Des milliers de litres d'eau volés, des jacuzzis dégradés... la guerre de l'eau est-elle déclarée en France ?
Les tensions autour des ressources en eau s'exacerbent alors que la France subit une sécheresse historique. Après le vol de 400 m3 d'eau en Ardèche, des jacuzzis ont été troués à Gérardmer où la ville n'avait plus accès à l'eau potable. Ces conflits s'apparentent-ils à une guerre de l'eau ? Si le terme fait débat, ces conflits sont révélateurs "des tensions pré-existantes" affirme la géographe Magali Reghezza qui pointe l'inaction et le statu quo.
"Pendant des années, on a parlé de "guerre de l’eau" en utilisant le futur, sans doute de manière assez théorique. Du moins en France. Les temps changent", écrit sur Twitter l’économiste Maxime Combes. "La guerre de l’eau est déclarée", abonde sur le réseau social le journaliste climat de Mediapart Mickaël Correia. Les deux hommes font référence au même évènement : le vol de 400 m3 d’eau dans un bassin de rétention en Ardèche. L’affaire, dévoilée par le Dauphiné Libéré, se déroule en pleine période de sécheresse historique en France. Le pays, qui subit une quatrième vague de chaleur depuis le mois de mai, est à sec : tout l'Hexagone est en effet passé en vigilance "sécheresse".
"Après les incendies que nous venons de vivre, il faut qu’il y ait une vraie prise de conscience. Le vol d'eau n’est pas acceptable. Il en va de la sécurité de tous", a témoigné auprès du journal local le président de la communauté des communes du bassin d’Aubenas, Max Tourvieilhe qui a déposé plainte le 29 juillet. Depuis, l’affaire a été résolue. Le club de moto-cross voisin a reconnu avoir pompé l’eau du bassin, sans autorisation, pour remplir des petites réserves en vue d’une manifestation à venir. L’eau aurait à la fois servie à l’arrosage de la piste mais également à la sécurité, raconte le coprésident du club, Roger Kappel, à France Bleu. "Il y a 2000 personnes. Il y a quelques années, il y a eu un incendie sur une piste de moto cross ". Le club a déjà commencé à remplir de nouveau le bassin qui avait été considérablement vidé.
Si l’affaire a suscité de nombreuses réactions, c’est que la question de l’accès à l’eau est de plus en plus problématique. Le 5 août, en déplacement dans les Alpes-de-Haute-Provence, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a annoncé que "plus d’une centaine de communes n’ont plus d’eau potable" précisant que des approvisionnements en camion sont organisés sans dévoiler la liste des communes. A Ventron, dans les Vosges, les habitants n’ont pas eu d’eau potable pendant plusieurs jours. Le village a été ravitaillé en urgence par la ville voisine de la Bresse mais l’eau, transportée par camion-citerne, devait être bouillie avant d’être utilisée. La mairie, qui ne répond plus aux sollicitations des médias, a publié un communiqué à destination des habitants pour les sensibiliser.
"Il est urgent que nous prenions conscience du manque d’eau et que nous agissions en conséquence. Au rythme actuel, nous pourrons bientôt ouvrir nos robinets sans qu’une goutte n’en sorte malgré tout", écrit la maire, Brigitte Vanson, qui appelle chacun à "limiter sa consommation". Si la commune compte 800 habitants, d’autres, plus importantes, sont aussi concernées. C’est le cas des plus de 8 000 habitants de Gerardmer, également dans les Vosges. La ville a dû pomper son lac pour pallier la sécheresse. Une situation particulièrement tendue qui a suscité des actions coups de poing.
Le 4 août, racontent GerardmerInfo et Libération, plusieurs jacuzzis d’un même quartier ont été vandalisés. Les propriétaires ont retrouvé un mot à côté de leurs jacuzzis percés : "L’eau c’est fait pour boire". Est-ce, comme le disent Maxime Combes et Mickaël Correia, le début d’une guerre de l’eau ? Non, répond d’emblée la géographe et membre du Haut conseil pour le climat, Magali Reghezza. "On a aujourd'hui en France, des cadres efficaces de gestion et partage de l'eau, quand tous les acteurs des territoires sont accompagnés et soutenus. Cela ne veut pas dire que localement, il n'y a pas de conflits durs, mais nous ne sommes pas aujourd'hui dans une situation de tension sociale et politique qui ferait basculer le pays dans des affrontements armés. Les mots ont quand même un sens", nuance-t-elle.
Ces conflits locaux justement, sont définis par l'hydrologue Emma Haziza comme des "guerres de l’eau". Dans un entretien dans l’Express, la spécialiste prend pour exemple les oppositions aux méga-bassines, ou encore les conflits entre activité agricole et activité touristique au lac de Serre-Ponçon dans les Hautes-Alpes. Conflits ou guerres, dans tous les cas ces manifestations sont le signe de tensions.
"Ce qui est préoccupant, c’est le degré d’exaspération dans certains territoires. Ce n’est pas propice à un dialogue apaisé sur la gestion durable de la ressource et cela laisse peu de marge de manœuvre pour réaliser des transitions indispensables", juge Magali Reghezza. "Le conflit est toujours un révélateur des tensions pré-existantes. Si guerre de l'eau il y a, le changement climatique n'en est pas la cause unique. Ce sont les vulnérabilités aggravées par l'accumulation des crises, l'inaction et le statu quo, qui le sont".