Pourquoi il est urgent de faire bouger les adolescents, en particulier les filles
La plupart sont loin d’être assez actifs. C’est pourtant indispensable à leur santé physique et mentale. Sportifs et dynamiques, les adolescents? Pas toujours… En tout cas, pas assez actifs physiquement au regard des recommandations sanitaires en la matière : ils devraient faire au moins 60 minutes d’activité physique par jour et passer le moins de temps possible assis. Or 8 ados français sur 10 n’y sont pas. Voilà des années que la situation se dégrade, et le COVID n’aurait fait qu’empirer les choses, certaines catégories de la population peinant à retrouver leur niveau d’activité d’avant 2020.
Dans cette tendance générale, les filles sont particulièrement vulnérables. Si l’écart entre les sexes reste faible chez les enfants, il se creuse durablement à l’adolescence : seules 20 % des jeunes filles de 11 à 14 ans atteindraient les recommandations de 60 minutes d’activité physique par jour, contre 34 % des garçons, selon l’enquête Esteban (Santé publique France) publiée en 2015.
Anne-Juliette Serry, responsable de l’unité nutrition et activité physique à Santé publique France : « Certains parents pensent qu’il faut réduire le sport extrascolaire pour laisser de la place aux devoirs, mais pas du tout. »
Ce n’est que vers 35-40 ans que la dynamique change et que la part de femmes chaussant régulièrement leurs baskets repart à la hausse. À noter toutefois qu’activité physique n’est pas synonyme exclusif de sport organisé : prendre son vélo pour aller au collège, se promener, faire du skate pour s’amuser ou danser avec des copines sur sa playlist préférée compte tout autant.
« Pas besoin de transpirer ou d’être essoufflée, l’essentiel est de bouger et de ne pas rester assise ou allongée », souligne Martine Duclos, chef du service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand et présidente de l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité.
« En termes d’activité physique, le décalage garçons-filles commence dès les premières années de l’enfance » poursuit Martine Duclos. « Les petites filles se voient proposer des poupées, des dînettes, des activités à pratiquer assises, alors que les garçons sont davantage incités à aller courir dans le jardin, taper dans un ballon ou faire du vélo. »
Si les parents ont bien conscience des bienfaits du sport pour tous les enfants, des études qualitatives menées par Santé publique France ont de même laissé apparaître l’idée qu’une fille serait naturellement plus calme et aurait un peu moins besoin de se dépenser qu’un garçon.
Or le soutien familial est un élément déterminant à la pratique d’un sport par un adolescent, car c’est encore un âge où l’on est dépendant financièrement et logistiquement. « Pourtant, les parents doutent de la force de leurs encouragements », note Anne-Juliette Serry, responsable de l’unité nutrition et activité physique à Santé publique France.
Pour cette raison, l’agence sanitaire a lancé jeudi une campagne de sensibilisation d’un mois intitulée « Faire bouger les ados, c’est pas évident. Mais les encourager, c’est important ».
L’investissement parental est toutefois loin d’être la seule raison pour laquelle les jeunes filles se détournent du sport, qu’il soit organisé ou spontané. L’accès aux structures est un obstacle fréquent : si les collectivités ont, ces dernières années, multiplié par endroits les skateparks et autres « city stades » en libre accès, ceux-ci sont largement préemptés par les garçons, relève Martine Duclos.
« Ce n’est pas facile pour une fille d’intégrer le cercle.» En outre, ces installations peuvent se situer dans des endroits isolés, où les adultes rechigneront à les laisser se rendre seule pour des raisons de sécurité. « C’est bien, que ces espaces existent, mais il faut donner envie de les utiliser », pointe Nicolas Forstmann, chargé d’études développement de la pratique d’activité physique et sportive à l’IRMES-INSEP. Preuve toutefois que les choses bougent, certaines villes ont instauré des créneaux réservés aux filles.
Côté sports collectifs également, l’accès est moins aisé pour les demoiselles. « L’adolescence est l’âge où l’on sépare filles et garçons aux entraînements, ce qui implique de doubler les créneaux d’occupation des installations », explique Nicolas Forstmann. « On ne leur octroie pas forcément les mêmes moyens au sein des clubs, pour les transports, par exemple. Par ailleurs, certaines sections peuvent avoir du mal à recruter assez de participantes pour former une équipe, car les valeurs associées aux sports d’équipe, comme la compétition et la performance, parlent peut-être moins aux adolescentes. »
Mais il existe différents leviers pour inciter les filles à bouger, assure le chercheur. « Celles qui ne se retrouvent pas dans la compétition, le dépassement physique ou le collectif peuvent être sensibles au fait de cultiver leur forme ou leur bien-être. Le développement du yoga ou du Pilates va dans ce sens. Des activités plus culturelles, comme la découverte de la nature ou d’une ville à pied, peuvent permettre d’atteindre celles qui sont très éloignées de l’activité sportive. »
Pour le Pr Martine Duclos, il est regrettable que les jeunes ne soient pas mieux au fait du fonctionnement de leur corps.
« Faire du sport à la puberté prévient chez les jeunes filles le stockage des graisses dans les cuisses et les fesses et l’apparition de cellulite, et leur permet d’avoir une silhouette plus harmonieuse et homogène - je ne parle pas ici des mannequins qui s’affament, évidemment! C’est beau, un corps musclé. » Physiologiquement, l’activité physique permet aussi de renforcer ses os et de ne pas être essoufflé.
Faire du sport a en outre un effet positif immédiat sur la santé mentale. « C’est le meilleur traitement curatif et préventif contre l’anxiété et le stress », souligne le Pr Duclos. Sur ce point, les adolescentes ont particulièrement souffert des bouleversements liés au Covid, avec encore à ce jour un taux de troubles de l’humeur et de gestes suicidaires comparables ou supérieurs au début de l’année 2021, et supérieur aux garçons, selon Santé publique France.
Enfin, et c’est moins connu, l’activité physique permettrait d’améliorer les résultats scolaires en boostant notamment la concentration. « Certains parents pensent qu’il faut réduire le sport extrascolaire pour laisser de la place aux devoirs, mais pas du tout », souligne Anne-Juliette Serry. Ce serait même tout le contraire, pour les filles comme pour les garçons…
« Le sport des filles n’est pas dans notre culture, c’est un problème », déplore Martine Duclos. « On associe sport et compétition ou exigence, alors que c’est avant tout du bien-être, du plaisir et de la détente. Certes, certaines peuvent avoir envie de se dépasser, mais chacune met la barre où elle veut. L’essentiel, c’est de prendre l’habitude de bouger au point qu’on ne supporte plus de rester trois ou quatre heures assis. Là, c’est gagné. »
L’absence relative de modèles sportifs féminins forts est régulièrement citée comme un obstacle à la motivation des jeunes filles. « Il serait appréciable de les montrer davantage, à la fois dans les situations où elles se dépassent, mais aussi celles où elles se rapprochent plus des standards de féminité », analyse le chercheur Nicolas Forstmann (Irmes-Insep).
L’insuffisante visibilité des sportives a d’ailleurs motivé la publication d’un éditorial dans le British journal of Sports Medicine la semaine dernière. Les auteurs, des chercheurs en santé publique australiens et britanniques, plaident pour que les grands événements sportifs féminins bénéficient d’une mise en avant identique à leur pendant masculin, car de là découlent notamment les moyens financiers sur lesquels les athlètes peuvent compter.
« Ces obstacles n’empêchent pas seulement les athlètes féminines d’atteindre leur plein potentiel (…), ils empêchent aussi peut-être les femmes et les fillettes du monde entier de se mettre au sport et de retirer tous les bénéfices d’une vie active », dénoncent-ils. Et de lancer: « Jusqu’à présent, tous les Jeux olympiques se sont conclus avec le marathon hommes. Ne serait-ce pas formidable si, à l’avenir, c’était le marathon des femmes une fois sur deux? Ou si le tournoi de Wimbledon alternait, pour son dernier jour, finale messieurs et finale dames? »