Crise énergétique : la revanche de la géothermie
Cette énergie renouvelable puisée dans le sous-sol pour chauffer ou refroidir les bâtiments a longtemps été pénalisée par ses lourds coûts d'investissement. Remise en selle par les objectifs bas carbone, elle suscite un intérêt inédit depuis trois mois à la faveur de la crise énergétique.
Début septembre, le groupe Vert Marine , débordé par les prix du gaz, annonçait la fermeture de trente piscines municipales. Dans les remous provoqués par cette décision, l'Association française des professionnels de la géothermie (AFPG) lançait son pavé dans la mare : « Ne fermez pas, optez pour la géothermie ». L'appel a été entendu chez Calicéo . Le groupe lyonnais de balnéothérapie va convertir ses neuf centres aqualudiques à ce mode de chauffage. « J'anticipe sur le terme de mon contrat de gaz bloqué jusqu'en 2024 », explique son président, Marc Léonard. Grâce aux subventions de l'ADEME, il estime « le surcoût négligeable pour les quatre sites en construction et la rénovation amortie en sept ans pour les anciens ».
Cette technologie exploite les calories contenues dans les nappes d'eau ou le sous-sol, jusqu'à 200 mètres de profondeur pour la géothermie dite de surface. Combinant des forages et une pompe à chaleur, elle est praticable sur tout le territoire (à l'exception de 1,2 %), jusqu'au coeur de Paris où l'Elysée a mandaté cet été le cabinet StratégéO pour des travaux qui démarrent l'an prochain. D'ailleurs, d'après la cartographie du potentiel du Grand Paris terminée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la géothermie de surface pourrait « en théorie couvrir plus de la moitié des besoins » en chauffage, eau chaude et même climatisation en Ile-de-France. La métropole de Bordeaux et la ville de Chartres ont depuis commandé une étude similaire.
Selon l'AFPG, la performance énergétique est quatre à cinq fois supérieure à une solution électrique, et les émissions de gaz à effet de serre douze fois moindre que le gaz. Malgré ses qualités, la géothermie de surface, onéreuse à l'installation à cause des forages, est restée marginale dans le mix des énergies renouvelables : un peu moins de 4,77 TWh en 2020 sur un total de 308 (selon EurObserv'ER). Mais à la faveur de la crise énergétique, le téléphone chauffe dans les cabinets spécialisés.
Avant et après l'été, les demandes d'études de faisabilité ont été multipliées par quatre chez Accenta. Même phénomène chez Antéa Group, où « au lieu des collectivités locales habituelles, les appels émanent à 90 % d'acteurs privés, nouveaux sur le sujet : promoteurs, PME, industriels, logisticiens », constate le directeur général Pascal Voyeau.
« C'est le moment de la géothermie », assure Astrid Cardona-Maestro, ingénieure au Fonds Chaleur de l'ADEME. Il a financé 730 installations de surface de 2009 à 2021, soit 11 % des dossiers - la grande majorité relevant de la biomasse et du biogaz. « Mais les aides aux études ont augmenté en 14 % en 2020, de 25 % en 2021, et la hausse sera beaucoup plus forte en 2022 », prévoit-elle.
La France est la traîne avec seulement 208 000 pompes à chaleur installées, deux fois moins qu'en Allemagne et trois fois moins qu'en Suède. Après avoir culminé à 20 000 dans les années 2006-2008, le marché a dévissé avant de se stabiliser autour de 3 000 pompes par an, principalement dans des maisons individuelles (3,6 TWh).
Mais les nouvelles normes de construction RE2020, le décret Eco-Energie Tertiaire (sur l'ancien) et les engagements bas carbone des entreprises et collectivités ont contribué depuis quelques années à promouvoir la géothermie dans de grands ensembles de loisirs, de bureaux ou de logements : l'agrandissement du Futuroscope avec un parc aquatique, un nouveau stade nautique de 11 bassins près de Bordeaux, le campus Engie à La Garenne-Colombe (150 000 m2), le siège social de Vinci et un écoquartier à Nanterre, le Village Olympique à Saint-Denis… « Le prix de la promotion immobilière a tellement flambé que les surcoûts liés à la géothermie ne paraissent plus exorbitants. Surtout quand elle permet de gagner des labels », pointe Olivier Durieux, directeur développement Eau chez Antea Group.
Elle gagne aussi les établissements scolaires, où les cours de récréation offrent le potentiel foncier pour forer. La région Nouvelle-Aquitaine a inauguré deux installations à la rentrée, portant à neuf les lycées équipés depuis 2011. Treize autres sont à l'étude ou en travaux.
La crise énergétique achève aujourd'hui de rendre attractif l'investissement, d'autant plus qu'il est réversible pour la climatisation. Et que les installations affichent une durée de vie de 25 à 50 ans. « Les coûts d'installation n'ont pas changé mais le coût d'exploitation stable vaut de l'or face à des prix du gaz et de l'électricité volatiles et explosifs », explique Pascal Voyeau. « L'amortissement qui prenait 13 à 15 ans est tombé en dessous de 10 », estime Jean-Loup Lacroix, président de StratégéO.
Le bureau d'étude et maître d'ouvrage mène un audit pour un grand groupe de Champagne. En retard sur une poignée de domaines viticoles déjà opérationnels : Rolly Gassmann en Alsace, La Chaize en Beaujolais et Monestier La Tour en Bergerac. Les vignerons rejoignent les serristes parmi les utilisateurs de la géothermie de surface.
L'Etat a fixé des objectifs ambitieux et rapides dans la Programmation Pluriannuelle de l'Energie. Pour parvenir à 8 TWh d'ici 2028, les subventions du fonds Chaleur ont été relevées de 25 % en juin. Emmanuel Macron n'a pas oublié de citer la géothermie parmi les énergies renouvelables à développer d'urgence dans son discours du 14 juillet, citant même « les pompes à chaleur » comme une solution prioritaire.
- Géothermie de surface
Doublet aquifère : pompage d'eau entre 40 et 60 mètres, réinjectée après utilisation. Avantage : seulement deux puits. A condition de disposer de nappes suffisamment importantes dans le sous-sol.
Sondes géothermiques : forages à 150-200 mètres. Avantage : pas besoin d'eau, mais forages coûteux et nombreux, d'une dizaine à plusieurs centaines selon la puissance souhaitée.
- Géothermie profonde
Pompage d'eau à 90°C jusqu'à 2.500 mètres. Cette technologie lourde est utilisée, sauf exception, pour les réseaux de chaleur urbain , qui chauffent un million de personnes en France.
La géothermie profonde permet aussi de produire de l'électricité, mais elle suscite réticences et inquiétudes. A la suite de séismes, le Bas-Rhin a prononcé un moratoire sur les projets en cours.
Un exemple de réalisation : Le schéma ci-dessus illustre le fonctionnement d’un « réseau de chaleur urbain » tel que celui mis en place dans l’écoquartier LaVallée à Châtenay Malabry. Il utilise une technique appelée « doublet géothermique » : elle consiste à faire fonctionner deux puits de forage.
- Le premier puits, appelé « puits producteur », extrait l’eau chaude souterraine avec une pompe, l’eau chaude arrive à une chaufferie centrale en surface et cède alors sa chaleur aux réseaux de distribution via un échangeur de chaleur.
- Le second puits, appelé « puits de réinjection », restitue l’eau utilisée (donc moins chaude) dans la nappe phréatique ; il doit être suffisamment éloigné du premier puits pour ne pas affecter son fonctionnement à court terme en diffusant une eau refroidie.
Le réseau qui relie la chaufferie centrale aux sous-stations dans chaque bâtiment véhicule une eau déminéralisée, chauffée au contact de l’eau souterraine dans la chaufferie centrale. Les sous-stations sont des chaufferies collectives qui permettent d’alimenter en chaleur l’ensemble des systèmes de chauffage domestique et de production d’eau chaude sanitaire pour chacune des pièces raccordées au chauffage central. En parallèle, un réseau de communication en fibre optique sera déployé pour récupérer les informations issues de chaque sous-station et assurer la commande des sous-stations depuis la chaufferie centralisée. A la différence du schéma ci-dessous, la chaufferie centrale et les sous-stations sont intégrées en rez-de-chaussée ou en sous-sol des bâtiments.