Comment la fumée des incendies impacte la santé de tous
Des odeurs de feu de bois à Paris quand la forêt brûle en Gironde ? Normal. C’est une pollution aux particules fines qui sera de plus en plus fréquente.
Le chiffre donne le tournis : environ 50 000 hectares de forêts seraient déjà partis en fumée cette année en France, selon des données satellitaires européennes. C'est plus de trois fois la moyenne annuelle de la dernière décennie. Et nous ne sommes qu'en août. Outre leurs effets environnementaux, paysagers et économiques, les incendies ont aussi un impact sur la santé. Certains bien connus, d'autres insoupçonnables.
Les populations les plus à risque sont bien sûr celles qui se trouvent au plus près du feu. Pour les pompiers, par exemple, malgré leurs équipements de protection et leur expertise, les effets sur la santé vont, entre autres, de la simple crampe liée à la déshydratation, très handicapante dans l'action, au redoutable coup de chaleur pouvant être fatal. Les habitants encore au cœur du brasier risquent, eux, des brûlures, des blessures diverses et, bien sûr, la mort dues aux flammes et à la chaleur qu'elles dégagent. En 2009, par exemple, la revue The Medical Journal of Australia rapportait que les incendies qui avaient touché le pays en février avaient tué directement 173 personnes. Dans les 72 premières heures, 146 patients se sont présentés aux urgences avec des brûlures et 64 avec des blessures très variées.
Toujours au plus près du feu, c'est aussi l'asphyxie qui guette. « Elle menace plus particulièrement les personnes qui sont restées coincées dans leur habitation. Elles sont surtout exposées au monoxyde de carbone provenant de la combustion », explique le docteur Frédéric Le Guillou, pneumologue et président de l'association Santé respiratoire France.
Cette combustion produit ces spectaculaires panaches de fumée, mélange de gaz, comme le monoxyde et le dioxyde de carbone, d'oxydes d'azote, de composés organiques volatils ou encore d'ozone, mais aussi d'une forte concentration en particules fines.
La qualité de l'air s'en trouve alors fortement dégradée. Les premiers à en ressentir les effets sont ceux présentant déjà des risques respiratoires, comme les asthmatiques, les personnes âgées, celles souffrant de maladies cardiovasculaires ou encore les nourrissons.
« Il faut alors limiter le temps de séjour à l'extérieur, se calfeutrer à la maison, fermer les fenêtres, arrêter les VMC, etc. pour préserver un air intérieur de meilleure qualité », conseille la docteur Sylvie Quelet, directrice déléguée à la santé publique à l'Agence Régionale de Santé de Nouvelle-Aquitaine. « Ceux qui n'ont pas de pathologies respiratoires, s'ils sont gênés par la fumée, mais doivent se déplacer ou travailler en extérieur, nous leur recommandons de porter des masques FFP2 ou FFP3 qui protègent des particules fines. En juillet, nous avions recommandé les masques chirurgicaux, mais ils ne sont pas assez filtrants. »
Malheureusement, la proximité des flammes ou l'importance des fumées imposent parfois d'évacuer, comme cela a été le cas ces derniers jours dans certaines communes.
Les personnes ressentent des irritations de la peau ou des yeux, elles éternuent, toussent : « C'est une alerte. C'est le signe qu'il faut vite partir », conseille Frédéric Le Guillou. Cette gêne provient d'abord des particules fines dites PM10, c'est-à-dire dont le diamètre est égal ou inférieur à 10 micromètres. « Celles-ci restent cantonnées aux voies respiratoires supérieures. Ce ne sont pas celles qui nous préoccupent le plus », précise Sylvie Quelet.
Le vrai danger vient surtout des plus petites, les PM2.5 (diamètre inférieur ou égal à 2,5 micromètres). « Elles pénètrent dans les voies respiratoires basses, atteignent les alvéoles pulmonaires, peuvent passer dans la circulation sanguine et être responsables de nombre de complications : notamment des pathologies vasculaires, comme des phlébites ou des embolies », précise Frédéric Le Guillou.
Le problème, c'est que la situation semble s'aggraver avec les années. Les fumées des feux de forêt sont responsables de pollutions de l'air de plus en plus importantes. Une étude de 2017 dans la revue Environmental Science & Technology précisait que les réglementations environnementales aux États-Unis continuent de réduire les émissions d'origine humaine, alors que les feux de forêt allaient devenir les principaux contributeurs à la pollution en particules dans le pays. Or, ces fumées peuvent se déplacer sur de très longues distances : plusieurs centaines de kilomètres, voire 1 000 kilomètres. Le 10 août, Météo-France a d'ailleurs publié sur Twitter une image satellitaire spectaculaire qui montre le panache de fumée des feux en Gironde s'étendant sur plusieurs centaines de kilomètres au-dessus de l'océan Atlantique.
Quant aux Parisiens, ils n'ont pas oublié cette petite odeur de feu de bois ressentie le 19 juillet. L'Institut National de l'Environnement Industriel et des Risques (INERIS) a rapidement confirmé qu'elle provenait… de Gironde, en proie aux flammes. Comme le montre l'animation ci-dessous, le panache a d'ailleurs balayé une vaste partie du territoire, provoquant des pollutions en particules fines importantes dans de nombreuses villes.
Par exemple, le 19 juillet, le niveau des PM10 a atteint les 522 µg/m3 à Périgueux, contre seulement 11,2 deux jours plus tôt. À Paris, il a flirté avec les 130 µg/m3, quand la moyenne annuelle se situe autour des 20.
Ces pics de pollution de l'air sur de grandes distances ont de quoi inquiéter les autorités sanitaires. Lors des incendies de 2020 en Californie, le niveau moyen des PM2.5, donc les plus dangereuses, atteignait localement les 350 à 500 microgrammes par mètre cube (µg/m3) d'air, contre 35 habituellement. À 1 000 kilomètres des incendies, les relevés indiquaient des niveaux allant jusqu'à 135 µg/m3, soit presque 4 fois le niveau normal. Or, comme le rappelle un article paru en 2020 dans The New England Journal of Medicine, « chaque augmentation de 10 µg/m3 est associée à une augmentation de 0,8 à 2,4 % du risque de mortalité, jusqu'à quatre jours après l'exposition ».
Selon l'étude, ces données suggèrent même que les particules émises par les feux de forêt pourraient être plus létales que les particules urbaines émises essentiellement par la circulation des véhicules (voitures, scooters, bus, camions).
Malheureusement, les incendies n'affectent pas que nos voies respiratoires. Selon le même article du New England Journal of Medicine, l'impact sur la santé mentale serait aussi considérable, en particulier pour les populations installées dans les zones brûlées : la perte de leur propriété, les évacuations, etc. augmentent le risque d'affections, comme le syndrome de stress post-traumatique, la dépression ou l'insomnie.
« Les conséquences psychologiques des incendies peuvent perdurer pendant des années, et les enfants et adolescents sont particulièrement vulnérables », poursuit l'article.
D'ailleurs, une autre étude publiée dans The British Journal of Psychiatry en 2009 révélait, lors d'un suivi sur 20 ans, que les enfants qui avaient vécu un feu de forêt avaient une plus grande probabilité que les autres enfants d'avoir une maladie mentale à l'âge adulte. Quand une autre publication de 2019 montre que les enfants ayant vécu l'expérience du feu de forêt ont par la suite de moins bons résultats scolaires.
Si les incendies laissent toujours derrière eux ces images de désolation qui frappent les esprits, ils marquent aussi sournoisement la santé des humains. Surtout, avec le changement climatique, la situation ne va pas aller en s'arrangeant. Selon un rapport de février 2022 du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), les experts prévoient « une augmentation mondiale des incendies extrêmes pouvant atteindre 14 % à l'horizon de 2030, 30 % d'ici à 2050 et 50 % d'ici à la fin du siècle ».