Le changement climatique va affecter durablement le fonctionnement des réacteurs nucléaires
Face à l’arrêt forcé de nombreux réacteurs dans l’hexagone, Yves Marignac, expert critique du nucléaire et porte-parole de l’association négaWatt, spécialisée dans la transition énergétique, dénonce une trop forte dépendance du pays au nucléaire.
Aujourd’hui, 30 réacteurs sur 56 sont indisponibles selon EDF. Si leur maintenance se déroule traditionnellement pendant l’été, période moins gourmande en électricité, un cumul de facteurs engendre ce nombre inédit de parcs à l’arrêt. Parmi eux, le report d’opérations de maintenance dû à la crise sanitaire, l’arrivée à l’âge de 40 ans de certains dispositifs qui les soumet à un contrôle, des inspections demandées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur plusieurs réacteurs potentiellement sujets à des problèmes de corrosion, ainsi que le pic caniculaire. Cette situation amène déjà EDF à s’inquiéter de la quantité d’énergie disponible pour les deux hivers prochains. Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt, s’inquiète de conséquences écologiques et d’une potentielle augmentation de la facture d’électricité des Français à cause de cette situation.
La planification habituelle des opérations de maintenance en période estivale a été compliquée par la crise sanitaire, beaucoup d’opérations ont été reportées et doivent aujourd’hui être effectuées. Le deuxième facteur est celui du «grand carénage», un processus qui correspond au passage des quarante années, et qui permet à l’ASN d’autoriser l’utilisation des réacteurs jusqu’à 50 ans. Le dernier facteur est celui des aléas liés à la «corrosion sous contrainte» (fissures) découverte sur une partie du parc d’EDF. Douze réacteurs sur la totalité des tranches à l’arrêt le sont à cause de ce problème.
EDF a très peu de marge de manœuvre. A court terme, les dérogations de l’ASN qui permettent à quatre réacteurs – Golfech (Tarn-et-Garonne), du Blayais (Gironde), Saint-Alban (Isère) et le Bugey (Ain) – de rejeter l’eau qui refroidit les réacteurs au détriment des écosystèmes vont permettre de tenir cet été. Mais la préoccupation est pour cet hiver, quand la demande de chauffage sera très élevée. EDF n’a pas pour habitude de faire des projections alarmistes, au contraire. Pourtant, cette année le facteur de charge (production réelle du parc nucléaire par rapport à la production théorique) s’élèvera à 55 %. Pour un parc comme celui d’EDF, le plus important d’Europe, on est à 80 % quand ça fonctionne bien. Il ne faut pas perdre de vue que le parc peut être confronté à de nouveaux aléas. C’est une situation extrêmement tendue et qui augmente les prix de l’électricité.
On n’est pas à l’abri d’avoir de nouveaux aléas. Il y a déjà une précarité énergétique, mais je ne sais pas s’il y a un risque de coupure à grande échelle. Le risque est plutôt celui du délestage, une coupure planifiée et maîtrisée. Le problème est aussi la découverte de nouvelles situations de corrosions. L’examen des réacteurs n’est pas terminé et on manque de personnel qualifié pour résoudre les problèmes découverts. La majorité est mobilisée sur le chantier d’EPR [réacteur pressurisé européen, ndlr]. Concernant le «plan de sobriété» que prépare le gouvernement, il ne faut pas que ce soit les Français en situation précaire – à qui on ne peut demander de réduire leur consommation d’énergie –, qui soient les seuls à faire des efforts. Il faut d’abord cibler les entreprises, les collectivités…
D’abord, le nucléaire repose sur des ressources en uranium importées. Mais surtout, la faible disponibilité actuelle des réacteurs montre au contraire à quel point notre dépendance au nucléaire devient problématique. En renonçant de fait à l’objectif de réduction de la part du nucléaire introduit dans la loi en 2015, Emmanuel Macron a retardé depuis cinq ans les efforts en matière de sobriété, d’efficacité et de renouvelables, qui sont pourtant les meilleurs garants de notre indépendance.
De manière générale, ça vaut pour le nucléaire comme ailleurs. Les projections faites sur les températures sont largement dépassées par la réalité. Le changement climatique va affecter durablement le fonctionnement des réacteurs, même si ce n’est pas au point de menacer directement la sûreté. Mais quand on voit les dérogations prises à court terme pour le rejet des eaux trop chaudes, ça a un impact évident sur l’environnement. On n’est qu’au début des dérèglements climatiques. Le problème va être l’adaptation à ce dérèglement qui ne pourra pas se faire dans l’instant pour les réacteurs d’EDF. On n’a par exemple pas le temps d’adapter massivement le matériel pour tenir des températures plus élevées et plus longtemps que ce pour quoi il a été conçu.