sont pas des pros du bâtiment... Une rénovation performante, ça requiert un savoir-faire et des connaissances », explique Jérémie Rouzaud. L’homme dirige la société Kyaneos, l’un des principaux acteurs du secteur en France. Chaque année, l’entreprise rachète et rénove 1 000 passoires thermiques, qu’elle remet ensuite sur le marché locatif.

« On a besoin de groupements d’artisans et d’accompagnateurs formés »

Même constat du côté de structures moins lucratives, comme Dorémi : « Tout l’enjeu, c’est de faire travailler entre eux des corps de métiers différents — plaquistes, électriciens, chauffagistes, explique Vincent Legrand. On a besoin de groupements d’artisans et d’accompagnateurs formés, qui projettent le ménage dans la maison. »

Le problème n’est pas nouveau, et le gouvernement a tenté d’y apporter une timide réponse. En 2022, il lançait en grande pompe un nouveau service public, France Rénov’ : 550 guichets à travers la France et des « Accompagnateurs Rénov’ » chargés de guider les ménages. « C’était un premier pas, mais insuffisant face aux besoins », souligne Isabelle Gasquet.

Pour pallier aux manques de moyens humains sans mettre la main à la poche, l’exécutif a ouvert le système au privé. Désormais, « des architectes, des auditeurs énergétiques peuvent recevoir l’agrément “Accompagnateur Rénov’” et être payés pour ça », précise la spécialiste. Avec une crainte : que ces nouveaux acteurs ne soient pas neutres et indépendants dans leurs conseils.

3. Sur le terrain, des acteurs récalcitrants

Même une fois enclenché, un chantier de rénovation relève du parcours du combattant. Car sur le terrain, les obstacles sont toujours nombreux. Les escrocs sont encore légion — la Répression des fraudes a reçu 17 000 signalements à ce sujet sur les neuf premiers mois de l’année — les banques demeurent très récalcitrantes à soutenir les opérations (moins de 130 prêts à taux zéro ont été distribués en six mois) et les copropriétés restent réfractaires à lancer des travaux d’ampleur.

Autre frein, pointé par plusieurs experts : les préconisations des architectes des bâtiments de France (ABF), qui interviennent lors de travaux menés dans et autour des sites classés (2 700 en France). Non sans accroc avec les professionnels de la rénovation : « Dans le centre ancien d’une ville, dans un immeuble qui n’a rien d’exceptionnel, l’ABF nous a imposé du simple vitrage, s’emporte Jérémie Rouzaud. Les pompes à chaleur sont aussi très souvent interdites, parce que les unités extérieures sont moches ! »

Malgré l’urgence, le gouvernement avance donc à trop petits pas, et la rénovation peine à décoller. Au détriment des plus modestes : « Pour eux, la rénovation globale est le seul moyen de ne pas tomber dans la grande précarité », insiste Vincent Legrand, rappelant que des travaux d’ampleur peuvent permettre de diviser par 6 ou 7 la facture de chauffage.

Pour débloquer la situation, les associations plaident pour une obligation à rénover, « seule à même d’enclencher la machine », selon Olivier Sidler. L’interdiction progressive de louer des passoires thermiques, si elle va dans le bon sens, reste bien trop timide à leurs yeux.

Source : https://reporterre.net/Renovation-thermique-pourquoi-ca-bloque

Publié dans Energie, Habitat, Climat

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :