Crise de l'eau : les "méga bassines" pour l'agriculture au cœur des conflits d'eau
Agriculteurs et éleveurs demandent des réserves d'eau pour faire face aux sécheresses qui menacent la survie de leurs exploitations. Mais les oppositions sont virulentes autour des plus grands projets, les accusant de s'accaparer la ressource en eau pour un modèle d'agriculture intensive néfaste. Pour les Agences de l'eau, le stockage doit être utilisé avec parcimonie, après de nombreuses concertations et d'autres actions d'adaptation.
La longue et intense sécheresse de cet été 2022 a provoqué de nombreuses pertes pour les agriculteurs et les éleveurs, faisant craindre la faillite. Une situation amenée à se répéter plus fréquemment avec le dérèglement climatique. Face à cela, le FNSEA, syndicat majoritaire des professions agricoles, appelle dans un communiqué à "lever les freins à la constitution de réserves d'eau". En 2019, l'Etat prévoyait déjà de construire soixante nouvelles réserves d'eau. Une position contestée car les réserves, qualifiées de "méga bassines" par les opposants tels que le collectif "Bassines, non merci", sont accusées de confisquer la ressource en eau.
Ces réserves d'eau sont des ouvrages de plusieurs hectares permettant de stocker des centaines de milliers de mètres cubes d'eau à l'air libre pour sécuriser la production ou améliorer la productivité face aux sécheresses de l'été. Le premier type est les retenues caulinaires, qui récupèrent le ruissellement de l'eau de pluie et parfois une partie du courant d'une rivière. Le second type, souvent appelé "bassines", pompe aussi l'eau des nappes phréatiques, ces réserves naturelles d'eau sous-terraine. Tout au long de l'hiver, les réserves se remplissent progressivement pour être utilisées l'été.
Dans le bassin de la Sèvre Niortaise, en Nouvelle-Aquitaine, un projet de création de 16 "méga bassines" s'approvisionnant dans les nappes phréatiques, porté par l'association Coop de l'eau 79, au bénéfice de 226 exploitants, cristallise toutes les oppositions. Plusieurs passages dans les tribunaux ont abouti à l'annulation de trois réserves et à la réduction du volume de trois autres. Actuellement, une des bassines est déjà en activité à Mauzé-sur-le-Mignon. Selon le porte-parole du syndicat la Confédération Paysanne, ces réserves d'eau "ne doivent pas être la première des solutions". Elles devraient seulement servir à "sécuriser l'eau pour certaines activités" et devraient être "moins grandes" et "mieux réparties" pour ne pas pénaliser les agriculteurs qui ne sont pas assez proche pour pouvoir en bénéficier.
"L'idée n'est pas de créer de l'offre d'eau. La ressource naturelle baisse, il faut savoir comment collectivement la partager" explique Thomas Pelte, chef du service Ressources en eau, milieux et fleuves Rhône de l'Agence de l'Eau Rhône Méditerranée Corse. L'agriculture consomme 45% de l'eau en France, selon l'OFB et BNPE, résumé dans des graphiques de France Info. L'eau potable quotidienne, le refroidissement des centrales et les industries mais aussi des activités plus lointaines, comme l'ostréiculture, peuvent être touchés par un usage excessif de retenues d'eau. Enfin, des associations de défense de l'environnement comme France Nature Environnement soulèvent le danger de couper les flux naturels d'eau, contribuant à faire mourir de nombreux écosystèmes.
L'efficacité même des retenues d'eau est remise en question avec le risque d'évaporation, estimé entre 20% et 40% par l'hydrologue Emma Haziza dans Le Parisien. Un chiffre contesté par les défenseurs des réserves d'eau. Également, en situation de fortes sécheresses, les bassines ne se remplissent pas suffisamment et des algues vertes, les cyanobactéries, peuvent se développer et rendre l'eau impropre à la consommation
"Si les bassines ne se remplissent pas, ce sont des millions d'euros que nous n'amortissons pas", alerte Thomas Pelte, chef de service à l'Agence de l'Eau Rhône Méditerranée Corse. Par exemple, le projet des 16 bassines de la Sèvre Niortaise est estimé à 60 millions d'euros, financé entre 70% et 80% par des aides publiques. Un montant critiqué en comparaison des aides pour d'autres solutions au changement climatique.
"Il faut éviter le modèle espagnol, qui a tout misé sur le stockage. Avec l'illusion de se préserver, ils ont aggravé le problème" juge Thomas Pelte. L'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse a accepté plusieurs projets de réserves d'eau, mais avec de nombreuses conditions. Thomas Pelte évoque ainsi d'autres priorités comme la lutte contre les fuites d'eau, qui peuvent représenter 30% de pertes, un choix judicieux de modes d'irrigation, en privilégiant les tuyaux aux canaux ou à la dispersion aérienne, l'adaptation des cultures à des climats secs, et des méthodes permettant de désimperméabiliser les sols, afin de conserver l'eau de la manière la plus efficace possible.