Sobriété énergétique : les vrais leviers pour y parvenir
État, entreprises, collectivités et particuliers doivent s'empresser de revoir leurs habitudes de consommation énergétique. Mais à quoi s'attaquer en priorité pour y parvenir ? Les chiffres théoriques sont parfois éloignés de la réalité. Sciences et Avenir-La Recherche a compilé les études de référence les plus récentes pour identifier les actions les plus efficaces.
Plus d'un tiers de l'électricité en France est consommé par les particuliers. Un constat qui impose d'adopter au quotidien de nouveaux comportements tels qu'abaisser de 2 °C le chauffage du logement, éteindre les appareils en veille, isoler davantage…
Pour le gouvernement d'Élisabeth Borne, c'est une "mobilisation générale" où "chaque geste compte ". Pour éviter les ruptures d'approvisionnement, les Français sont invités à mieux surveiller leur consommation d'énergie et pourraient dès ce mois de janvier devoir réduire leurs besoins avec le service Écowatt - qui qualifie en temps réel le niveau de consommation des Français - voire subir des coupures pour passer les pics de consommation que redoute RTE, le gestionnaire du réseau électrique.
La guerre en Ukraine et l'arrêt des livraisons du gaz russe qui en découle, la faible disponibilité du parc nucléaire, dont près de la moitié des réacteurs est à l'arrêt, un été torride, signe de l'impact croissant du changement climatique, ont sifflé la fin de cinquante ans de laxisme. Et pour le gouvernement, aucun retour en arrière n'est possible. 10 % d'économies sont visés dans les deux ans, mais pour atteindre la neutralité carbone, la consommation devra baisser de moitié d'ici à 2050.
C'est principalement dans la vie quotidienne, à la maison et au travail, que les comportements doivent changer, ainsi que le montrent les parts de consommation. Le gaz est en effet utilisé pour moitié dans les bâtiments (logements et activités tertiaires, bureaux et commerces) et pour 20 % dans la production d'électricité, notamment lors des périodes de pointe, contre 28 % pour l'industrie. L'électricité elle-même est consommée à hauteur de 36 % dans le secteur résidentiel, 47 % dans les activités tertiaires et commerciales, contre 17 % dans l'industrie.
Des sources importantes d'économies sont attendues en baissant le chauffage des logements dans la journée, poste de consommation qui reste trop important.
Cela signifie-t-il un retour à la bougie ? Certes non, tant le gaspillage est ancré dans nos habitudes dispendieuses. Les gestes demandés sont simples, n'exigent pas d'efforts insurmontables et ne visent que ces kilowattheures dépensés sans nécessité.
C'est la mesure phare. Aujourd'hui, en moyenne, les logements et les immeubles de bureau sont chauffés à 21 °C. Or, abaisser la température de 1 à 2° permet d'économiser de 8 à 16 % de la facture selon les dernières données de l'ADEME, l'agence de la transition écologique. Pour le gouvernement, près de la moitié des 50 térawattheures (TWh) d'économies espérées proviennent de ce simple geste qui n'impose que de mettre un pull à la maison ou au travail.
Selon les calculs de l'association négaWatt qui regroupe les entreprises spécialistes de la gestion de l'énergie, il suffit que 30 à 40 % des ménages suivent la consigne pour obtenir une réduction de 7 000 à 9 500 gigawattheures (GWh).
Avec 80 % des foyers impliqués, l'économie est de 23 500 GWh, soit 23,5 TWh. Et d'autres gestes peuvent venir en complément. Réduire de 2 °C la température la nuit (déjà conseillé pour mieux dormir) permet d'épargner 3300 GWh.
La diminuer de 2 °C lors des absences en journée et chauffer uniquement les pièces occupées, c'est 3 400 GWh de moins. Cette dernière mesure n'est pas encore entrée dans les mœurs. Les gestionnaires du réseau RTE et Enedis ont en effet constaté que la hausse de la consommation des logements lors des périodes de confinement n'a pas été effacée par le retour au lieu de travail ou la diminution des jours de télétravail.
Pour l'industrie aussi, c'est le branle-bas de combat. Dans ce secteur, la recherche de la sobriété a longtemps été reléguée au second rang des priorités du fait d'un coût faible de l'énergie, qu'elle soit électrique ou gazière. Le retour à la réalité est brutal. Le gouvernement a présenté en octobre dernier un plan de sobriété énergétique en présence de l'ensemble des organisations professionnelles. Une plateforme baptisée "je décarbone"* a été mise en place. En quelques semaines, elle a enregistré 1 600 demandes.
"Elle met en relation des bureaux d'études et entreprises de services, qui établissent des diagnostics et proposent des plans d'actions, ainsi que des vendeurs d'appareils et d'outils numériques gérant les consommations, avec des industriels demandeurs de solutions ", résume Sophie Laurent, cheffe de mission décarbonation et efficacité énergétique au Comité stratégique de filière Nouveaux systèmes énergétiques. Sont concernés autant la multinationale que le boulanger du quartier. Les propositions empruntent deux voies : la substitution des énergies fossiles par des énergies renouvelables et le remplacement des machines énergivores par les meilleures technologies disponibles.
Ainsi, Renault a signé avec Dalkia un accord sur quinze ans pour fournir de la chaleur à partir d'une chaudière à biomasse pour son usine de Maubeuge (Nord).
La société productrice de fromage Agour au Pays basque, à son échelle, a décidé de modifier son processus de fabrication, ce qui lui a permis de réduire de 33 % sa consommation d'électricité et de 22 % sa consommation de gaz. Ces actions donnent droit à des subventions tant nationales que régionales.
Ainsi, la Nouvelle-Aquitaine agglomère les initiatives de son territoire sous le seul vocable de la transition énergétique pour donner un objectif à l'ensemble de son territoire. "Car il ne s'agit pas seulement de passer cette période difficile, mais bien d'arriver à la décarbonation totale de l'industrie en 2050 ", rappelle Sophie Laurent.
L'hygiène corporelle, la cuisine, le lave-linge et le lave-vaisselle dépendent pour 15 millions de foyers d'un appareil mal connu de ses utilisateurs : le chauffe-eau électrique à effet joule. Les fameux "cumulus" représentent plus de 12 % de la consommation d'énergie des foyers.
En 2021, les ingénieurs du bureau d'études Enertech mandatés par l'ADEME ont démontré une véritable gabegie : pertes statiques des appareils, absence de contrôle des températures stockées, variabilités des débits, et une tendance au gaspillage. Malheureusement, les études sur le comportement des individus manquent.
Les ingénieurs assurent qu'un cocktail de mesures techniques - comme les jaquettes isolantes sur les cumulus, le thermostat électronique pilotable ou les dispositifs économes placés aux robinets et pommes de douche - associé à une prise de conscience des habitants du logement sur les pertes en eau, en énergie et en argent aurait des effets spectaculaires.
Les économies pourraient atteindre 615 kWh par an et par logement, soit une réduction de 38 % de la consommation. Mesure plus directive, Enedis va procéder à la coupure entre 12 heures et 14 heures tous les jours jusqu'au 15 avril des cinq millions de chauffe-eau sous contrat heures pleines/heures creuses et dépendant d'un compteur Linky. Cette désactivation, indolore pour les usagers, permet d'effacer la pointe du midi et pourra économiser 3 % de la consommation nationale, soit la production de deux centrales nucléaires.
Comment être sobre quand on partage une chaudière collective ?
Les 10 millions de copropriétés françaises doivent respecter les 19 °C alors que les appartements ne sont pas tous logés à la même enseigne. La première mesure voulue par le gouvernement, c'est la généralisation des compteurs individuels.
En attendant, peu d'immeubles ont des contrats d'entretien qui comprennent le nettoyage des canalisations, la surveillance et le réglage de la chaudière, l'isolation des tuyauteries dans les parties communes et la mesure de la température dans les appartements. Les contrats de performance énergétique (CPE), où l'entreprise gestionnaire du chauffage s'engage à une réduction drastique des consommations, quitte à indemniser les propriétaires si les objectifs ne sont pas atteints, constituent une solution qui ne couvre que quelques milliers d'immeubles.
Pour atteindre la neutralité carbone, il faudra isoler la totalité des 37,2 millions de logements que compte la France, dont une majorité construite avant 1975 et les premières réglementations thermiques. Ces travaux lourds, qui demandent des financements très importants, ont pris du retard et prendront du temps.
Pour passer la période actuelle, l'association négaWatt propose trois techniques faciles à mettre en œuvre et peu onéreuses : la pose de films isolants sur les fenêtres en simple vitrage, le renforcement de l'étanchéité des fenêtres et portes par la pose de bandes de joints autocollants et l'isolation des combles perdus en utilisant le soufflage de ouate de cellulose. Gain de ces trois mesures : 25 000 GWh.
Les fabricants ont certes progressé mais, malgré tout, 15 % de la consommation d'électricité de chaque foyer proviennent de ces petites LEDs rouges toujours allumées. Le gisement d'économie est de 11 400 GWh. La box TV demeure inutilement en veille quand la télé est éteinte et la box Internet reste souvent en tension la nuit. Pourtant, sans effort particulier, 3 100 GWh pourraient être économisés. De même, le réglage des appareils électroménagers, comme le thermostat des réfrigérateurs, permettrait d'effacer 1 800 GWh, selon négaWatt.
Le thermostat connecté fait partie des solutions de pilotage des équipements du logement à distance. Pour les entreprises réunies au sein d'Ignes, alliance des industriels proposant des solutions électriques et numériques, la domotique n'a cessé d'évoluer avec, aujourd'hui, des appareils pilotables sur smartphone grâce à une application ou par assistant vocal. La température du logement est ainsi connue à tout moment.
De nos jours, seulement un million de logements sur 37 millions existants sont pourvus de thermostats connectés. Les industriels ambitionnent d'équiper l'ensemble du parc immobilier d'un système de pilotage intelligent d'ici à la fin de la décennie. Les programmeurs de chaudière intelligents sont obligatoires depuis 2018. Au-delà du chauffage, il est désormais possible de piloter à distance les autres appareils les plus énergivores (eau chaude sanitaire, climatisation, borne de recharge du véhicule électrique, appareils en veille, éclairage…).
Le salut résiderait-il dans la seule technologie ? Nombreux sont ceux qui en doutent. D'abord parce que cet univers numérique nécessite autant de dextérité que de motivation de la part de l'usager. La crainte de ne plus pouvoir décider de son confort et de devoir dépendre d'appareils sophistiqués est réelle, d'autant qu'il est paradoxal que la voie de la sobriété nécessite de nouveaux appareils électriques et numériques. Le pilotage à distance implique notamment que la box reste allumée en l'absence de tout occupant dans le logement.
"Nous sommes assis sur une montagne de gaspillage", par Samuel Martin, ingénieur de l'école Polytechnique et d'AgroParisTech, coresponsable du pôle Mesure d'Enertech, expert Bâtiment de l'association négaWatt :
" Mesurer les consommations du chauffage et des appareils électroménagers d'un logement n'est pas chose aisée. Si les constructeurs mettent en avant des performances grâce notamment aux 'étiquettes énergie', les conditions d'utilisation ne reflètent pas les résultats de laboratoire.
Pour le comprendre, 20 000 appareils de mesure sont utilisés depuis plus de vingt ans pour mener des campagnes d'observation de cas concrets. Ainsi, le projet Panel Elecdom consiste à enregistrer la consommation d'électricité de 2 480 appareils dans 100 logements représentatifs du parc français. Cela a permis de détailler la répartition de consommation des différents usages.
Ce que nous constatons, c'est que nous sommes assis sur une montagne de gaspillage. Sans affecter notre confort, nous pourrions diminuer la consommation moyenne des logements d'environ 30 %. L'étiquette énergie a certes très bien rempli son rôle et les appareils actuels sont bien moins énergivores qu'il y a quelques années. Mais persistent de nombreuses failles telles les veilles inutiles des appareils.
Pour permettre la mobilisation des gisements d'économies et réduire de manière effective le gaspillage énergétique, il faut rendre visibles et compréhensibles les moyens de réduire les consommations afin d'entraîner une dynamique collective, orchestrée par l'État et appelant à la responsabilisation de tous les acteurs."