« La stratégie pour l’énergie et le climat est une tromperie »

Publié le par Reporterre via M.E.

La France a dévoilé le 22 novembre sa stratégie pour sortir des énergies fossiles. Elle mise sur le nucléaire et les renouvelables, sans moyens concrets, regrette Anne Bringault, du Réseau Action Climat.

© Colin Matthieu / hemis.fr / hemis.fr / Hemis via AFP

Le gouvernement veut accélérer le déploiement des renouvelables, notamment le solaire, mais aussi l'énergie nucléaire. Ici la centrale de Cruas, en Ardèche.

Pas besoin de lire entre les lignes pour déchiffrer les grands choix du gouvernement en matière de politique énergétique. Publié le 22 novembre, un document présentant la stratégie française pour l’énergie et le climat affiche l’ambition de rompre avec la « dépendance aux énergies fossiles » en réduisant la part du pétrole et du gaz d’ici à 2035. Problème : les moyens envisagés « manquent cruellement de concret », regrette Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat (RAC), qui pointe aussi l’un des grands absents de cette stratégie : le climat.

Reporterre : Que faut-il retenir du document publié le 22 novembre par le gouvernement sur la stratégie hexagonale pour l’énergie et le climat ?

Anne Bringault : Il faut d’abord souligner la tromperie du titre. Ce document intitulé « Stratégie française pour l’énergie et le climat » traite, en réalité, uniquement d’énergie. C’est pour le moins surprenant étant donné qu’il doit contenir trois documents : la troisième édition de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et le plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC).

Mais la France n’arrive pas à atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 dans les nouvelles modélisations, ni celui de la baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030. Elles sont pourtant, selon les experts de GIEC [1], des conditions indispensables pour limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C inscrit dans l’Accord de Paris. Ce document est principalement une programmation pluriannuelle de l’énergie. Rien ne figure par exemple sur l’agriculture, pourtant deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre.

Quelles sont les avancées ?

Sur les énergies renouvelables, on constate une volonté d’accélérer leur développement (notamment sur le solaire où la filière explose), sauf pour l’éolien terrestre qui reste un sujet visiblement tabou puisque son expansion n’est pas affichée, alors que l’on sait que des projets sont en discussion.

La notion de « sobriété » est citée dans cette stratégie ce qui est une avancée, même si l’on peut regretter qu’elle ne soit imaginée qu’en termes de régulation du chauffage des logements qui ne doivent pas dépasser les 19 °C. La sobriété n’est pas activée sur l’aérien, le transport de marchandises ou la production industrielle (ciment, acier) nécessaire à la construction de bâtiments neufs.

Quels sont les moyens envisagés et mis en œuvre pour arriver à ces objectifs ? Sont-ils suffisants ?

Les hypothèses envisagées pour atteindre cet objectif de baisse de la consommation d’énergie à partir de 2025 manquent cruellement de concret. Seule figure l’accélération de l’efficacité énergétique, et notamment la rénovation des bâtiments. Des moyens financiers supplémentaires ont été prévus dans le projet de loi de finances, fléchés sur la rénovation globale. Mais la rénovation thermique des maisons individuelles considérées comme des passoires énergétiques n’existe pas dans les textes actuels.

« La France ne respecte pas les règles qu’elle avait pourtant acceptées »

Ce qui met en évidence la nécessité de faire politiquement autrement : la rénovation thermique des maisons individuelles requiert un débat de fond afin de construire des mesures d’accompagnement (comme réfléchir à aider les personnes qui n’en ont pas les moyens, ou qui sont isolées ?). Celui-ci n’est absolument pas prévu, et laisse présager deux scénarios : soit la mesure ne verra pas le jour, soit elle arrivera de manière très brutale et sera donc rejetée par la population.

En parallèle, on apprenait via Le Monde que la France refusait de payer son amende à la Commission européenne à cause de son retard dans le déploiement des énergies renouvelables. La France n’endosse-t-elle pas le rôle de mauvais élève ?

La France est le seul pays européen à n’avoir pas atteint son objectif, fixé en 2009 par une directive européenne, de 23 % d’énergies renouvelables (éolien, solaire, hydraulique…) dans sa consommation finale brute énergétique en 2020. Ne l’ayant pas non plus atteint, la Belgique, les Pays-Bas, la Slovénie, le Luxembourg et Malte y sont parvenus en rachetant des « volumes statistiques » d’énergies renouvelables à des États ayant dépassé leur propre objectif. La France n’a pas voulu choisir cette option et ne respecte ainsi pas les règles qu’elle avait pourtant acceptées quelques années auparavant.

Dans son argumentaire, le gouvernement affirme que grâce au nucléaire et son énergie bas carbone, il n’a pas de raison de payer l’amende. En quoi le nucléaire peut-il freiner les avancées sur les énergies renouvelables ?

La France partait pourtant avec de l’avance sur certains voisins européens, notamment sur l’hydraulique, les possibilités de gisement, et d’installation d’éolien en mer. Mais le lobby du nucléaire, très puissant, a rapidement érigé le secteur du renouvelable en ennemi et a empêché le développement de projets. Le gouvernement justifie de ne pas avoir à payer d’amende au motif que la France possède l’une des productions électriques les plus décarbonées d’Europe, grâce à son parc nucléaire. Ce qui, finalement, ne répond pas à la question posée, et n’est pas à la hauteur du chiffre européen fixé à 42,5 % de renouvelables.

Source : https://reporterre.net/La-France-cancre-des-energies-renouvelables

Publié dans Climat, Energie, Gouvernance

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