Sobriété ou pouvoir d'achat, il faut choisir (Tribune)

Publié le par Les Echos via M.E.

A gauche comme à droite, tout le monde prône la sobriété pour répondre au problème environnemental. Mais à gauche comme à droite, tout le monde réclame aussi davantage de pouvoir d'achat. Cet « en même temps » est une tartufferie, estime Gaspard Koenig.

Photo d'illustration (iStock)

En campagne et dans les colonnes des journaux, tout le monde, même à droite, semble s'accorder sur la critique de la surconsommation et la nécessité de la sobriété, dont Emmanuel Macron a fait le premier « grand chantier » de la politique énergétique. Mais face à l'exercice du pouvoir et devant les défis quotidiens des Français, tout le monde, même à gauche, réclame davantage de pouvoir d'achat, objet de la première loi du nouveau quinquennat. Il est temps de dénoncer cette confortable tartufferie. L'Insee définit le pouvoir d'achat comme « le volume de biens et services qu'un revenu permet d'acheter » - c'est-à-dire la capacité à consommer. Donc accroître le pouvoir d'achat, c'est encourager la consommation. Difficile de réfuter ce syllogisme.

Imaginer le consommateur heureux et responsable

Il ne reste alors que deux attitudes intellectuellement cohérentes. La première consiste, dans une logique de croissance, à assumer la boucle vertueuse entre consommation, investissement et innovation. Guillaume Poitrinal, entrepreneur pionnier de la construction bas carbone, en fait la ligne directrice de son récent essai « Pour en finir avec l'apocalypse : une écologie de l'action », sincère et stimulant. Il assimile les comportements sobres à un « renoncement ». Il dresse le cruel portrait de Camille, une trentenaire branchée pro du dépouillement, du recyclage et du compost, dont la surépargne finit par nourrir la rente immobilière. Au contraire, « il faut de la richesse pour assurer la transition écologique ».

Guillaume Poitrinal plaide pour une meilleure information du consommateur, notamment en affichant l'impact carbone des produits, voire en instaurant un prix du carbone qui facilite les arbitrages. La hausse du pouvoir d'achat permettra de faire croître la demande pour les produits les plus respectueux de l'environnement, contraignant ainsi le capitalisme à devenir écologique. Il faut imaginer le consommateur heureux et responsable.

Moins de pouvoir d'achat, plus de pouvoir sur soi

Tout autre est la perspective de l'écologie politique. Un de ses penseurs les plus influents, André Gorz, en a synthétisé les principes dans un article de 1992, réédité sous le titre « Eloge du suffisant ». Rejetant par anticipation l'expertise du climat, synonyme de domination technocratique, Gorz revendique une « culture du quotidien » qui permette de s'approprier son environnement immédiat. L'individu doit devenir maître de ses productions en définissant pour lui-même une norme du suffisant.

Moins de pouvoir d'achat, c'est plus de pouvoir sur soi : pouvoir de transformer et de réparer les objets ; pouvoir de penser hors du flux continu des sollicitations. Cette autolimitation est la condition de toute action écologique (fidèle à ses principes, Gorz partit cultiver son potager dans sa maison de Vosnon). Ce n'est donc pas pour sauver la planète qu'il faudrait réduire sa consommation. C'est en réduisant sa consommation et en redonnant du sens à son travail que l'on intégrera intimement l'exigence de préserver son écosystème.

Stoïcisme galopant et philosophie de la limite

L'écologie politique suppose des choix difficiles, qu'aucun responsable n'ose aujourd'hui formuler (y compris chez les Verts). A la multiplication sans fin de besoins artificiels se substitue la nécessité de satisfaire les besoins de base : l'instauration d'un revenu universel prime sur l'augmentation générale du niveau de vie. Cette mutation des valeurs, admet Gorz en dépit de ses origines marxistes, dépasse la question des rapports de classe. L'OFCE souligne d'ailleurs l'élasticité assez faible des émissions de GES par rapport aux revenus. On invitera les bourgeois à abandonner leurs week-ends en Italie, les ménages leurs écrans plats et les rappeurs leur obsession pour les marques. La sobriété est universelle.

Mon stoïcisme galopant m'incline vers cette philosophie de la limite. Je ne vois pas en quoi elle serait incompatible avec une économie de marché concurrentielle où l'on accepte de payer le « prix des valeurs », pour reprendre l'expression des économistes Landier et Thesmar ; ni avec la conception libérale d'un Etat minimal, neutre vis-à-vis de tout objectif de croissance. Elle suppose en revanche de débureaucratiser radicalement notre système normatif, pour permettre à chacun de tracer sa route hors des circuits balisés. Voilà qui résoudrait le paradoxe de Camille : plutôt que d'épargner plus, elle travaillera moins.

Que l'on soit du côté de Poitrinal ou de Gorz, une clarification personnelle et collective s'impose. On ne peut pas à la fois distribuer des chèques et appeler à baisser le chauffage. Sobriété ou pouvoir d'achat, il faut choisir.

Gaspard Koenig

Source : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/sobriete-ou-pouvoir-dachat-il-faut-choisir-1774827

Publié dans Société, Economie

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