Greenwashing : l’hydrogène « vert » pourrait être produit avec du charbon
Les eurodéputés ont voté un amendement autorisant à qualifier de « renouvelable » de l’hydrogène produit grâce à des centrales thermiques. Les écologistes redoutent une explosion de la demande en électricité carbonée.
L’hydrogène « vert » sera-t-il gris ? Réunis dans le cadre d’une révision de la directive sur les énergies renouvelables, les députés européens ont adopté, le 14 septembre, un amendement qui assouplit considérablement les règles de production de l’hydrogène sur le continent. Si ce texte parvient au bout du processus législatif européen, de l’hydrogène produit grâce à du charbon ou du gaz pourrait être labellisé comme « renouvelable ». La demande en électricité carbonée pourrait également exploser.
Souvent présenté comme un vecteur d’énergie miracle, à la fois simple d’utilisation et peu polluant, l’hydrogène (H2) est très rare à l’état pur sur Terre. Avant de remplir les réservoirs des voitures ou d’alimenter des hauts fourneaux, il doit être produit de manière industrielle. Deux méthodes existent : le vaporeformage, qui consiste à « casser » des molécules d’hydrocarbures (en émettant au passage des gaz à effet de serre dans l’atmosphère), et l’électrolyse, qui permet d’obtenir de l’hydrogène en décomposant de l’eau grâce à un courant électrique. Ce processus est extrêmement énergivore, comme l’a déjà documenté Reporterre dans une enquête.
Jusqu’à présent, seul l’hydrogène fabriqué par électrolyse de l’eau grâce à de l’électricité renouvelable pouvait être qualifié de « vert ». L’amendement voté au Parlement européen pourrait changer cela. Il autorise les producteurs d’hydrogène à prélever de l’électricité sur le réseau national pour faire fonctionner leurs électrolyseurs. Qu’importe si ladite électricité est issue de centrales à gaz ou à charbon, notamment dans les pays dont le mix électrique est encore fortement carboné (comme l’Espagne ou l’Italie). L’amendement permet alors une compensation : il suffira aux producteurs de prouver qu’ils ont acheté une quantité équivalente d’électrons d’origine renouvelable « dans le même pays ou dans un pays voisin » au cours du trimestre pour bénéficier du label « renouvelable ».
Imaginons par exemple qu’un producteur souhaite faire tourner son électrolyseur par une nuit sans vent, période où la production des éoliennes et des panneaux photovoltaïques est au plus bas. Même si l’électricité utilisée sur le moment provient de centrales thermiques, l’hydrogène produit pourra être qualifié de vert si le producteur achète autant d’électricité renouvelable dans les trois mois. Tant pis si elle a été produite à un autre endroit et à une autre période de l’année. « C’est un cas d’école de greenwashing », a commenté sur Twitter Maxence Cordiez, responsable des affaires publiques européennes au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Avec cet amendement, le Parlement renonce également au « principe d’additionalité », qui stipule que le déploiement de nouveaux électrolyseurs doit être compensé par le financement de nouveaux parcs photovoltaïques ou éoliens. La Commission européenne avait inscrit ce principe au cœur d’un projet d’acte délégué. L’idée : éviter que les électrolyseurs siphonnent la production électrique européenne. Le Parti populaire européen (centre droit), qui a défendu l’amendement hydrogène au Parlement, a relégué ce principe aux oubliettes, malgré l’opposition de la gauche et des écologistes.
Cet assouplissement drastique des règles a été bien accueilli par certains acteurs du secteur. Le PDG de l’entreprise Fortescue Future Industries, Mark Hutchinson, a salué dans un communiqué « une avancée bienvenue » : « Sans ces changements, le milieu de l’investissement aurait abandonné le marché européen pour les États-Unis », où les producteurs bénéficient désormais d’un crédit d’impôt de 3 dollars par kilo d’hydrogène produit.
L’enthousiasme des organisations environnementales est bien moindre. « Ce qui s’est passé est un vrai scandale », estime Geert de Cock, chargé des dossiers énergétiques au sein de la fédération d’associations Transport & Environment. L’abandon du principe d’additionalité constitue selon lui « la pire des options ». L’Union européenne s’est fixé comme objectif de produire 10 millions de tonnes d’hydrogène par an d’ici à 2030, explique-t-il. Selon les calculs de la fondation Bellona, un tel niveau de production requerrait 500 térawattheures d’électricité renouvelable, soit l’équivalent de la consommation annuelle de la France. « C’est loin d’être marginal. »
Si de nouveaux projets renouvelables ne se développent pas en parallèle des électrolyseurs, des centrales à charbon ou à gaz pourraient être utilisées pour compenser l’augmentation de la consommation électrique sur le continent. « Il y aura beaucoup plus de pression sur le réseau, plus d’émissions de gaz à effet de serre et le prix de l’électricité augmentera », résume-t-il.
L’hydrogène n’a de sens « que s’il réduit véritablement les émissions de gaz à effet de serre, insiste Geert de Cock. Si l’on utilise une énergie propre pour le produire, mais que le reste du réseau devient plus carboné, cela n’a aucun sens. On ne fait que déplacer le problème ».
L’amendement adopté par le Parlement est d’autant plus incompréhensible, selon lui, que l’Union européenne fait face à une crise de l’énergie sans précédent. « Dans la situation où nous sommes, avec un prix de l’électricité six fois plus élevé qu’avant le début de la guerre en Ukraine, ce n’est pas le moment d’augmenter la demande sans prévoir des projets renouvelables additionnels. »
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Le directeur de Bellona Europe, Jonas Helseth, partage cette analyse. « Partout en Europe, on demande aux gens de réduire massivement leur consommation d’énergie. Des villes éteignent leurs lumières, des gens se retrouvent en situation de précarité énergétique et perdent leur travail… J’ai du mal à comprendre comment un tel projet peut sembler acceptable. » Dédier autant d’électricité aux électrolyseurs revient selon lui à « jeter du champagne dans la piscine » : « L’Europe a mis des années à construire un parc renouvelable. Sa production risque désormais d’être absorbée par un produit dont le rendement énergétique est tout sauf efficace. »
Les deux spécialistes de l’énergie ne recommandent pas pour autant d’abandonner totalement l’hydrogène. « Il faut réduire les objectifs, et cibler les secteurs (comme le transport maritime et aérien) pour lesquels il n’existe aucune autre alternative décarbonée », pense Geert de Cock. « Certains secteurs vont avoir besoin de l’hydrogène pour se décarboner, confirme Jonas Helseth. Mais nous avons besoin d’un hydrogène qui réduise réellement nos émissions. Et pour cela, appliquer le principe d’additionalité est essentiel. »
Avant d’entrer définitivement dans la loi, cet amendement doit encore passer par la phase des « trilogues », au cours de laquelle la Commission, le Conseil et le Parlement européen se réunissent pour d’ultimes négociations. « Il y a encore beaucoup de pas à franchir avant d’arriver dans le Journal officiel, espère Geert de Cock. La discussion va continuer. »
L’Europe tout feu tout flammes pour l’hydrogèneLe développement de l’hydrogène fait partie des principaux axes du plan « REPowerEU », destiné à réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Russie tout en accélérant la transition énergétique. D’ici à 2030, les Vingt-Sept envisagent d’importer chaque année 10 millions de tonnes de ce vecteur d’énergie, et d’en produire autant sur le territoire. L’Union multiplie dans cette optique les coups de pouce au secteur. Le 14 septembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a notamment annoncé la création d’une banque publique dédiée au développement de l’hydrogène. Cette institution sera dotée d’un budget de 3 milliards d’euros. « Nous devons passer du marché de niche au marché de masse », a affirmé la femme politique.
Source : https://reporterre.net/Greenwashing-l-hydrogene-vert-pourrait-etre-produit-avec-du-charbon