Climat : cette nouvelle fracture qui se dessine dans la population française
Certains dépriment. D’autres font preuve d’un optimisme exagéré. Une nouvelle fracture voit le jour au sein de la population.
Le travail de sape des climatosceptiques sur les réseaux sociaux n’y change rien. Les Français possèdent, dans l’ensemble, une vision assez juste de ce qui nous attend en 2050.
Interrogés sur la montée des eaux dans certaines stations balnéaires, le nombre d’incendies à venir ou encore la baisse future des rendements agricoles, 60 % d’entre eux ont déjà en tête les bons ordres de grandeur, selon un sondage mené par Act For Now pour Axa Climate.
Ainsi, la question n’est plus de savoir si le changement climatique découle des activités humaines : 85 % des Français adhèrent à cette idée. Ils sont également 81 % à penser qu’un changement radical de nos modes de vie est nécessaire pour faire face au dérèglement en cours. "Une intelligence collective émerge", constate Antoine Denoix, le patron d’Axa Climate.
Mais, au même moment, une nouvelle fracture se dessine, avec d’un côté les pessimistes - 33 % de l’échantillon - qui anticipent des conséquences pires que celles des simulations réalisées par les scientifiques, et de l’autre les optimistes - un autre tiers des personnes interrogées - qui pensent que les innovations techniques suffiront à faire face au dérèglement climatique. "Le risque est qu’une augmentation des discours trop catastrophistes ou insuffisamment scientifiques renforce cette fracture", analyse Antoine Denoix.
D’autant que l’articulation entre technologie et climat s’avère complexe. Aujourd’hui, de nombreux pays se tournent vers des solutions de captation et d’enfouissement de CO2, avec le risque de ne pas suffisamment accélérer sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui doit rester l’objectif principal selon les scientifiques. En parallèle, certains pays souhaitent explorer des voies plus controversées : à l’aide de particules envoyées dans les nuages ou l’atmosphère, ils cherchent à favoriser les pluies ou à renvoyer une partie du rayonnement solaire vers l’espace.
Impossibles à maîtriser, ces options donnent déjà des sueurs froides à une partie de la population. Et c’est d’ailleurs là l’autre grand enseignement de l’étude d’Axa Climate : il faut sans doute s’attendre à une montée spectaculaire de l’éco-anxiété dans les mois et les années qui viennent.
Les chiffres compilés par Act For Now sont déjà éloquents : du fait du dérèglement climatique, la moitié des personnes interrogées éprouvent de la peur au quotidien, 47 % de la colère, 30 % de la déprime et 21 % des troubles du sommeil ainsi qu’une perte de motivation au travail !
"Cette affection doit être prise au sérieux, car elle pourrait bien déboucher sur un véritable problème de santé publique", prévient Pierre-Eric Sutter, psychologue du travail et coauteur du livre Bien vivre son éco-anxiété (Gereso, 2023).
Pour tenter d’évaluer l’ampleur du problème en France, ce spécialiste a étudié l’an dernier un échantillon de 3 500 personnes à l’aide d’une méthode et d’un tableau clinique mis au point par une équipe de scientifiques anglo-saxons. Le résultat ? "On s’est rendu compte qu’il y avait 5 % de la population française adulte, donc potentiellement 2,5 millions d’individus, très fortement éco-anxieux, au point de devoir rencontrer un psychologue parce que leur santé mentale est menacée. Cela nous a fait l’effet d’une bombe", confie Pierre-Eric Sutter.
Encore peu sensibles au sujet, les entreprises vont devoir se pencher sur le problème, même s’il existe peu de solutions. Difficile, en effet, d’envisager une guérison rapide pour les personnes effrayées par le réchauffement, puisque la réduction des émissions de CO2 avance lentement et qu’elle ne produira pas ses pleins effets avant longtemps en raison de l’inertie du climat.
"A défaut de traiter la cause du problème, on peut agir sur les symptômes en trouvant par exemple un projet de nature écologique dans lequel les patients peuvent s’investir, relève l’expert. Toutefois, 2,5 millions de personnes, c’est gigantesque par rapport aux 78 000 psychologues exerçant une activité en France. D’autant que le COVID a fait lui aussi des ravages sur la santé mentale de la population". Le risque, à terme, est bien de laisser une partie des Français angoissés sur le bord de la route.