La sécheresse historique se poursuit en France malgré les pluies récentes
Après un été exceptionnellement chaud et sec, les restrictions des usages de l’eau devraient durer cet automne. Les précipitations sont insuffisantes et ruissellent sur des sols compacts.
L’arrivée de l’automne marque la fin des pics de chaleur, mais pas de la sécheresse historique qui frappe le territoire français. « Il y a de quoi être inquiet, reconnaît Bérangère Couillard, secrétaire d’Etat chargée de l’écologie. Les restrictions des usages de l’eau sont appelées à durer car le pire de la sécheresse est devant nous, on va le voir en octobre-novembre. » Les réserves sont en effet au plus bas après un été exceptionnellement chaud et avare en pluie.
Ces dernières semaines, des centaines de petites communes, mais aussi des villes comme Besançon, Chambéry, Chartres, Géradmer (Vosges) ou Nantes, ont connu ou connaissent encore des situations de tension pour leur alimentation en eau potable.
Au 1er septembre, environ un cinquième des canaux et des rivières était concerné par des restrictions d’usage et près de 1 000 km étaient fermés à la navigation (14,8 % du réseau). De surcroît, 90 % des cours d’eau étaient en déficit – en difficulté d’écoulement ou complètement à sec. Leur étiage – le moment où leurs débits sont au plus bas –, qui se produit habituellement entre la mi-octobre et novembre, s’annonce « particulièrement sévère », selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui a rendu publique une évaluation de l’état des nappes souterraines, jeudi 15 septembre. Il faut s’attendre à voir des rivières supplémentaires se tarir, probablement dans le Var et le Vaucluse, entre autres.
Les milieux aquatiques paient, eux aussi, un lourd tribut à la sécheresse : d’importantes mortalités piscicoles ont été constatées, selon l’association France Nature Environnement (FNE), ainsi que des phénomènes accrus d’eutrophisation (prolifération d’algues), de développement de cyanobactéries, de fragilisation des arbres…
C’est en réalité toute l’année qui présente un caractère exceptionnel, car la sécheresse était déjà bien installée dès avant l’été : le printemps avait lui-même débuté avec des nappes souterraines très dégarnies, à l’issue d’un hiver ni pluvieux ni neigeux. Au total, depuis le 1er septembre 2021, le cumul des précipitations efficaces est déficitaire de 25 % à 75 % sur la quasi-totalité du pays, selon le dernier bulletin national de situation hydrologique rendu public par Météo-France le 1er septembre.
Certes, depuis le début du mois, il a plu, mais pas assez pour se remettre d’un manque d’eau qui a atteint des records cet été. Avec un déficit de 85 % – soit 52 mm de moins que la moyenne – qui a touché la quasi-totalité du pays, le mois de juillet est le plus sec jamais enregistré, tandis que celui d’août a atteint 33 % (21 mm de moins, inégalement répartis sur le territoire). Mais la première quinzaine de septembre laisse aussi à désirer, avec un déficit de plus de 31 %. Et comme les sols continuent d’être extrêmement compacts et secs, ils favorisent le ruissellement, au détriment de l’infiltration de l’eau, condition nécessaire pour recharger les nappes, qui jouent le rôle de réserves souterraines.
« Les précipitations récentes ne suffisent clairement pas à régler la situation »observe Florian Hortala, prévisionniste à Météo-France. « Bien que des épisodes orageux aient soulagé partiellement des départements comme le Gard, l’Ardèche, la Drôme, l’Allier, ces jours-ci, on est en dessous d’un indice d’humidité de 10 % à l’échelle du pays. Cette période de l’année s’inscrit parmi les 10 % les plus sèches depuis que ces indicateurs existent, en 1958. Les 12 et 13 septembre, on a mesuré qu’il n’y avait jamais eu aussi peu d’humidité dans les sols à ces dates. »
Déjà pendant l’été, les sols avaient atteint des indices de sécheresse maximum le 17 juillet – pire qu’en 1976 et 2003 – et le 28 août. Or, Météo-France ne prévoit pas de pluies importantes avant au moins une semaine.
De la pluie, voire de la neige, peut-être, mais vraisemblablement peu de nappes souterraines rechargées et prêtes à soutenir les débits des rivières. Elles sont si basses qu’elles ne vont pas se remplir à brève échéance. En tout cas, pas avant le début de l’hiver, pronostique le BRGM. « Les niveaux des nappes à l’entrée de l’hiver 2022-2023 seront nettement inférieurs à ceux de l’année dernière », annonce cet organisme dans son bulletin. Il qualifie ces niveaux d’« inquiétants » pour près de la moitié du territoire et même de « particulièrement préoccupants au Sud-Est, sur le Bas-Dauphiné, la Provence et la Côte d’Azur ». Le pays a donc grand besoin d’une saison des pluies efficace, « particulièrement abondante et longue » jusqu’au printemps 2023, faute de quoi la sécheresse risquerait de se prolonger.
Le BRGM recommande donc de maintenir les restrictions d’usage de l’eau qui se sont multipliées en France ces dernières semaines, estimant que cette stratégie a permis de ralentir la vidange des nappes. Ainsi, au 1er septembre, 93 départements étaient concernés par des mesures d’économies d’eau (leur nombre n’a pas varié depuis le 28 juillet), dont 79 étaient alors classés en crise – à titre de comparaison, à la même date en 2019, un autre été très sec, c’était le cas de 81 départements, dont 40 en crise. Cependant, au 15 septembre, ce sont 96 départements – la totalité de la métropole, Paris y compris – qui sont en état de vigilance, d’alerte ou pire : 77 sont en crise.
A l’occasion du Comité d’anticipation et de suivi hydrologique, qui s’est tenu le 8 septembre, les services de l’Etat ont promis de tirer pendant l’automne un bilan de la façon dont les préfets avaient fait remonter les informations de terrain et dont, globalement, la crise hydrique est gérée. Lors de cette réunion, qui a regroupé de nombreux participants sous la houlette de la secrétaire d’Etat à l’écologie, il a été notamment souligné le dysfonctionnement de Propluvia, qui tombe mal, car ce site gouvernemental est censé livrer un tableau tenu à jour de toutes les interdictions départementales d’arroser, d’irriguer ou de remplir des réservoirs, assorties des arrêtés préfectoraux correspondants.
« Lors de cette réunion, le BRGM a envisagé qu’il faudrait deux hivers pluvieux pour que les nappes se rétablissent », rapporte Florence Denier-Pasquier, administratrice de FNE. Très familière de ce genre d’assemblées, cette juriste spécialiste des questions liées à la ressource hydrique se réjouit d’y avoir vu des représentants de l’Office français de la biodiversité bénéficier d’un temps d’écoute pour évoquer les difficultés des écosystèmes.
« J’ai aussi été satisfaite d’entendre rappeler les objectifs que nous nous sommes collectivement fixés lors des Assises de l’eau : parvenir à réduire les prélèvements de 10 % en cinq ans et de 25 % en quinze ans – mais c’était en 2019, il y a déjà trois ans, témoigne Florence Denier-Pasquier. Et, pendant ce temps-là, nous constatons que l’irrigation agricole a, par exemple, augmenté de 70 % dans les Hauts-de-France. »
- la sécheresse météorologique est une situation de déficit prolongé de précipitations. Météo France mesure chaque jour la quantité de pluie tombée.
- la sécheresse des sols, aussi appelée sécheresse agricole, correspond à un déficit en eau des sols superficiels jusqu’à deux mètres de profondeur. Météo France détermine un indice d’humidité des sols,ou SWI (Soil Wetness Index) compris entre 0, pour un sol superficiel intégralement sec, et des valeurs pouvant légèrement dépasser 1, dans le cas de sols très saturés en eau. La valeur nationale est calculée quotidiennement depuis août 1958, en agrégeant des indices locaux, à partir d’un modèle tenant compte de plusieurs facteurs : précipitations, humidité, température de l’air, vent, nature du couvert végétal et des sols.
- la sécheresse hydrologique touche le niveau des eaux de surface (rivières, lacs) et des nappes phréatiques. L’Observatoire national des étiages surveille les écoulements de près de 3 200 cours d’eau métropolitains, et le BRGM mesure les nappes phréatiques.