Maladie d'Alzheimer, démences : les signes précoces qui doivent alerter
Environ 1,2 million de personnes vivent en France avec un trouble cognitif qui met en péril leur autonomie. Comment identifier une démence naissante ? Réponse avec deux experts.
Il existe quatre principaux types de démence qui s'expriment chacun d'une manière bien spécifique.
Une grand-mère qui ne se souvient jamais de votre prénom, un oncle désinhibé qui vous livre sans filtre vos quatre vérités, un voisin âgé qui tond sa pelouse chaque jour à la même heure… Nous avons tous croisé, à un moment dans nos vies, une personne atteinte de démence, parfois sans le soupçonner. Et pour cause, ces troubles neurocognitifs frappent relativement souvent. En France, plus de 1,2 million de personnes sont actuellement touchées, dont les deux tiers par la maladie d'Alzheimer, selon un article publié en 2019 dans une revue spécialisée. Plus précisément, environ une personne de plus de 75 ans sur cinq est concernée, et près de la moitié des nonagénaires. Plutôt discrets au début, ces troubles s'aggravent avec les années. D'où l'intérêt de savoir les repérer précocement pour préparer la suite.
«Le terme de démence est souvent mal perçu par le grand public, alors qu'en médecine, ce n'est absolument pas un synonyme de ''folie'', cela signifie ''neurodégénérescence''», veut préciser d'emblée le Pr Bruno Dubois, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). D'ailleurs, un certain nombre de médecins plaident désormais pour un changement d'appellation. «Aujourd'hui, nous parlons plutôt de troubles neurocognitifs majeurs, un terme plus compliqué mais moins stigmatisant», indique le Pr Frédéric Assal, neurologue aux hôpitaux universitaires de Genève.
De quoi s'agit-il précisément ? Selon le manuel des troubles mentaux et psychiatriques de l'Association américaine de psychiatrie - une référence en la matière -, un trouble neurocognitif majeur se définit par «une réduction acquise, significative et évolutive des capacités dans un ou plusieurs domaines cognitifs, suffisamment importante pour ne plus être capable d'effectuer seul les activités de la vie quotidienne». Autrement dit, c'est une déficience cognitive qui aboutit à une importante perte d'autonomie. «C'est par exemple le fait de ne plus pouvoir prendre ses médicaments seul, de ne plus savoir s'occuper de ses factures ou encore de ne plus être capable de se déplacer en transports en commun», illustre le Pr Dubois.
De tous les types de démence, la maladie d'Alzheimer est de loin la plus célèbre et la plus répandue, avec environ deux-tiers des cas. «Les manifestations les plus précoces de la maladie d'Alzheimer sont des troubles de la mémoire épisodique, celle portant sur des faits récents. Les personnes peuvent très bien se souvenir du nom de leur maîtresse d'école, mais pas de ce qu'elles ont mangé la veille», explique le Pr Dubois. Par la suite, ces problèmes de mémoire s'étendent à des faits plus anciens. La maladie peut aussi se manifester par une désorientation temporelle (et spatiale dans un second temps) : la personne n'arrive plus à retenir la date du jour. Au fur et à mesure, s'ajoutent des difficultés à planifier et à réaliser des tâches plus ou moins complexes, à utiliser certains objets du quotidien, des troubles de la vision ou encore des troubles du langage.
«Beaucoup de démences peuvent aussi se manifester par des troubles du comportement et des émotions», souligne Frédéric Assal. «Quand une personne souffre pour la première fois de sa vie d'une dépression alors qu'elle a déjà un âge avancé, il faut faire attention : cela peut masquer une maladie neurodégénérative, en particulier la maladie d'Alzheimer.»
Les trois autres principaux types de démence, moins connus, sont la démence à corps de Lewy, la démence vasculaire et la démence fronto-temporale. D'une démence à l'autre, les signes avant-coureurs et les symptômes ne sont pas les mêmes, étant donné que les mécanismes sous-jacents sont différents.
La démence à corps de Lewy se manifeste par des signes très spécifiques. «Il n'y a généralement pas de problème de mémoire, cela commence plutôt par des hallucinations visuelles - parfois auditives, même si c'est plus rare - dans les premiers stades de la maladie», indique le Pr Assal. Cette pathologie présente des points communs avec la maladie de Parkinson. Par exemple, il peut également y avoir des troubles moteurs très similaires (tremblement, rigidité, ralentissement dans la marche, problème d'équilibre, chutes...). «Un autre signe très spécifique de la démence à corps de Lewy que l'on observe aussi dans la maladie de Parkinson est la survenue de troubles du sommeil paradoxal, qui est la phase où nous rêvons. En temps normal, nous avons un système qui inhibe nos mouvements, mais avec cette maladie, il ne fonctionne plus correctement», explique Bruno Dubois. «Les personnes sont agitées la nuit, ont parfois des mouvements violents, se débattent.»
Autre signe devant mettre sur la piste d'une maladie à corps de Lewy: des changements imprévisibles dans la concentration, l'attention et l'éveil. À un moment, une personne atteinte de cette maladie peut avoir le regard perdu dans le vide dans un état de léthargie, souffrir d'une somnolence inhabituelle et présenter des idées confuses, sans logique apparente. Mais à d'autres moments, elle sera alerte, capable de mener une conversation normale et même de suivre un film.
Comme la démence à corps de Lewy, la démence fronto-temporale ne se manifeste pas particulièrement par des troubles de la mémoire. «Les personnes qui en sont atteintes vont changer drastiquement de comportement pour devenir apathiques et désinhibées», explique le Pr Dubois. «L'apathie étant une composante de la dépression, les personnes souffrant de démence fronto-temporale sont souvent considérées comme dépressives et traitées comme telles, mais sans aucun résultat». Hygiène et conventions sociales négligées, grossièreté, familiarité excessive, impulsivité, conduites stéréotypées (manipulations incessantes…), changement de régime alimentaire, gloutonnerie, idées fixes délirantes ou encore indifférence affective sont des révélateurs de cette pathologie. Le fait que les troubles commencent avant 65 ans et l'existence d'autres cas dans la famille doivent aussi orienter vers ce diagnostic.
Dernière grande catégorie de démence : la démence vasculaire. «Elle résulte de la succession d'accidents vasculaires dans le cerveau qui vont entraîner progressivement une détérioration cognitive», explique le Pr Dubois. «On la retrouve fréquemment associée à la maladie d'Alzheimer chez les personnes âgées». Contrairement aux autres démences dont la mise en place est généralement très progressive, celle-ci a la particularité de s'installer par à-coups, «en marche d'escalier, au rythme des accidents vasculaires», précise le neurologue. Autres signes révélateurs : la présence de facteurs de risque vasculaire (diabète, hypertension, tabagisme…) et la survenue de signes neurologiques évocateurs d'un AVC (une hémiplégie, un déficit moteur qui persiste, l'amputation d'une partie du champ visuel).
«Nous avons toute une panoplie d'outils qui permet de réaliser un dépistage assez précoce», souligne le Pr Assal. «Même si pour le moment, nous n'avons pas beaucoup de traitements à disposition, il est quand même important de poser un diagnostic. Cela nous permet de répondre à certaines inquiétudes. Les patients peuvent accéder à des soins, régler leurs affaires, se préparer à lâcher progressivement certaines activités et à accepter de l'aide à domicile, et les proches peuvent anticiper la suite».
Pour le neurologue, l'arrivée de nouveaux médicaments dans les prochaines années est une bonne chose, mais elle ne réglera pas le problème. «Ces médicaments vont retarder la progression de ces maladies neurodégénératives. Avec le vieillissement de la population, nous allons avoir de plus en plus de personnes âgées touchées. Il est urgent d'inventer de nouvelles façons de mieux les inclure dans la société.»