Grève à Météo-France : pourquoi l’automatisation des prévisions inquiète
Mise en place dans la précipitation, source d’erreurs… L’automatisation des prévisions météo à destination du grand public suscite la crainte des prévisionnistes.
Colère à Météo-France : ce lundi, trois des quatre syndicats de l'établissement public appelaient à une grève « symbolique », afin d'exprimer les craintes des membres du personnel face à la mise en place du projet « Programme Prévision Production », qui prévoit l'automatisation des prévisions à destination du grand public.
Dans le communiqué commun signé par FO, Solidaires, la CGT et la CFDT – cette dernière est la seule centrale à ne pas avoir appelé à la grève –, les syndicats s'inquiètent de la perte de qualité induite par l'automatisation des prévisions météo disponibles sur le site Internet et sur les applications, dans le cadre d'une réorganisation qui est, selon eux, une « conséquence concrète de la réduction des effectifs ».
« Nous n'avons plus assez d'effectifs pour conserver l'ancienne organisation, explique Lionel Althuser, de la CFDT. L'automatisation était donc inéluctable. Mais nous déplorons la façon dont cela se passe. Nous ne sommes pas prêts, les derniers préparatifs ont été faits dans la précipitation, même si on y travaille depuis longtemps. »
Cette bascule intervient en effet après des années de réduction d'effectifs, entamée sous Nicolas Sarkozy, poursuivie sous François Hollande, et accélérée encore par le plan Action publique 2022, lancé par Emmanuel Macron en 2018. En l'espace de quinze ans, Météo-France a ainsi perdu environ 30 % de son personnel, passant de 3 649 personnes en 2008 à 2 586 en 2022.
Son implantation a également été réduite : alors qu'elle comptait 108 centres en France en 2012, elle n'en possède plus que 39 aujourd'hui. Résultat : si des embauches sont prévues pour 2023 et 2024, l'organisation fonctionne en mode dégradé depuis septembre, faute de personnel suffisant.
« Nous ne sommes pas contre l'automatisation en soi, développe Steven Testelin, représentant du syndicat national de la météorologie-CGT. Il est clair que nous n'avons plus besoin d'autant de prévisionnistes que dans les années 1970, puisque les modèles dont nous disposons sont de plus en plus performants. Mais ce nouvel algorithme n'existait pas il y a six mois, et cela nous inquiète. L'automatisation pourrait nous permettre d'analyser plus finement, mais c'est l'inverse de ce qu'il se passe. Nous savons déjà que certaines des prévisions du système automatique seront erronées, et il sera difficile de les corriger. »
Aux dires des syndicats, la direction générale de Météo-France revendique un taux de fiabilité supérieur à 95 %. Mais à leurs yeux, le risque demeure : ils craignent en effet que l'algorithme peine à maintenir un si bon score lors des situations « à fort enjeu », les plus complexes à prévoir en termes météo.
« Cet été, l'algorithme prévoyait par exemple des orages sans pluie, souligne Lionel Althuser. C'est pourtant rare, un orage sans pluie… Ce nouvel outil peut s'avérer très bon dans la majorité des cas, mais il risque de commettre des erreurs sur les situations les plus sensibles, où il faut justement en commettre le moins possible. »
Les prévisionnistes s'inquiètent particulièrement des prévisions orageuses et en montagne. Les données sur la limite pluie/neige en altitude, c'est-à-dire la hauteur à laquelle la pluie de vallée se transforme en neige sur les massifs, risquent par exemple d'être moins fiables. Au risque de mettre en danger les habitants, même si l'établissement des vigilances n'est pas concerné par le dispositif.
« On redoute aussi la dissonance cognitive qui va résulter de l'automatisation des prévisions et du maintien de prévisions humaines plus fines pour établir des alertes vers des secteurs professionnels ou des partenaires institutionnels, explique Lionel Althuser. Concrètement, on peut s'attendre à ce que le site de Météo-France annonce de la pluie, alors que le préfet demandera aux gens de rester chez eux pour neige. Cela risque de nous décrédibiliser et de placer les agents dans une situation inconfortable. »
Et ce, alors que, d'après les syndicats, le modèle n'a été que peu testé. Les prévisionnistes ont donc l'impression de devoir faire un « saut dans le vide ».
« On regrette la précipitation dans laquelle tout cela s'est déroulé, souligne Steven Testelin. Nous n'avons eu que des tests très courts sur les dernières semaines, les formations ont été brèves et tardives… On a le sentiment de ne pas avoir été bien formés, que la nouvelle chaîne de prévision comme les nouveaux outils ne sont pas robustes. Il aurait fallu tester les deux organisations en parallèle pendant un an, conserver l'ancienne tout en mettant en place la nouvelle pour s'assurer que tout fonctionne. Il y a une forte inquiétude. »