Comment la canicule malmène les infrastructures ferroviaires et oblige les trains à rouler au ralenti

Publié le par M.E.

Que font la SNCF et la RATP pour prévenir et limiter les incidents en cas de forte chaleur ? Comment les deux entreprises publiques anticipent-elles les effets du réchauffement climatique sur leurs équipements ? « Le Monde » fait le point.

Des agents de la SNCF réparent du matériel endommagé par un incendie à proximité des voies près de Graveson (Bouches-du-Rhône), le 15 juillet 2022. CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

Fortes chaleurs et réseau ferroviaire ne font pas bon ménage. En Bretagne, problèmes de caténaire et incendies au bord des voies ont coupé la circulation des trains entre Rennes et Brest, lundi 18 juillet. Un autre feu a encore perturbé le trafic mercredi entre Rennes et Lamballe. Mardi soir, un Thalys Paris-Amsterdam qui venait de partir (en retard) est resté immobilisé pendant quatre heures tout près de Paris. Enfin, le trafic a été suspendu plus de deux heures mercredi matin dans les Hauts-de-France en raison d’une coupure d’électricité liée à la canicule.

« Plusieurs incidents ont eu lieu cette semaine dans une période de nombreux déplacements, en raison de problèmes techniques et des fortes chaleurs », a sobrement commenté sur Twitter le nouveau ministre délégué chargé des transports, Clément Beaune, lors d’un rapide passage à la cellule de crise de la SNCF, mercredi 20 juillet. « On gère depuis le milieu de la semaine dernière à la fois un épisode de très fort trafic et un épisode de forte chaleur qui a culminé lundi et mardi. Il faut reconnaître que ça a eu un certain nombre de conséquences sur nos clients », relève de son côté la direction de la SNCF.

Quelles sont les répercussions de la canicule sur les infrastructures ferroviaires ? Que font la SNCF et la RATP pour prévenir et limiter les incidents en cas de forte chaleur ? Comment les deux entreprises publiques anticipent-elles les effets du réchauffement climatique sur ses équipements ? Le Monde fait le point.

Quelles sont les conséquences des fortes chaleurs sur les infrastructures ferroviaires ?

« Notre réseau ferroviaire n’a pas été conçu dans la perspective de telles températures », avait déclaré sur Public Sénat, le 28 juin 2019, Elisabeth Borne, alors ministre des transports. La France affrontait déjà un épisode caniculaire avec des températures maximales comprises entre 35 degrés (°C) et 40 °C. Mme Elisabeth Borne avait recommandé à ceux qui le pouvaient de reporter leurs déplacements.

La journée du lundi 18 juillet a été la plus chaude enregistrée dans l’Hexagone depuis le 5 août 2003 (l’indicateur thermique national pour les températures maximales a atteint 37,6 °C, contre 37,7 °C en 2003). Incendies au bord des voies, déformation de celles-ci, arrachement de caténaire, panne de climatisation… les chaleurs intenses peuvent durement malmener le système ferroviaire :

  1. La chaleur et la sécheresse estivales sont susceptibles de provoquer des incendies à proximité des voies. Ces « feux de talus », comme on les appelle, sont parfois causés par « les étincelles créées par le frottement des roues des trains sur les rails lors d’un freinage », précise la SNCF, qui ajoute que d’autres raisons peuvent être à l’origine de ces incendies : « l’écobuage (débroussaillement par le feu mené par les agriculteurs et éleveurs), une cigarette mal éteinte, sans oublier les actes d’imprudence ou de malveillance ».
  2. « Si la température extérieure est de 37 °C, celle du rail peut dépasser les 55 °C », note la SNCF sur son site. Or, un rail est composé à 95 % d’acier, un matériau sensible aux variations de température : quand il chauffe, il se dilate et s’allonge. Cette dilatation de l’acier est contenue, jusqu’à un certain point, par un châssis. Mais au-delà de 45 °C il y a un risque de déformation de la voie, qui peut entraîner un déraillement du train.
  3. La caténaire, c’est l’ensemble des câbles permettant l’alimentation électrique des trains. Et le pantographe, c’est le bras articulé situé au-dessus du train qui sert à capter le courant et à le transmettre. Pour fonctionner correctement, les câbles d’alimentation électrique doivent être impérativement rectilignes. Mais, quand il fait très chaud, la caténaire, qui est composée de cuivre, se détend, explique la SNCF. Le pantographe risque alors d’endommager, voire d’arracher la caténaire, et le train ne peut plus rouler. Grâce aux batteries à bord, la climatisation peut être maintenue pendant trente minutes.
Quelles sont les mesures mises en place par la SNCF et la RATP pour prévenir ou limiter ces risques ?

Pour éviter ces incidents, la SNCF dit travailler « en amont » de la saison estivale. Les abords des voies sont ainsi vérifiés et débroussaillés pour limiter les risques d’incendies. Les rames des trains font aussi l’objet de mesures préventives. « Une opération de maintenance spécifique est également réalisée tous les ans avant l’été », met en avant l’entreprise publique. Il s’agit des « autres travaux systématiques avant saison chaude », « ATS » dans le jargon cheminot, réalisés d’avril à juin. Concrètement, il s’agit, par exemple, de nettoyer les filtres de climatisation ou de vérifier le bon état des circuits de refroidissement des engins moteurs.

En outre, plusieurs mesures sont appliquées dans le cadre du plan national canicule, activé chaque année du 1er juin au 15 septembre. Des agents effectuent alors des « tournées de chaleur » à pied le long des voies afin de contrôler l’état des rails et de la caténaire. Un accord passé avec Météo-France permet d’établir une carte des zones à surveiller de près.

D’autres mesures de vigilance sont prises. Dans les rames, les composants électroniques embarqués peuvent fonctionner jusqu’à une température de 65 °C. C’est la raison pour laquelle « la vigilance se porte particulièrement sur le bon fonctionnement des ventilateurs des armoires électroniques », détaille la SNCF.

En cas d’incident, « une distribution de boissons non alcoolisées est organisée au bar au bout d’une heure de retard si la climatisation est en panne, et au bout de deux heures si la climatisation fonctionne », affirme par ailleurs l’entreprise. Contactée par Le Monde, la RATP souligne, elle, avoir mis en place le même type d’opérations de maintenance ainsi qu’une vigilance accrue en période de forte chaleur.

Pourquoi les trains roulent-ils au ralenti ?

On l’a vu, les fortes chaleurs sont susceptibles de déformer la voie et d’entraîner la détérioration, voire l’arrachage de la caténaire. La SNCF explique, dans une vidéo, qu’elle utilise depuis 2021 un logiciel qui calcule la température des rails sur treize jours à partir des prévisions météo. De plus, des sondes installées sur les voies mesurent la température des rails. Au-delà de 45 °C, le seuil d’alerte est franchi. Réduire la vitesse des trains devient alors la seule solution pour continuer à rouler en toute sécurité. Et, pour les voyageurs, cette mesure de précaution entraîne un certain nombre de retards, même si, assure la SNCF, les zones de ralentissement « sont en général très ponctuelles, de quelques dizaines de mètres à quelques kilomètres ».

Mardi après-midi, alors qu’il faisait plus de 40 °C à Paris, la RATP a annoncé dans un communiqué avoir réduit la vitesse de certains RER, métros et tramways circulant à l’air libre. Sur les lignes A et B, les RER ont roulé à 60 kilomètres/heure (km/h) maximum au lieu de 100 km/h habituellement. Sur les sections aériennes des lignes 1, 2, 5, 6, 8, 13, T1 et T2, les métros et les tramways ont roulé de 30 à 40 km/h au lieu de 60 km/h. « On a bien conscience de la gêne occasionnée pour les usagers », reconnaît David Courteille, directeur d’unité opérationnelle à la RATP. Mais ces mesures sont prises « de façon exceptionnelle » et « pour des raisons de sécurité », insiste l’ingénieur, qui ajoute : « Une diminution de la vitesse pendant deux heures [de 15 h 30 à 17 h 30] sur l’ensemble de l’épisode caniculaire ça reste très raisonnable. »

Comment la SNCF et la RATP anticipent-elles les effets du réchauffement climatique sur ses équipements ?

« Les changements climatiques sont en marche, et leurs premiers effets sont déjà constatés sur le réseau ferré français », constate la SNCF sur son site. Outre « les températures extrêmes », l’entreprise publique relève aussi « les inondations et l’humidité [qui] font peser un risque sur les remblais, les fondations, les digues et les équipements électriques » ou encore « les périodes de sécheresse [qui] ont des conséquences sur les fondations en ligne et les ouvrages ».

Consciente de l’« impact conséquent » du réchauffement climatique sur son réseau, la SNCF assure qu’« un groupe de travail a été lancé » afin de « concevoir un plan d’action de long terme pour les infrastructures ». Les détails de cette réflexion toujours en cours restent, pour le moment, très flous. Contactée par Le Monde, la SNCF n’a pas été en mesure de nous fournir davantage de précisions quant à l’adaptation future de son réseau, malgré la répétition attendue des vagues de chaleur.

De son côté, la RATP a mis en place, depuis 2018, un plan de prévention et d’adaptation aux conséquences du changement climatique. A court terme, l’objectif est de « renforcer les dispositifs de vidéosurveillance » et le nombre de capteurs sur les voies pour « mieux détecter les endroits où il y a un risque d’incident et intervenir avant qu’il y ait un problème », détaille David Courteille. « Par exemple, si on observe une trop grande dilatation de la caténaire quelque part, on peut envoyer une équipe sur place pour la retendre », dit-il.

A plus long terme, la régie publique entend renforcer la capacité de résistance de certains équipements à de plus fortes températures. « Aujourd’hui, les systèmes électroniques installés dans des guérites mal isolées et exposées en plein soleil connaissent des pannes accrues en cas de vague de chaleur. L’idée c’est donc d’avoir une meilleure protection thermique pour éviter la mise à l’arrêt de ces équipements », expose l’ingénieur. Le cahier des charges de la RATP a déjà évolué, explique David Courteille : « Désormais, les appareils d’appui [utilisés pour la construction de ponts] doivent par exemple pouvoir supporter une température de fonctionnement maximum de 45 °C, contre 40 °C auparavant. » Mais, à l’heure actuelle, et en dépit de la multiplication des vagues de chaleur, les rails, qui se dilatent lorsque les températures s’emballent, ne sont pas concernés par ce projet.

Source : https://www.lemonde.fr/climat/article/2022/07/23/comment-la-canicule-malmene-les-infrastructures-ferroviaires-et-oblige-les-trains-a-rouler-au-ralenti_6135838_1652612.html

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