Comment réussir la transition agro-écologique ?

Publié le par Terra Nova via M.E.

La transition écologique de nos agricultures reste largement à construire. Pour avancer dans cette direction, il faut conjuguer résilience écologique, création de valeur pour les agriculteurs et souveraineté alimentaire. C’est sur cette base que pourra être scellée, en France comme en Europe, une nouvelle alliance entre les forces de progrès du monde politique et des mondes agricoles. Concrètement, cela implique de créer les conditions économiques pour réorienter les calculs et les choix des agriculteurs, de l’industrie agroalimentaire, des coopératives, de la grande distribution et des consommateurs, afin de rendre viable une politique de l’offre agroécologique. Faire se rejoindre les intérêts des agriculteurs avec ceux de la société, de l’économie et de l’écologie est la clé de la réussite. C’est le sens des propositions portées ici par Pascal Canfin.

La transition vers l’agroécologie reste l’un des chantiers les plus compliqués de la transition écologique. Extrêmement polarisé, il est pris en étau entre d’un côté un conservatisme rétif à tout changement et de l’autre un simplisme qui nie la réalité de la difficulté de ce changement pour des agriculteurs qui sont la plupart du temps les acteurs les plus contraints de la chaîne de valeur alimentaire. Cette tension structurelle et cette incapacité collective à trouver un chemin partagé sont d’autant plus frappantes que dans les autres secteurs de l’économie, une alliance de fait entre les pans progressistes du monde politique et du monde économique a récemment permis des avancées majeures.

C’est le cas par exemple dans le domaine de la mobilité où le consensus sur l’électrification est suffisamment fort pour prendre des décisions de bascule de l’industrie et des infrastructures associées.

C’est le cas aussi dans l’industrie avec la concurrence actuelle, entre les Etats-Unis, l’Europe et la Chine, pour localiser les chaînes de valeur clés de l’industrie zéro carbone. L’intérêt de grands acteurs économiques concernés est suffisamment aligné avec les objectifs climatiques pour permettre de s’engager dans des transformations radicales et ambitieuses.    

Cet alignement reste à construire pour l’agriculture alors que les grands défis sont connus et objectivables :

  1. Le renouvellement des générations et le maintien d’une agriculture présente partout dans nos territoires. Il y a de moins en moins d’agriculteurs en Europe et en France où près d’une exploitation sur deux ne trouve pas de repreneur. En parallèle des secteurs comme l’élevage bovin extensif nécessaire à des modèles de polyculture élevage sont dans une phase de décapitalisation intense de leur cheptel.
  2. La situation économique des exploitations: le taux d’endettement des exploitations agricoles est stable ces dernières années en France mais reste structurellement haut[1] signe d’une grande dépendance mais aussi d’une moindre capacité d’investissements dans la transition. Leur revenu moyen oscille entre 38 000 euros annuels en élevage de viande bovine et 68 000 euros en viticulture selon les types d’exploitation. Ces chiffres font apparaître d’assez grandes disparités de revenu. C’est pourquoi il faut toujours avoir en tête la diversité des situations économiques des agriculteurs que le débat public tend à minorer.
  3. La qualité des sols. Elle est sur une pente déclinante au détriment des rendements des exploitations qui en dépendent et de la biodiversité dont les sols sont un réservoir. En Europe, l’érosion liée au ruissellement de l’eau entraîne la perte de 2,46 tonnes de terre par hectare et par an (terres agricoles et forêts), alors qu’il ne s’en forme que 1,4 t/ha/an, tandis que la teneur en matière organique de certains sols diminue. C’est l’actif principal de l’agriculture qui est en risque, et avec lui notre capacité à assurer notre souveraineté alimentaire.
  4. Les émissions de gaz à effet de serre. L’agriculture représente 15% des émissions de gaz à effet de serre en Europe, et leur niveau ne bouge pas depuis 2005, malgré les cadres législatifs européens renforcés. En parallèle, malgré l’augmentation du parc forestier français et européen, le puits carbone associé lui décroit à cause du changement climatique et d’une baisse de la qualité des forêts.
  5. L’état de la biodiversité en Europe et sur les terres agricoles est en chute libre. Quasi disparition des oiseaux des champs partout en Europe, diminution de près de 75% en 30 ans des populations d’insectes volants dans les zones protégées entourées de terres agricoles en Allemagne… Elle est pourtant un déterminant des rendements des exploitations agricoles à travers la pollinisation ou l’entretien des sols.
  6. La ressource disponible en eau. La disponibilité en eau est structurellement en train de baisser en raison du changement climatique. Les périodes sèches s’allongent de plus en plus empêchant le rechargement classique des nappes. Dès lors l’accès à l’eau et la préservation de ce capital deviennent des éléments clés du maintien de l’activité agricole.
  7. La dépendance calorique. La souveraineté alimentaire vient avec notre capacité à fournir les calories suffisantes et pertinentes aux Européens dans le cadre d’une alimentation saine. Aujourd’hui, l’Europe comme la France, importe plus de calories qu’elle n’en produit. Nous importons en particulier la majeure partie de nos protéines végétales que ce soit pour l’alimentation humaine ou animale. Autrement dit, nous sommes déjà dans une situation de dépendance.
  8. La part consacrée à l’alimentation dans les dépenses des ménages baisse en longue période. Elle est passée de 38% du budget des ménages en 1960 à seulement 17% en 2019 alors que le volume de consommation a été, lui, multiplié par trois entre ces deux dates[2]. Cette tendance a longtemps été une bonne nouvelle signe d’une plus grande prospérité collective, mais elle témoigne désormais d’une logique qui empêche la valorisation correcte de la production agricole et des revenus décents pour les agriculteurs.

Ces données sont susceptibles d’être aggravées par l’accélération des impacts du changement climatique qui sont aujourd’hui très mal pris en compte dans les scénarii des acteurs privés et publics. Il est indispensable dans la révision du Programme National d’Adaptation au Changement Climatique (PNAC) qui devrait idéalement être faite avant 2024 et dans la loi d’orientation et d’avenir de l’agriculture en cours de préparation en France, de réaliser des stress test du modèle agricole face à des trajectoires de réchauffement 1.5, 2, 3, 4 degrés.

Ces données objectives posent les termes du débat. En complément il s’agit de fixer un cadre d’objectifs politiques qui structurent les politiques publiques dans ce domaine. J’en vois trois qui constituent une forme de « triangle d’or » :

  • Plus de revenus pour les agriculteurs permettant notamment d’assurer le renouvellement des générations ;
  • Plus de transition agroécologique et de résilience face au choc climatique ;
  • Plus de souveraineté et moins de dépendances à des modèles agricoles aux standards économiques, sociaux et environnementaux inférieurs aux nôtres.     

Pour parvenir à atteindre ces objectifs, nous devons dépolariser le débat et construire un chemin partagé avec suffisamment d’acteurs. Cette méthode est en cours dans de nombreux domaines (industries, transports, énergie…). Elle doit maintenant le devenir aussi dans le cadre des chaines de valeur du système alimentaire. Cela passe nécessairement par le fait de faire émerger les conditions du succès dans la mise en œuvre des objectifs et les compromis à passer lorsque des tensions existent entre les objectifs.     

Autrement dit, nous devons construire le cadre de référence et les conditions économiques pour passer d’une guerre de tranchées sur chaque dossier, chaque texte législatif, à une guerre de mouvement collectif vers l’agroécologie.

Télécharger le rapport complet ici : https://tnova.fr/site/assets/files/49155/terra-nova_rapport_comment-reussir-la-transition-agro-ecologique_230223.pdf

Source : https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/comment-reussir-la-transition-agro-ecologique/

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