Réchauffement climatique : « La forêt est en train de mourir »
Les coopératives forestières alertent sur le dépérissement accéléré des arbres et travaillent à planter les bois adaptés au climat de demain.
Si leur chien est occupé à retourner le tapis de feuilles mortes qui jonchent la forêt pour dégoter le plus beau bâton, quand Louise et Pierre-Armand Hurstel arpentent leur parcelle, ils ont, eux, les yeux plutôt rivés vers le ciel. Voilà huit ans que le jeune couple a repris le domaine familial et les 1 700 hectares de bois attenants, à cheval sur Apremont-sur-Allier et Neuvy-le-Barrois (Cher). Une véritable passion qui, ces derniers temps, se teinte d'inquiétude. Car là-haut, le constat est sans appel : les chênes sont mal en point.
« Regardez celui-là, pointe Bertrand Servois, président de l'Union des coopératives forestières (UCFF). Les signes de dépérissement sont nets : il n'y a plus aucune ramification aux branches. » Malheureusement, souffle le forestier, le diagnostic ne se limite pas à la parcelle des Hurstel. Près de 10 % du peuplement de la région serait en dépérissement, jusqu'à 40 % par endroits. « On ne voyait pas ça il y a dix ans, autant de chênes morts… On a en face de nous une forêt qui est en train de mourir. »
En cause, les sécheresses à répétition de ces dernières années – 2018, 2019, 2020 et 2022 – qui ont fragilisé les 17 millions d'hectares de forêts qui recouvrent la France métropolitaine. Dans le Cher, on a eu des périodes de quatre mois sans une goutte de pluie. Sur le coup, les arbres font le dos rond, perdent leurs feuilles pour limiter leurs besoins en eau… « Ils encaissent les chocs, mais on voit que, quelques années plus tard, ils lâchent. » Unisylva, la coopérative forestière locale – qui accompagne 13 000 propriétaires dans le centre du pays –, a analysé la perte d'activité photosynthétique à partir d'images satellite Sentinel et constate qu'aucun territoire n'est épargné.
Benoît Rachez, directeur adjoint d'Unisylva, sonne l'alarme : « La forêt n'est pas adaptée au réchauffement climatique et on n'a plus le temps, car il va dix fois plus vite que sa capacité d'adaptation. » Pour la coopérative forestière, il faut donc accélérer l'adaptation de cette forêt en l'aidant un peu. Et cela commence par identifier les arbres en train de dépérir, pour estimer s'ils ont une chance de survivre ou pas. Ceux qui sont condamnés seront, pour la plupart, coupés pour faire de la place à des petits jeunes ; certains sont conservés pour les besoins de la biodiversité – des espèces vivent notamment dans les troncs morts.
Dans les parcelles où les dégâts sont limités, on procède à de la régénération naturelle. On retire des arbres pour faire passer la lumière et faire germer les graines tombées au sol. La méthode a été appliquée quelques kilomètres plus loin sur une parcelle de Marie-Jenny Davault et Bertrand Lemaire. Au milieu d'arbres majestueux, on aperçoit un fouillis de jeunes pousses de chêne – déjà dix ans tout de même – qui atteignent à peine deux mètres et sont éclaircies au fur et à mesure de la croissance pour ne garder, à terme, que quelques arbres.
À gauche, de la régénération naturelle avec un fourré de jeunes pousses de chênes ; à droite, une parcelle rasée puis replantée avec de nouvelles essences.
Sur la parcelle d'en face de la fratrie, une solution plus radicale a été choisie : tout a été rasé. La méthode est employée quand la parcelle est trop mal en point ou que les espèces qui y sont ne sont pas adaptées au réchauffement climatique et gagneraient à être remplacées. C'était le cas ici, où les ancêtres de Marie-Jenny et Bertrand avaient planté dans les années 1970 des pins Douglas, une espèce venue d'Amérique du Nord. Leur bois a été vendu, et une nouvelle plantation a été réalisée, alternant entre chêne sessile – déjà bien présent dans la région –, chêne pubescent – mieux adapté au réchauffement climatique – et pin maritime.
Les plantations sont donc l'occasion de diversifier les espèces – et ainsi réduire les risques en cas d'apparition d'un parasite – et d'amener des espèces, souvent venues du sud, qui pourraient être mieux adaptées au climat de demain. Une sorte de « migration assistée », sans aucune garantie de réussite. « On n'est jamais sûr de rien, c'est aussi pour ça qu'on diversifie », explique Bertrand Degrave, gestionnaire forestier.
L'équation n'est pas simple : s'il faut trouver des espèces résistantes à la sécheresse et aux températures grandissantes en été, il faut aussi qu'elles puissent supporter le gel, encore fréquent dans le coin en hiver. « C'est du vivant, acquiesce Bertrand Servois. Ça ne réagit pas toujours comme dans les bouquins. Il faut être humble, on passe notre vie à essayer. » Emmanuel Macron a fixé fin octobre l'objectif d'un milliard d'arbres plantés en dix ans ; Unisylva en plante déjà deux millions par an.
La forêt a-t-elle pour autant besoin de la main de l'homme pour s'adapter ? Certains experts plaident plutôt dans ce sens-là. On pourrait laisser la nature faire son travail, c'est vrai, reconnaissent les forestiers. Sauf que le réchauffement climatique, causé par l'activité humaine, va beaucoup trop vite, assurent-ils. « Le temps que l'adaptation se fasse, il y aura eu trop de dégâts à notre échelle de vie humaine : un chêne, c'est au moins 50 ans de croissance. »