Face aux risques d'inondations, la digue, symbole de maladaptation, apporte un "faux sentiment de sécurité"
Des murs de plus en plus hauts pour lutter contre les inondations et les submersions marines : c'est la solution de court-terme que la plupart des pays déploient pour se protéger. Mais ces digues, extrêmement chères ne peuvent être qu'une solution temporaire. Face à l'accélération du changement climatique, elles ne pourront pas toujours être efficaces. Surtout, leur illusion de protection accentue les risques d'exposition et donc potentiellement les pertes humaines et économiques.
En Libye, en Birmanie, en Thaïlande, au Ghana, à New York fin septembre, ou encore en Europe du Nord et dans les Alpes du Sud ce week-end, les inondations causent chaque année des milliers de morts et entraînent des milliards de dollars de pertes. Face à ce risque, la tentation de construire des digues est grande. Dans le sud de Manhattan, entre l’East River et une voie rapide, des digues sont ainsi construites depuis 2021 sur quatre kilomètres. En France, une commune sur deux en est dotée, soit une longueur cumulée de 9 000 kilomètres, selon l’association France Digues, afin de lutter contre les inondations fluviales ou maritimes.
Mais parfois le remède est pire que le mal. C’est ce qu’on appelle la mal-adaptation. "Quand on essaye de s’adapter au changement climatique, mais qu’on aggrave le problème soit pour soi, soit pour les autres, soit à long terme", résume pour Novethic Vincent Viguié, chercheur en économie de l’adaptation au changement climatique au Cired. "Certaines constructions de digues en sont un exemple. Quand on endigue une rivière, il y peut y avoir une augmentation du risque de crue en aval, aggravant le problème. Dès lors, les digues ne doivent jamais être la seule solution envisagée face aux risques d’inondations", poursuit-il.
"Faux sentiment de protection"
La digue comme solution à la crise climatique entraîne de nombreux effets pervers. "Ériger des digues, c’est ce qu’on fait depuis des décennies sur nos côtes. Cela semble de prime abord une bonne solution, elle est tangible, physique et donc elle rassure, mais elle donne un faux sentiment de protection, nous confirme Théophile Bongarts-Lebbe, chef de projet Sea’ties pour la plateforme Océan & climat. Car cette solution extrêmement onéreuse pourrait ne pas suffire à éviter le risque à mesure que le réchauffement climatique s'accélère et que la montée des eaux s’accroit."
Quand elles construisent une digue, les collectivités doivent s’arrêter sur un scénario. Or, les projections concernant le changement climatique sont extrêmement incertaines et il est probable qu’il faille régulièrement rehausser le niveau des digues. Cela entraîne des coûts colossaux, mais aussi des impacts collatéraux importants. "La construction d’un épi (ouvrage construit perpendiculairement au trait de côte, ndr) bloque la sédimentation. Cela va contribuer à l’érosion des sols de l’autre côté de l'épi. En cas de fortes houles, le risque de rupture de digues est accentué en raison de la différence de niveau devant la digue en aval de l'épi", explique Adrien Privat, Responsable de mission Interface Terre-Mer, au sein du Conservatoire du littoral.
Alors comment protéger ces zones à risque dans lesquelles de plus en plus d'humains s'installent au détriment de zones plus sûres ? L’une des solutions les plus radicales mais aussi les plus efficaces est la relocalisation. "Mais on voit bien à quel point la relocalisation d’une ville comme New York, où l’attachement à la propriété est très fort, va être compliqué dans une société démocratique", pointe le spécialiste. "C’est aussi le cas dans des petits hameaux sur le littoral français, plusieurs fois inondés. Il a fallu du temps pour faire accepter aux populations cette solution", témoigne-t-il.
La priorité est donc de commencer par réduire les facteurs d’exposition, humains et économiques, dans les zones à risque. "Il faut limiter les nouvelles implantations, interdire les nouvelles constructions. C’est compliqué parce que ce sont souvent des zones très attractives où le foncier coûte très cher", reconnaît Vincent Viguié. En France, 242 communes du littoral ont ainsi édicté une interdiction formelle de construire de nouveaux bâtiments, sur 864 communes "plus particulièrement vulnérables".
"On peut aussi construire de nouveaux bâtiments plus résilients comme des immeubles flottants, privilégier des rez-de-chaussée avec peu de matériel sensible ou encore installer des passerelles entre les immeubles pour que les gens puissent évacuer", cite le chercheur. "Aux États-Unis, la ville de Charleston a par exemple surélevé ses maisons victoriennes de trois mètres pour faire face aux inondations", complète Théophile Bongarts-Lebbe". "Il faut voir ce qu’on peut relocaliser et quand c’est possible abattre la digue pour laisser entrer la mer… ", conclut-il. Après des siècles à vouloir prendre le dessus sur elle, l’humain va désormais devoir lui céder un peu plus de place… de gré ou de force.