Tribune : "L’écologie pourrait être un fil conducteur pour prévenir et réduire l’incidence d’innombrables maladies"

Publié le par Le Monde via M.E.

A l’occasion de la Journée mondiale du cœur, jeudi 29 septembre, le cardiologue Pierre-Vladimir Ennezat appelle, dans une tribune au « Monde », à jouer sur la fibre écologique pour lutter contre ces maladies chroniques.

Dr Pierre-Vladimir Ennezat

Il y a près de trois ans, une épidémie d’infections respiratoires causée par un virus, le SARS-CoV-2, émergeait dans la province du Hubei, en Chine, avant de se propager rapidement pour provoquer une pandémie ou plus précisément une syndémie, entrelacement aggravant de maladies et de facteurs biologiques et environnementaux : grand âge et perte d’autonomie, maladies chroniques, obésité, défaillances des systèmes de soins et inégalités sociales et raciales déterminaient une large proportion de la mortalité et des formes graves liées à cette infection COVID-19.

D’immenses progrès médicaux diagnostiques et thérapeutiques ont pourtant été réalisés depuis l’après-guerre. A contrario, notre mode de vie semble avoir fait le lit des maladies chroniques, qui submergent littéralement notre système de santé et le mettent en faillite financière. Inactivité physique, pollution, anxiété et dépression, addictions au tabac, à l’alcool, au sucre, aux aliments ultra-transformés et désormais aux écrans sont clairement à l’origine de nos maladies cardio- et cérébro-vasculaires, de l’obésité, du diabète, mais aussi des maladies respiratoires et des cancers.

Très faible motivation pour l’effort

Sensibiliser et convaincre nos citoyens d’abandonner ce mode de vie délétère est une tâche immense voire impossible pour le corps médical dans un environnement si toxique, et, pourtant permis, voire autorisé, par nos gouvernements successifs, perméables aux lobbys de la grande distribution et des industries agroalimentaires, automobiles et pétrochimiques. A l’aune de la sobriété, la fibre écologique pourrait être un fil conducteur pour prévenir et réduire l’incidence de ces innombrables maladies. Quelques exemples pourraient être proposés pour célébrer, jeudi 29 septembre, la journée mondiale d’action contre les maladies cardio-vasculaires.

L’utilisation au maximum des escaliers et non des Escalator ou des ascenseurs, la marche ou la bicyclette de préférence au recours à des voitures, trottinettes ou bicyclettes à assistance électrique de plus en plus lourdes et puissantes sont des activités par essence écoresponsables et bénéfiques pour le système cardio-vasculaire d’Homo sapiens. Lorsque la distance entre le domicile et le lieu de travail est inférieure à 1 km, 42 % des personnes prennent hélas leur voiture pour s’y rendre ; 56 % lorsque la distance est comprise entre 1 et 2 km ; 63 % entre 2 et 3 km.

Ces proportions témoignent de la très faible motivation pour l’effort, permise par une énergie abondante et pas assez coûteuse. La réduction du temps affalé (« sitting disease ») dans un canapé, très souvent devant des écrans et, pis, en grignotant, est un objectif primordial pour lutter contre la pandémie d’obésité et de diabète qui sévit depuis plusieurs décennies et provoque plusieurs millions de décès chaque année.

Les bouteilles et cartons de jus de fruits occupent désormais des kilomètres de rayons de nos grandes et petites surfaces commerciales. Nous consommons en moyenne 27 litres de jus de fruits par personne et par an en France, soit un peu au-dessus de la moyenne européenne de 23 litres. Des 55 milliards de kilos d’oranges produites essentiellement au Brésil (70 %), en Floride, en Espagne ou en Israël, le jus est extrait, puis l’eau présente est évaporée à l’aide de bains-marie.

« Produit considéré comme sain pour la santé, contient l’équivalent de seize à dix-huit morceaux de sucre par litre, soit autant que le Coca-Cola »

Une fois concentré, le jus est congelé à − 18 °C, puis transporté dans des cuves par cargos puis camions-citernes isothermes jusqu’au lieu de conditionnement. Une fois sur place, le jus d’orange est à nouveau dilué pour la consommation. Pour obtenir une tonne de jus, 24 tonnes d’eau et 100 kilos de pétrole sont consommés, un rapport qui monte à 1 000 tonnes d’eau pour une tonne de jus pour l’orange de Floride.

Dans le pays d’importation, la pasteurisation à 85 °C, le conditionnement essentiellement dans des bouteilles en plastique ou des cartons plastifiés, rarement dans des bouteilles en verre jamais consignées, le suremballage, puis la livraison dans les millions de commerces sont nécessaires pour atteindre les rayons avant d’atterrir dans les réfrigérateurs des consommateurs.

Toutes ces étapes permettent d’avoir une idée de l’empreinte carbone d’un produit considéré comme sain pour la santé, qui pourtant contient l’équivalent de seize à dix-huit morceaux de sucre par litre, soit autant que le Coca-Cola. Le jus de raisin en contient trente-deux. La sacro-sainte vitamine C (qui manquait aux marins traversant l’Atlantique au temps de Christophe Colomb et développant le scorbut !) s’oxyde au contact de l’air et de la lumière et, une fois l’emballage ouvert, son taux s’effondre très vite. Il serait également injuste de ne pas évoquer les petites mains des ouvriers qui travaillent dans les immenses vergers arrosés de pesticides, parfois par avion. Pour conclure, manger (et non boire) une orange de temps en temps est beaucoup plus profitable, sain et écoresponsable !

La nécessité d’un plan Marshall

Le tabagisme est responsable de plus de huit millions de morts par cancers, maladies cardio-vasculaires et respiratoires chaque année dans le monde. Les cultures de tabac en Chine, en Inde et au Brésil contribuent à 60 % de la production des 4 000 milliards de cigarettes. Outre les 5 % de la déforestation dans le monde, l’industrie du tabac est responsable de dégâts environnementaux considérables avec l’utilisation massive d’engrais chimiques, pesticides (insecticides, herbicides, fongicides…) et d’eau.

Au total, 3,7 litres d’eau sont nécessaires pour fabriquer une cigarette, et un mégot de cigarette abandonné dans la nature pollue massivement l’eau en libérant des centaines de substances chimiques entrant dans sa composition (arsenic, plomb, cyanure, fibres de plastique…). En outre, près d’un quart des cultivateurs de tabac, dont de nombreux enfants ouvriers, souffrent de la maladie du tabac vert, qui provoque étourdissements, malaises, vomissements, maux de crâne et faiblesse musculaire. En contact constant avec des feuilles de tabac, ces cultivateurs consomment l’équivalent de la nicotine contenue dans cinquante cigarettes par jour.

La liste d’exemples est illimitée (production massive d’huile de palme pour notre alimentation transformée, de soja pour les élevages bovins en confinement abreuvés d’antibiotiques, etc.). Les ministres de la santé et de la prévention des maladies successifs pourraient s’emparer plus efficacement de ces sujets de santé publique que le discours de quelques « médecins militants » au cours de quelques consultations bien trop souvent écourtées.

L’Etat n’a pas hésité à employer conseils de défense, informations massives, injonctions répétées, peines pécuniaires, confinements, couvre-feux, auto-attestations, vaccins, tests et des cabinets de conseil internationaux pour gérer la pandémie depuis mars 2020.

Un « plan Marshall » est désormais nécessaire pour prévenir les millions de morts et d’hospitalisations en lien avec les maladies chroniques, pour améliorer non seulement la santé physique et mentale de la population, mais aussi la santé de la planète et du vivant non humain.

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