COVID : « Le désarroi devant l’urgence sanitaire a laissé la place à l’omission, voire à la négligence »
Alors que la maladie continue à tuer trois fois plus que la grippe saisonnière, la plupart des dirigeants regardent ailleurs, déplorent, dans une tribune au « Monde », les professeurs de médecine Antoine Flahault et Michel Kazatchkine.
Pendant près de deux ans, la pandémie de COVID-19 et la santé du monde ont été les thèmes prioritaires de toutes les réunions du G7, du G20, du Conseil européen et des sommets diplomatiques régionaux. La diplomatie était en première ligne. L’expression « diplomatie vaccinale » s’est introduite dans le langage des négociateurs. Emmanuel Macron, Angela Merkel et Ursula von der Leyen avaient fondé ACT-A (pour Access to COVID-19 Tools-Accelerator), un nouveau mécanisme de financement de la recherche et de l’achat de médicaments et de vaccins contre le COVID-19.
Quelques mois après la fin déclarée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de l’urgence pandémique mondiale, le mot d’ordre semble au silence et au déni feignant l’oubli. Ni le président français, ni le chancelier allemand, ni la présidente de la Commission ne participeront à la réunion extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies sur la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies à New York, en septembre. Ni le mot « santé » ni celui de « pandémie » n’ont été prononcés par Emmanuel Marcron, dans son discours à la conférence des ambassadeurs.
L’attention politique nationale et internationale a décru et nous sommes entrés dans ce que le monde anglo-saxon appelle le cycle de panic and neglect. Le désarroi devant l’urgence sanitaire laisse place, sans que l’on en tire les leçons, à l’omission, voire à la négligence. Dans le rapport publié en mai 2021 du Groupe indépendant d’évaluation de la réponse internationale au COVID, nous avions noté que moins de 10 % des recommandations proposées par les instances chargées de tirer les leçons de l’épidémie d’Ebola de 2014 en Afrique de l’Ouest avaient été suivies. De fait, lorsque Ebola a surgi en Ouganda il y a quelques mois, les anticorps thérapeutiques élaborés aux Etats-Unis à la suite de l’épidémie étaient bien dans les réserves, mais n’ont pas été accessibles.
Nous nous demandions, le 16 juin, alors que l’état d’urgence sanitaire était clairement passé, s’il était raisonnable pour autant de tourner définitivement la page vis-à-vis d’une maladie qui continue à ôter trois fois plus de vies que la grippe saisonnière. De nouveaux variants potentiellement menaçants tels que le BA.2.86 apparaissent et l’OMS recommande de les surveiller. Les recommandations en matière de rappel vaccinal contre le COVID-19 à l’échelle nationale concernent en priorité les personnes à risque de formes graves. Mais si les Britanniques ont décidé d’avancer la campagne d’un mois en raison de la tendance préoccupante actuelle, le gouvernement français tergiverse toujours à ce sujet.
Sur le plan international, les inégalités dans l’accès aux vaccins ont contribué à creuser plus profondément le fossé qui sépare les pays à ressources limitées des pays riches. Le ressentiment persiste et se trouve perceptible dans les négociations qui piétinent à Genève sur un futur traité international sur les pandémies.
Si des accords sur de meilleurs systèmes de veille, de surveillance et d’alerte doivent être trouvés prochainement, la communauté internationale ne s’est pas dotée, pour l’instant, des dispositifs nouveaux indispensables : ni mécanisme de financement de la préparation aux risques pandémiques pour les pays pauvres, ni financement d’urgence mondial en cas d’émergence d’une nouvelle pandémie, ni constitution d’un « conseil de sécurité sanitaire » international au plus haut niveau politique avec pour mission d’empêcher que l’on retourne dans l’oubli et le déni.
L’Assemblée générale extraordinaire des Nations unies sur le sida en 2001 avait donné lieu à une mobilisation politique et solidaire sans précédent contre la maladie, permettant à plus de 25 millions de personnes dans les pays à faibles et moyens revenus de vivre quasi normalement en ayant accès aux traitements antirétroviraux. Celle de septembre 2023 sur les pandémies ne restera probablement pas de la même façon dans l’histoire, entérinant une déclaration politique sans engagements concrets et sans vision. L’ONU est fortement divisée. Mais est-ce là une excuse suffisante pour justifier l’effacement du politique… jusqu’à la prochaine catastrophe sanitaire de portée internationale ?
Les auteurs :
- Antoine Flahault est épidémiologiste, professeur de médecine, directeur de l’Institut de santé globale, université de Genève ;
- Michel Kazatchkine est professeur de médecine, ancien directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (2007-2012).