Démocratie environnementale : difficile de défendre l'écologie aujourd'hui
Débats et concertations a minima, réduction des moyens de recours, pressions croissantes sur les militants... La manifestation de Sainte-Soline, qui a mis en exergue les tensions autour des sujets environnementaux, est l'arbre qui cache la forêt.
De nombreux défenseurs de l'environnement soulignent le manque de concertation autour des grands enjeux environnementaux.
Les images de la manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline et de la réponse des forces de l'ordre ont choqué. Le durcissement de part et d'autre de l'action illustre les crispations actuelles autour des causes environnementales. Comment en est-on arrivés là ? Quinze ans après le Grenelle de l'environnement, qui tentait de mettre tout le monde autour de la table pour faire consensus sur les réponses à apporter aux enjeux environnementaux, les défenseurs de l'environnement sont unanimes : il y a moins de débat, voire une tentative de passage en force sur de nombreux sujets, et de plus en plus d'entraves à leurs actions, qu'elles se situent sur le plan juridique ou sur le terrain.
« C'est particulièrement difficile en ce moment. On est passé d'une période où l'on pouvait avoir un débat démocratique à la bonne échelle, à une ambiance de défiance, de passage en force. C'est de plus en plus compliqué », regrette Antoine Gatet, vice-président de France Nature Environnement (FNE). Comme lui, de nombreux défenseurs de l'environnement soulignent le manque de concertation autour des grands enjeux environnementaux. Les exemples sont nombreux.
La Convention citoyenne sur le climat ? Très peu de propositions ont finalement été retenues et mises en œuvre par le Gouvernement. Le nucléaire ? Emmanuel Macron a annoncé la construction de six à quatorze EPR et fait voter une loi pour accélérer les chantiers de ces futurs réacteurs alors même que la loi de programmation sur le futur mix énergétique n'a pas encore été discutée et que le débat public était en cours. Le Plan eau ? « On l'a découvert devant la télévision. Il s'agit pourtant d'une décision avec des engagements financiers importants, qui devrait faire l'objet d'une concertation avec l'ensemble des parties prenantes », estime Antoine Gatet. Et de résumer : « Il y a un vrai problème démocratique. On crée de faux espaces de débat, on n'y arrivera pas comme ça. Depuis sept ans, Emmanuel Macron a régressé sur les droits de l'environnement et le débat public, la concertation. C'est insupportable. On a des gouvernants qui décident de gouverner tout seuls. »
Des actions juridiques de plus en plus limitées
Cette volonté de limiter les discussions se traduit aussi dans le droit de l'environnement. « En premier lieu, il y a eu une volonté de réduire autant que possible les recours des associations avec de nouvelles règles de procédures », analyse Corinne Lepage, avocate et ancienne ministre de l'Environnement. Par exemple, l'association qui dépose un recours contre un projet d'urbanisme doit avoir une antériorité d'existence d'un an avant le dépôt des demandes d'autorisation. La loi d'accélération et de simplification de l'action publique, votée en 2020, réduit de quatre mois à deux mois le délai d'exercice des demandes de concertation préalable des associations agréées, afin de débattre des impacts sur l'environnement des projets, plans ou programmes. Par ailleurs, la notion même d'association agréée peut limiter les recours ou multiplier leur irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir.
« Il y a eu une succession de restrictions du droit de recours, dénonce Corinne Lepage. En parallèle, il y a également eu des mesures de simplification qui sont autant de restrictions à la démocratie environnementale. On s'inscrit dans un système légal en régression sur l'environnement. »
Résultat : « C'est de plus en plus compliqué pour les associations de faire leur travail », constate le vice-président de FNE. Les raisons invoquées par les pouvoirs publics à ces restrictions réglementaires : éviter une systématisation des recours qui ralentissent l'émergence des projets. « Il y a toujours eu du contentieux mais, aujourd'hui, on nous le reproche. Notre créneau n'est pas d'être anti-projets, mais de faire en sorte que les débats permettent l'émergence de bons projets », souligne Antoine Gatet.
Cette réduction des espaces de débats et de concertation engendre des crispations sur le terrain et un durcissement des modes d'action. « D'autant que, quand le juge se prononce, il n'y a pas toujours d'impact sur la suite des événements. Par exemple, pour la centrale à biomasse de Gardanne, il y a eu une décision de justice en 2012 qui annulait l'autorisation. Idem pour la retenue collinaire de Caussade et pour beaucoup de retenues d'eau. Malgré les décisions de justice, il y a un passage en force. Et les collectivités s'y mettent aussi », regrette le vice-président de FNE. De fait, les militants sont tentés de radicaliser leurs actions.
« L'action se passe devant les tribunaux. Si ce n'est pas le cas, ce sera dans la rue, analyse Corinne Lepage. La situation actuelle est très préoccupante et a été créée de toutes pièces par l'exécutif. Il y a une volonté de confisquer le débat. »
Le décalage entre décisions politiques et enjeux pousse également les militants à vouloir se faire entendre.
« Le manque d'action et la faiblesse d'action de l'État sont de plus en plus inadmissibles. D'autant qu'Emmanuel Macron s'est placé dès le départ comme le champion du climat. Les gens sont de moins en moins dupes. Ce décalage crée de plus en plus de frustration et de colère », estime Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, ajoutant : « Et en face, il y a un discours décomplexé du gouvernement : Macron et les Amish, Darmanin et les écoterroristes… »
De fait, les associations « traditionnelles » voient fleurir de nouveaux mouvements, basés sur les actions de terrain et de masse.
« En France, le chef de l'État et le Gouvernement disent qu'ils font mais ne font pas. Le temps où on luttait contre les climatosceptiques est passé. On lutte désormais contre l'inaction politique et la défense des intérêts privés », explique Sébastien, militant d'Extinction Rébellion (XR), qui compte 20 000 inscrits en France et mobilise jusqu'à 5 000 personnes pour des actions de désobéissance civile. « Les luttes locales deviennent essentielles : à Sainte-Soline, contre l'autoroute A69… Est-ce que saboter une mégabassine, c'est radical ? Je n'y ai pas participé, mais je considère que c'est de la défense du bien commun : l'eau, la biodiversité, le climat. »
Un discours inaudible pour le ministre de l'Intérieur qui, lors de son audition devant les Parlementaires, le 5 avril dernier, justifiait l'intervention des forces de l'ordre. « Indépendamment de ce que nous pouvons penser des bassines, du réchauffement climatique, de l'utilisation de l'eau par les agriculteurs, ce n'est pas le sujet. Les gendarmes et les policiers faisaient respecter l'interdiction de manifestation de la préfète, la propriété privée pour les agriculteurs et les décisions de justice qui ont donné droit à la construction de ces bassines », expliquait Gérald Darmanin, poursuivant : « Évidemment, si l'opinion de chacun est supérieure aux décisions de justice, nous ne sommes pas dans l'état de droit que nous connaissons. » Le ministre a par ailleurs précisé qu'à Sainte-Soline, l'objectif était d'éviter l'installation d'une ZAD, difficile à déloger une fois montée.
Pourtant, de nombreux militants dénoncent un durcissement de la réponse du Gouvernement, même lorsque les actions se veulent symboliques. « La réponse est assez forte et délirante. On assiste à une systématisation des reconductions de garde à vue pour toute forme d'action, jusqu'à trente-cinq heures pour des actions bénignes. Il y a un désir de faire peur, de faire pression, de toucher les militants au portefeuille », estime Sébastien, dont le mouvement revendique la non-violence. En mars dernier, le procureur de la République de La Rochelle a requis 400 euros d'amende contre chacun des douze militants se revendiquant d'XR ayant commis des actions antipublicité.
« Il y a un durcissement de la réponse politique et judiciaire, estime, lui aussi, Jean-François Julliard, de Greenpeace. Mais heureusement, ce n'est pas suivi par les tribunaux, qui font la part des choses entre défense du bien commun et crime de droit commun. Malgré tout, on passe beaucoup de temps, d'énergie, d'argent devant les tribunaux. »
Récemment, la loi Nucléaire s'est vue enrichie d'un amendement visant à renforcer les sanctions applicables aux délits d'intrusion sur les sites nucléaires, notamment les peines d'emprisonnement, ciblant particulièrement Greenpeace qui, à plusieurs reprises, a fait des coups d'éclats médiatiques pour dénoncer le manque de sûreté de ces sites sensibles. « Ce n'est pas normal. Mais ça ne nous empêchera pas de le faire », réagit le directeur de l'ONG. D'autres mesures ont été prises pour durcir la réponse des tribunaux face aux actions écolos, notamment dans le cadre de la loi de finances ou de la loi Séparatismes.
« On voit aussi une criminalisation des gens qui filment dans les abattoirs pour informer le grand public. C'est utiliser tous les moyens pour protéger des intérêts privés », déplore Sébastien, d'XR.
Le ministre de l'Intérieur dénonce, quant à lui, une « police de la pensée, des mots », venant de personnes pensant être « dans le camp du bien ». Et d'opposer ceux « qui ont la force du droit et de la loi » à ceux « qui n'ont pas cette force et qui utilisent la violence tout court ».
Du côté des militants, beaucoup estiment pourtant qu'il y a deux poids, deux mesures dans les réponses du Gouvernement. « Nous subissons de plus en plus d'attaques du monde agricole à bout de souffle, sans que personne ne s'en émeuve. On a eu des locaux saccagés par des agriculteurs, il y a eu des condamnations pénales, mais personne n'en parle », déplore Antoine Gatet, de FNE.
En parallèle, la gendarmerie a créé, en 2019, la cellule Demeter, visant à prévenir et lutter contre les atteintes ciblant le monde agricole. « On a demandé quel était le diagnostic pour créer cette cellule. Il n'y en avait pas, c'était juste un ressentiment après quelques actions de militants sur des élevages… », estime Antoine Gatet, regrettant « qu'il n'y a aucune cellule d'aide aux associations… ».
Corinne Lepage a justement déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris contre Demeter, au nom de deux associations (Pollinis et Générations futures). « On essaie d'assimiler les militants écologistes à des délinquants. Il s'agit d'une police préventive et de la pensée. On parle de prétendus écoterroristes. Et on est en train de passer à une étape supplémentaire avec la dissolution de mouvements et la multiplication des poursuites, des intimidations … » Pour l'avocate, « un certain nombre de personnes sont attachées à la société dans laquelle nous vivons et sentent que l'étau se resserre. C'est une manière de gagner un petit peu de temps et de lancer des campagnes très violentes en considérant que les délinquants sont les autres. Au regard des enjeux climat et biodiversité, ce sont eux, les décideurs et ceux qui les agitent (l'agrochimie, les pétroliers, les intérêts financiers), les délinquants ».
Qui est gagnant dans ce contexte ? « La réponse du Gouvernement est de délégitimer les actions pacifistes et d'envoyer les forces de l'ordre ou d'interdire les manifestations. Les modes d'action de désobéissance civile ont toujours existé sur le terrain, avec les faucheurs volontaires par exemple, mais elles étaient limitées par des cadres précis et des actions non violentes et symboliques. Beaucoup d'acteurs respectent encore ça aujourd'hui. Il y a un gros amalgame avec les actions violentes », souligne Antoine Gatet. Selon lui, les actions violentes et les organisations qui les portent ne sont pas représentatives des défenseurs de l'environnement. « Il faut en plus que, le reste de l'année, on subisse les conséquences de ces actions. Le message et l'ambiance sont désastreux. Tout le monde est perdant : les associations, l'État… Il y a une bipolarisation du débat, on n'est plus capables de discuter de manière collective. » Une bipolarisation qui risque d'accentuer les oppositions.
« Cela ne fait que commencer », a prévenu Gérald Darmanin devant les députés. Les services de renseignements auraient enregistré 42 projets susceptibles de faire « naître des contestations extrêmement violentes, dont 17 avec une radicalisation du niveau de Sainte-Soline. (…) Le prochain sera sans doute l'autoroute entre Toulouse et Castres, qui posera énormément de problèmes ».