Voiture électrique: le monde va-t-il manquer de lithium?

Publié le par Le Figaro via M.E.

La demande de cet «or blanc» va être multipliée par 40 en 20 ans. Un défi majeur pour l’Europe, encore totalement dépendante de ses fournisseurs extérieurs.

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Le bon développement de voitures électriques sur le marché automobile dépend des batteries en lithium et de la disponibilité de cette ressource.

Alors que la planète, réunie à la COP27 en Égypte, cherche à réduire les émissions de gaz à effet de serre, la croissance du marché des véhicules électriques accélère. En 2035, plus aucun constructeur ne pourra vendre une voiture neuve à moteur thermique dans l’Union européenne. Or les technologies actuelles de véhicules électriques ne peuvent se passer de lithium, ressource devenue essentielle pour les batteries.

Autant dire que la demande de ce métal blanc et léger va exploser. Une batterie de voiture électrique en contient en moyenne 10 kg. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime qu’il faudra multiplier par 40 la production de ce métal d’ici à 2040 pour répondre aux besoins de la mobilité électrique. «C’est la ressource minérale dont la consommation devrait augmenter le plus», confirme Yves Jégourel, codirecteur de Cyclope (observatoire des matières premières) et professeur au CNAM.

Pour l’Union européenne, en particulier, l’enjeu est crucial. Bruxelles s’est fixé des objectifs ambitieux. Si les ressources ne manquent pas dans le sous-sol du Vieux Continent, son exploitation est, en revanche, quasi inexistante.

Tandis que la consommation de l’UE va quintupler voire décupler d’ici à 2030, le marché mondial devrait rester tendu pendant les huit prochaines années. «Nous devons éviter de nous retrouver à nouveau dans une situation de dépendance, comme pour le pétrole et le gaz», s’inquiète la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Des ressources abondantes

Le monde ne manque pourtant pas de lithium. Des réserves existent aux quatre coins de la planète, en Australie, en Chine, aux États-Unis, au Zimbabwe… Et tous les pays sondent désormais leur sous-sol pour vérifier s’il ne recèle pas ces richesses. Le triangle d’or de l’Amérique latine, entre Chili, Bolivie et Argentine, concentre plus de la moitié des ressources, essentiellement dans les lacs chargés en sel.

Aujourd’hui, quatre pays, l’Australie, premier producteur mondial avec près de la moitié de l’extraction, le Chili (un quart), la Chine (16%) et l’Argentine (7%), contrôlent la quasi-totalité de la production.

Mais, il n’existe pas de risque géologique significatif sur le marché du lithium. Les réserves sont importantes et elles seront certainement en grande partie accessible d’ici à 2050, estimaient l’an dernier les experts de l’IFPEN (Institut français du pétrole et des énergies nouvelles).

Le lithium est sans doute l’un des métaux dits stratégiques les plus critiques pour la transition énergétique. «Si aujourd’hui, l’offre, de l’ordre de 1 million de tonnes produites, répond à la demande mondiale, ce ne sera bientôt plus le cas», précise Xavier Veillard, directeur associé de McKinsey.

D’ici à fin 2030, la demande pourrait, approcher 4 millions de tonnes, selon les estimations de son cabinet. «Si l’on ne prend en compte que les projets existants et annoncés, il manquera alors 1,1 à 2,5 millions de tonnes», précise-t-il.

«On va manquer de lithium, c’est clair et net. D’ici à 2030, sur la base des hypothèses actuelles, la consommation sera multipliée par 5 ou 7. Il y a un manque de prospective criant. On n’a pas estimé la demande de métaux liée à la transition climatique», affirme de son côté Christian Mion, associé du cabinet EY. Et si les réserves ne font pas défaut, leur mise en exploitation est un autre enjeu. Étant donné les délais nécessaires pour ouvrir de nouveaux sites, le risque de pénurie se pose davantage d’ici à 2030 qu’à l’horizon 2050, prévoient des spécialistes. Car il faut généralement compter au moins cinq à dix ans pour mettre en œuvre un projet minier. À condition d’avoir les fonds et la volonté d’investir.

Le signal du prix

Pour cela, le prix est un excellent signal. En un an, les cours de «l’or blanc» ont été multipliés par plus de dix, passant de 6000 à 70.000 dollars la tonne. S’il complique la vie des constructeurs automobiles, le bond des cours change aussi l’équation économique.

«Les prix élevés permettent de supporter des coûts d’extractions plus lourds et ils sont un bon stimulant pour accélérer les décisions d’investissement», souligne Xavier Veillard, pour qui les prix élevés du marché sont davantage liés aux délais de développement de nouveaux projets qu’à une rareté absolue du métal.

«Beaucoup de projets sont à l’étude. Le potentiel des gisements connus comme les saumures d’Amérique latine est encore très important et une grande partie peut être exploitée à un coût compétitif», ajoute-t-il. Les progrès technologiques pourraient accroître l’offre d’ici à quelques années, relativisent par ailleurs les analystes de Goldman Sachs.

Au-delà de l’extraction, se pose l’enjeu de la transformation du lithium. La Chine, particulièrement bien positionnée, assure aujourd’hui plus des deux tiers du raffinage mondial. «Ses capacités de raffinage vont encore augmenter d’ici à trois ans», souligne Xavier Veillard. En effet, les deux sociétés chinoises Tianqi Lithium et Jiangxi Ganfeng Lithium, qui font partie des cinq grands acteurs mondiaux, ont réalisé d’importants investissements dans ce domaine.

Les États-Unis, le Canada, l’Australie et l’Europe se lancent dans la course. Avec retard. En juillet, Elon Musk, fondateur du pionnier des véhicules électriques Tesla, s’est plaint que certains raffineurs de lithium réalisent des marges extravagantes. Il prévoit aujourd’hui de construire une raffinerie de lithium au Texas,

Des projets sont à l’étude pour évincer la batterie lithium-ion, qui a pris le monde d’assaut ces dernières années et dont le succès repose sur sa légèreté et son importante capacité de stockage d’énergie. C’est le cas de la batterie sodium-ion, qui aurait une capacité de recharge plus rapide, ou encore des batteries à l’état solide, lithium-soufre ou zinc. Mais la domination de la batterie lithium-ion n’est pas encore remise en cause.

La dépendance de l’Europe

L’UE, qui ne compte aucun site d’extraction de lithium pour batterie et aucune raffinerie, cherche des solutions pour réduire sa dépendance aux grands producteurs. Elle a des réserves dans son sous-sol. Dans l’Hexagone, une quarantaine de sites ont déjà été identifiés dans le Massif central, en Bretagne et dans la vallée du Haut-Rhin. Mais, les projets font souvent face à une forte opposition de la population au nom de l’environnement.

En Serbie, le gouvernement a révoqué les licences d’exploration du géant minier Rio Tinto à la suite des protestations locales. Le projet, de 2,4 milliards de dollars, aurait permis de produire du métal blanc pour 1 million de batteries de véhicules électriques. Mêmes blocages à Barroso, dans le nord du Portugal, en Espagne ou encore en France dans le Finistère.

Le groupe Imerys vient toutefois de lancer le projet d’exploitation d’une mine dans l’Allier sur un site où est extrait du kaolin. Et différents programmes ont vu le jour en Europe, y compris des unités pilotes de production de lithium géothermique en Alsace avec le groupe minier français Eramet. Mais ces programmes sont de taille réduite et moins bon marché que d’autres grands sites mondiaux. Eramet juge ainsi que les projets en cours permettraient de répondre au mieux, à 15 à 20% des besoins européens en 2030.

L’espoir du recyclage

Les oppositions locales peuvent inciter les entreprises minières à produire plus vert ou à recycler. Face aux contestations locales en Espagne, la compagnie Infinity Lithium a revu sa copie, évoluant d’un projet de mine à ciel ouvert à un programme souterrain, ce qui réduit son impact sur la biodiversité. Une autre piste est, bien sûr, celle du recyclage des batteries. Mais ce ne serait pas une solution de court terme. «La durée de vie d’une batterie étant de huit à dix ans, le marché secondaire restera très limité avant 2030», estime Xavier Veillard.

Compte tenu de la valeur du lithium, cette approche pourrait être économiquement pertinente, estiment les industriels. Encore faut-il mettre en œuvre des procédés à l’échelle industrielle. Eramet s’est associé avec le groupe Suez pour construire une usine pilote l’an prochain à Trappes. Selon l’université belge de Louvain, si l’industrie met en place une filière assurant un taux de recyclage des batteries de 70%, alors le potentiel de recyclage du lithium pourrait devenir significatif à partir de 2040 et surtout de 2050.

Longtemps cantonnée à un rôle de client passif, l’Union européenne a entamé sa mutation. L’UE va constituer «des réserves stratégiques» pour éviter les ruptures d’approvisionnement dans les matières premières «critiques» pour son industrie, notamment les terres rares et le lithium, a annoncé la Commission européenne. Des constructeurs automobiles, de Stellantis à BMW, investissent dans des start-up spécialisées dans le lithium.

En France, Philippe Varin a rendu en janvier au gouvernement un rapport sur la sécurisation de l’approvisionnement. Il y sonne l’alarme sur la dépendance française et dégage quelques pistes. «Pour sécuriser son approvisionnement, l’Europe a besoin d’un fonds d’investissement pour aider les acteurs à prendre des participations minoritaires dans des sites de production de lithium en Amérique latine, en Afrique ou ailleurs», plaide l’ancien président de France Industrie, qui prône «une véritable diplomatie des métaux».

Source : https://www.lefigaro.fr/conjoncture/voiture-electrique-le-monde-va-t-il-manquer-de-lithium-20221114

Publié dans Energie, Ressources rares

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